Responsabilité fiscale du dirigeant d’une société liquidée : exclusion des intérêts de retard

Le dirigeant, qui ne peut être déclaré solidairement responsable, sur le fondement de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales, que du paiement de la somme correspondant aux impositions et pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ne peut se voir condamner au paiement des intérêts au taux légal portant sur cette somme.

L’hypothèse de départ est classique. Une société a été mise en liquidation judiciaire le 26 septembre 2017. La procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif le 21 août 2019. Puis, les 19 et 20 octobre 2020, le comptable public des Alpes-Maritimes a assigné les deux dirigeants sociaux, sur le fondement de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales, afin qu’ils soient déclarés solidairement responsables, avec la société liquidée, de la dette fiscale due par cette dernière. Ce texte est le fondement légal de la responsabilité du dirigeant – de droit ou de fait – d’une personne morale en liquidation judiciaire pour manœuvres frauduleuses ou inobservation répétée des obligations fiscales.

Avec un certain succès, puisque la Cour d’appel d’Aix-en Provence, les condamne à payer la somme de 379 318 €, dont 365 168 € en droits et 18 150 € en pénalités, outre intérêts de retard, due par la société. Les deux dirigeants forment alors un pourvoi dans lequel ils invoquent le principe d’application stricte de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales. Ce texte ne vise, en effet, que les impositions (il faudrait même ajouter les impositions de toute nature : impôt sur les sociétés, taxe sur le chiffre d’affaires, contribution économique territoriale, droits d’enregistrement…) et les pénalités dues par la société. En les condamnant néanmoins à payer, non seulement les droits et pénalités dus par la société, mais également des intérêts de retard, – lesquels ne sont nullement visés – la cour d’appel a violé le texte précité.

L’argument emporte la conviction de la Cour de cassation, qui, au visa de cet article L. 267 du livre des procédures fiscales, casse l’arrêt d’appel pour violation de la loi. Elle reprend pleinement à son compte l’argument du pourvoi. Elle affirme, en effet, de manière nette et limpide dans sa réponse qu’il résulte de ce texte que « le dirigeant, qui ne peut être déclaré solidairement responsable que du paiement de la somme correspondant aux impositions et pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ne peut se voir condamner au paiement des intérêts au taux légal portant sur cette somme ». Ce principe d’application strict du texte se comprend ; il s’explique par son caractère exorbitant du droit commun, en ce qu’il pose une responsabilité solidaire du dirigeant au titre d’une dette dont il n’est normalement pas le redevable (le redevable, c’est le contribuable, donc la personne morale).

La chambre commerciale prononce une cassation sans renvoi : elle annule simplement les intérêts mis à la charge des dirigeants, confirmant, en revanche, leur condamnation au principal et aux pénalités.

Cet arrêt paraît confirmer une tendance jurisprudentielle favorable au dirigeant. En effet, il est admis que les manquements invoqués par l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales doivent être imputables au dirigeant pour que ce dernier puisse être condamné. Ce qui signifie que le lien de causalité entre l’attitude fautive du dirigeant et l’impossibilité du recouvrement de la dette d’impôt doit être établi (Com. 28 sept. 2004, n° 02-18.394, Rev. sociétés 2005. 661, note J.-M. Priol ; RJF 2005, n° 180). Or, il semble que, désormais, la responsabilité fiscale du dirigeant social doit être écartée si le manquement du dirigeant n’est pas la cause exclusive de l’impossibilité de recouvrement (Com. 11 janv. 2005, n° 02-16.597 P, Rev. sociétés 2005. 661, note J.-M. Priol ; BJS 2005. 606, note P. Serlooten). Cette interprétation, si elle se confirme, permettrait donc au dirigeant de ne pas être inquiété par l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 267 du livre des procédures fiscales, si cette impossibilité était également due à d’autres circonstances, non imputables au dirigeant mis en cause.

 

Com. 27 nov. 2024, F-B, n° 23-18.572

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