Responsabilité du transporteur routier de marchandises en présence de documents douaniers inexacts
Sachant que les informations qui lui avaient été adressées par le commissionnaire de transport étaient erronées au regard des deux lettres de voiture en sa possession et au regard du chargement dont il a eu connaissance, le chauffeur a néanmoins, sans attendre les documents complémentaires qui devaient lui être transmis par mail, édité des documents douaniers (carnet TIR) eux-mêmes erronés, il a de ce fait commis une faute engageant la responsabilité du transporteur envers le commissionnaire de transport.
Cet arrêt a trait à une situation qui ne suscite guère de jurisprudence en matière de transport international de marchandises par route, celle de l’inexactitude des documents douaniers par rapport à la marchandise transportée. Qui doit en supporter les conséquences, si, en pareille circonstance, les douaniers du pays du destinataire (ou d’un pays en transit) refusent, au moment où le chauffeur du camion, préposé du transporteur, que les marchandises transportées franchissent la frontière. L’expéditeur de la marchandise, le transporteur, voire, s’il y en a un, le commissionnaire de transport ? La réponse n’est pas si simple.
Les faits de l’espèce méritent d’être relatés. Par deux lettres de voiture du 24 août 2016, la société XPO, commissionnaire de transport, agissant pour le compte de la société NTN, a chargé la société Trans-Wek du transport de France jusqu’en Russie de deux lots de pièces détachées pour l’automobile, l’un de 67 colis pour un poids de 5,8 tonnes, l’autre de 103 colis pour un poids de 7,7 tonnes. Ce transport voyageait sous un régime douanier de transit international dénommé régime TIR (Transport international routier), régi par la Convention TIR du 14 novembre 1975.
Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. Le 31 août 2016, les douaniers biélorusses ayant constaté que le chargement excédait de cinq tonnes les mentions figurant sur le carnet TIR, les 67 colis non déclarés ont été saisis. Pour rappel, le carnet TIR, reconnu internationalement, sert de déclaration en douane pour le transport de marchandises, les accompagne et atteste de l’existence de la garantie du régime de transit douanier TIR (en France, c’est l’Association française du transport routier international [AFTRI] qui est le garant du régime de transit douanier TIR). Le 3 octobre 2017, la société XPO et son assureur, la société Axa, ont alors assigné le transporteur, la société Trans-Wek, en indemnisation. Elle obtient gain de cause, le transporteur étant condamné par les premiers juges à hauteur de 58 000 € de dommages-intérêts, solution confirmée en appel (Chambéry, 7 juin 2022, n° 20/00572).
Le transporteur forme alors un pourvoi en cassation. Dans celui-ci, il reproche aux juges d’appel une violation de l’article 11 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite « CMR ». En vertu de ce texte, l’expéditeur doit remettre au transporteur les documents nécessaires à l’accomplissement des formalités douanières et le transporteur n’est pas tenu d’examiner si ces documents sont exacts ou suffisants. Il a ainsi été jugé, en application de cet article, que ne commet pas de faute le transporteur qui ne vérifie pas la régularité des documents douaniers qui lui sont remis par rapport à la marchandise chargée (Com. 28 sept. 2004, n° 03-10.473, RTD com. 2005. 410, obs. B. Bouloc
).
Dans l’affaire jugée, la Cour d’appel de Chambéry estime que le chauffeur de la société de transport, Trans-Wek avait effectivement commis une faute : il aurait, en effet, dû alerter le commissionnaire de l’insuffisance des documents douaniers reçus et de leur non-conformité aux lettres de voiture ne lui permettant pas d’établir un carnet TIR conforme au chargement. Il aurait également dû patienter à la frontière jusqu’à réception des documents complémentaires. Il lui est, en fin de compte, reproché par les juges d’appel d’avoir établi un carnet TIR en sachant que les informations qui lui avaient été transmises pour l’établissement de ce carnet étaient incomplètes et erronées.
L’arrêt d’appel est confirmé par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi du transporteur. La Haute juridiction ne considère pas que la Cour d’appel de Chambéry a méconnu l’article 11 de la CMR. Elle a même justement énoncé, estime-t-elle, que si le transporteur n’est pas, en vertu de ce texte, tenu d’examiner si les documents nécessaires à l’accomplissement des formalités de douane sont exacts ou suffisants et que l’expéditeur est responsable de tous dommages pouvant résulter de l’insuffisance ou de l’irrégularité de ces documents, c’est sous la réserve d’une faute du transporteur. Tel est le cas, en l’occurrence. C’est une faute d’impatience pourrait-on dire : « sachant que les informations qui lui avaient été adressées étaient erronées au regard des deux lettres de voiture en sa possession et au regard du chargement dont il a eu connaissance, comme en attestent les échanges de messages intervenus entre le préposé du transporteur et la société XPO, le chauffeur a néanmoins, sans attendre les documents complémentaires qui devaient lui être transmis par mail, édité un carnet TIR ne faisant mention que d’une lettre de voiture portant sur 103 colis, soit une différence de plus de cinq tonnes avec la consistance du chargement ». Patience est mère de toutes les vertus… De son côté, le commissionnaire de transport ne pouvait sans doute rien se reprocher : certes, il avait, au moment du chargement des marchandises transmis des informations erronées au transporteur, mais il avait rapidement informé ce dernier de cette situation et s’était engagé à lui fournir des informations complémentaires, afin de pouvoir « rectifier le tir » si l’on puit se permettre l’expression.
Il ne faut cependant pas surestimer la portée de cet arrêt de rejet, la Cour de cassation, pour statuer comme elle le fait, se rangeant largement derrière l’analyse des juges du fond, vérifiant néanmoins que leur solution est suffisamment motivée, comme l’atteste la formule employée : « la cour d’appel a pu déduire que le chauffeur avait commis une faute engageant la responsabilité du transporteur envers le commissionnaire de transport » (pt 7).
Com. 27 mars 2024, F-B, n° 22-22.586
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