Restriction de l’action en nullité d’un accord collectif pour le CSE
Eu égard aux effets de l’action en nullité d’un accord collectif, seule l’institution représentative du personnel, dont le périmètre couvre dans son intégralité le champ d’application de l’accord collectif contesté, a qualité à agir par voie d’action en nullité d’un accord collectif aux motifs qu’il viole ses droits propres résultant de l’exercice des prérogatives qui lui sont reconnues par des dispositions légales d’ordre public.
Force est d’admettre que, depuis 2017, la place accordée au dialogue social dans les entreprises, s’incarnant dans la négociation d’accords collectifs par les représentants syndicaux et les employeurs, est devenue prégnante. Parallèlement, le comité social et économique (CSE) se voit, sauf exception, réserver le rôle de représenter le personnel, à l’exclusion de la mission de négociation. Il faut à ce titre rappeler désormais qu’il n’a pas à être consulté sur les projets d’accord collectif, leur révision ou dénonciation (C. trav., art. L. 2312-14).
Cette segmentation des rôles a priori claire devient plus délicate lorsque syndicats et employeurs négocient sur le fonctionnement, les attributions et les moyens accordés au CSE sans consultation de ce dernier. C’est précisément dans ce contexte que la question de savoir si le CSE a qualité pour agir en nullité d’un accord collectif s’est posée, et à propos de laquelle la chambre sociale de la Cour de cassation a donné réponse dans un arrêt du 10 juillet 2024.
En l’espèce, deux comités d’établissement avaient décidé de reprendre la gestion directe de la restauration au sein d’une société formant une unité économique et sociale (UES) de plus de 88 000 personnes.
À la suite des négociations ouvertes en vue de la mise en place des CSE d’établissement, un accord collectif fut signé entre la société et plusieurs syndicats au niveau de l’UES au sujet notamment de la gestion de l’activité sociale et culturelle de restauration (ASC) dans les différents établissements et du budget devant y être consacré, sans toutefois que les CSE n’aient été consultés sur cet accord.
Deux comités d’établissement ainsi qu’un syndicat non-signataire de l’accord ont alors engagé une instance en justice afin de faire annuler cet accord, en ce que ce dernier était, selon les demandeurs, de nature à entraver la gestion directe de l’activité de restauration.
Les juges du fond déboutèrent les CSE d’établissement estimant qu’ils n’avaient pas qualité pour agir en nullité de l’accord collectif auquel ils n’étaient pas partie.
Les comités formèrent alors un pourvoi en cassation, que la chambre sociale de la Cour de cassation va cependant rejeter.
La qualité pour agir en nullité d’un accord pour le CSE reprécisée
L’éminente juridiction va en effet rappeler que seuls les syndicats, qui ont le pouvoir de conclure une convention ou un accord collectif de travail, peuvent agir en justice pour obtenir l’exécution des engagements résultant d’un accord ou d’une convention collective. Cette affirmation de la chambre sociale vient dans le prolongement de la jurisprudence antérieure par laquelle les Hauts magistrats avaient déjà pu évoquer le fait que le CSE n’a pas qualité pour agir et, de façon plus générale, il n’a pas qualité pour intenter une action ou intervenir dans une action tendant au respect ou à l’exécution de dispositions légales ou conventionnelles (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-20.812 P, Dalloz actualité, 6 janv. 2017, obs. J. Cortot ; D. 2017. 12
; ibid. 2270, obs. P. Lokiec et J. Porta
).
Cette décision vient-elle pour autant définitivement fermer toute possibilité d’une demande de nullité d’un accord en provenance d’un CSE ? Loin s’en faut, puisque la chambre sociale va encore préciser qu’un CSE n’est pas pour autant dénué de toute possibilité d’action, et reste recevable à invoquer par voie d’action la nullité d’un accord collectif si cet accord viole ses droits propres.
Cette affirmation, interprétée à la lumière de la notice au rapport de la Cour, conduit à considérer qu’il sera exclu que « soient invoquées au soutien d’une action en nullité toutes les dispositions légales supplétives énoncées par le code du travail ». En d’autres termes, seules les dispositions légales d’ordre public auront vocation à justifier une telle action du CSE.
