Responsabilité du gestionnaire de patrimoine : point de départ du délai de prescription
La prescription de l’action en responsabilité dirigée contre un gestionnaire de patrimoine pour manquement à son obligation d’information et de conseil court, que la responsabilité soit contractuelle ou délictuelle, à compter de la date à laquelle le dommage s’est réalisé ou à laquelle le dommage est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. S’agissant d’un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour les acquéreurs ne pouvait résulter que de faits susceptibles de leur révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.
« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir » affirmait Pierre Dac. Ce ne sont certainement pas les gestionnaires de patrimoine qui le contrediront : en une période économique compliquée, en particulier pour les investissements immobiliers, leur risque d’être exposé au mécontentement de leurs clients apparaît particulièrement fort.
Au cas présent, diverses sociétés de conseil en gestion de patrimoine avaient fait investir leurs clients dans une résidence de tourisme. Au moment de revendre ces actifs et en constatant que la valeur de commercialisation n’atteignait pas celle annoncée, les propriétaires ont saisi le Tribunal judiciaire de Bordeaux pour voir désigner un expert sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, afin d’examiner les projections de rentabilité fournies lors de l’achat et la gestion de l’immeuble depuis.
Une telle demande se comprenait bien : fort heureusement pour les gestionnaires de patrimoine, leur responsabilité n’est pas engagée du seul fait que leurs projections ne se sont pas réalisées. Pour le dire autrement, ils ne sont pas soumis à une obligation de résultat. Ils sont, en revanche, à la fois soumis à une obligation d’information et de conseil et à une obligation de moyens, appréciée en fonction des données disponibles à l’époque à laquelle l’opération a été décidée (P. le Tourneau [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, 13e éd., Dalloz Action, 2023-2024, nos 3327.25 s.). La responsabilité des gestionnaires de patrimoine n’était alors envisageable, en l’espèce, que si les projections communiquées aux clients et sur la base desquelles ils s’étaient déterminés étaient déraisonnablement optimistes au regard des données disponibles à l’époque, de sorte que les gestionnaires de patrimoine avaient manqué à leur obligation d’information et de conseil.
La question soumise à la Cour de cassation était toutefois nettement plus circonscrite : quel est le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité dirigée par le client contre le gestionnaire de patrimoine lorsqu’il apparaît que l’investissement ne présente pas le degré de rentabilité annoncé ?
En effet, après que le premier juge a fait droit à la demande des propriétaires et désigné un expert, la Cour d’appel de Bordeaux avait infirmé cette décision, estimant que l’action en responsabilité était prescrite. Pour parvenir à cette conclusion, la cour d’appel avait retenu que s’agissant d’un manquement à une obligation de conseil, le dommage, consistant dans une perte de chance de ne pas contracter, s’était manifesté dès la conclusion de l’acte ayant conduit à un retour sur investissement moindre que celui envisagé.
La cassation, demandée par les quelques 101 propriétaires concernés, est prononcée.
Ainsi que le rappelait le pourvoi, il ressort d’une jurisprudence constante que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité, qu’elle soit contractuelle ou délictuelle, correspond à la date à laquelle le dommage s’est réalisé ou, et c’est sur ce point que l’arrêt d’appel avait méconnu la règle de droit, à celle « à laquelle le dommage est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance » (arrêt, § 8).
La formule est presque un décalque parfait de celle de l’article 2224 du code civil, qui figure au visa aux côtés de l’article L. 110-4 du code de commerce et 145 du code de procédure civile, selon laquelle la prescription court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
On pourrait simplement remarquer que la formule, qui remonte plus loin que la réforme du droit de la prescription de 2008 (v. pour un panorama des arrêts ayant retenu cette solution et cette formule, H. Barbier, Pour une approche unitaire du point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, mise en garde et conseil, RTD civ. 2017. 865
), n’est pas forcément en parfait accord avec la règle nouvelle.
La réforme de 2008 a, en effet, consacré à titre de principe l’existence d’un point de départ glissant de la prescription au jour auquel le titulaire du droit a connu le fait lui permettant d’agir. Or, au regard de la règle selon laquelle « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation » (C. civ., art. 1353, al. 2), ce devrait être à l’auteur du dommage d’établir la connaissance du fait permettant d’agir par la victime et non à cette dernière d’établir qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.
Cette dernière remarque n’a cependant pas une portée considérable, la Cour de cassation fixant parfois d’une façon générale, pour certaines catégories de contrats, le moment auquel la victime a connu ou aurait dû connaître le fait lui permettant d’agir (H. Barbier, préc.). En ce qui concerne les manquements des gestionnaires de patrimoine à leurs devoirs d’informations et de conseil, la deuxième chambre civile affirme que « s’agissant d’un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour les acquéreurs ne pouvait résulter que de faits susceptibles de leur révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat » (arrêt, § 10).
Ce faisant, elle retient une solution proche de celle adoptée par la chambre commerciale il y a quelques mois, laquelle avait considéré que, concernant le dommage causé par un conseiller en gestion de patrimoine en raison d’insuffisances dans son obligation de conseil relativement à un investissement réalisé sous forme d’assurance-vie, « le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date où l’investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d’assurance-vie » (Com. 21 juin 2023, n° 21-19.853, § 6, Dalloz actualité, 7 juill. 2023, obs. M. Robineau ; D. 2023. 1222
).
La solution, globalement cohérente avec les règles de la prescription, est protectrice pour les victimes. D’une façon symétrique, elle est naturellement sévère pour les conseillers en gestion de patrimoine.
© Lefebvre Dalloz