Or en l’espèce pourtant, l’ASC en question relevait bien des droits propres du CSE du fait de son monopole de gestion.
Toutefois au regard de l’impact très important que la nullité fait encourir (un accord nul ne pouvant produire aucun effet, v. Soc. 9 déc. 2014, n° 13-21.766, D. 2015. 18
; RDT 2015. 269, obs. H. Tissandier
), la Cour ajoute, pour la première fois à notre connaissance, une condition à cette action en nullité du CSE.
L’importance du champ d’application de l’accord considéré
Les Hauts magistrats vont affirmer que seule l’institution représentative du personnel dont le périmètre couvre dans son intégralité le champ d’application de l’accord collectif contesté peut demander la nullité d’un tel accord aux motifs qu’il viole ses droits propres résultant de l’exercice des prérogatives qui lui sont reconnues par des dispositions légales d’ordre public.
La solution apparaît restrictive mais pragmatique dans son souci d’assurer une certaine stabilité à l’édifice conventionnel. Retenir une position inverse aurait en effet conduit à mettre à néant le dispositif de délégation de gestion de toute la restauration collective de l’ensemble des salariés de l’UES, y compris dans les établissements dont les CSE avaient, quant à eux, fait le choix de ce mode de gestion.
Or, en l’espèce, deux CSE d’établissement contestaient la légalité d’un accord collectif portant sur la gestion de l’ASC de restauration au sein de toute l’UES (17 établissements), conclu au sein de cette UES par les organisations syndicales représentatives dans ce même périmètre de l’UES.
Dans la mesure où le périmètre de chacun des deux CSE d’établissement ne couvrait pas l’intégralité du champ d’application de cet accord collectif, leur action en nullité était, à l’aune de cette nouvelle orientation, vouée à l’échec.
Sans que l’arrêt ne se prononce sur cette question, il est autorisé de déduire des termes du principe que l’action en nullité aurait été recevable si tous les CSE d’établissement de l’UES avaient agi en justice ou si l’accord collectif n’avait porté que sur l’ASC restauration de ces deux établissements.
On pourra enfin s’étonner de cette solution dans la mesure où la Cour de cassation avait admis récemment assez largement l’action par la voie d’exception d’illégalité d’un CSE contre un accord collectif, dès lors qu’il défendait un droit propre (Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002 B, D. 2022. 463
; ibid. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; Dr. soc. 2022. 531, étude G. Auzero et L. Bento de Carvalho
; ibid. 539, étude J. Icard
; RDT 2022. 395, obs. D. Baugard
). Mais cette différence de régime reste cohérente au regard du raisonnement conséquentialiste de l’éminente juridiction, la reconnaissance de l’illégalité d’une clause d’un accord collectif par voie d’exception d’illégalité la rend seulement inopposable à celui qui a soulevé l’exception.
La possible action d’un syndicat
Enfin, s’il est indéniable que la solution rendue dans l’arrêt du 10 juillet 2024 marque un léger repli dans la possibilité de contester un accord collectif, rappelons toutefois que l’action du syndicat reste possible, et a d’ailleurs quant à elle été admise, puisqu’il peut défendre les intérêts collectifs de la profession, bien qu’il n’ait, en l’espèce, pas obtenu gain de cause sur le fond. Il n’y avait en effet pas dans cet accord de violation de règles d’ordre public et d’atteinte aux prérogatives des CSE d’établissement. L’accord s’inscrivait dans le cadre des dispositions qui permettent au CSE de déléguer la gestion à des personnes désignées, celles-ci agissant dans la limite des attributions qui leur sont déléguées et étant responsables devant le comité.
La Cour va à ce titre souligner que malgré le monopole de la gestion des ASC des CSE, la signature avec les organisations syndicales d’un accord collectif relatif à la restauration n’est pas interdite à l’employeur, que rien n’oblige à être délégataire. L’employeur a donc la possibilité s’il accepte la délégation d’organiser ce service avec les partenaires sociaux pour l’ensemble de l’entreprise par une gestion mutualisée et solidaire plutôt que de procéder établissement par établissement, chaque CSE d’établissement demeurant maître d’opter pour la délégation ou pour la gestion directe.
Soc. 10 juill. 2024, FP-BR, n° 22-19.675
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