Restructuration des branches du bâtiment : poursuite de la saga judiciaire
La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt rendu le 15 mai 2024, de nombreux principes applicables à la négociation collective en matière de restructuration de branches, en l’occurrence celles du bâtiment qui dure depuis plusieurs années.
Le législateur ne définit pas la notion de branche dans le code du travail, se contentant seulement de distinguer convention collective et accord collectif (C. trav., art. L. 2221-2). Or, cela crée des incertitudes lorsque les branches sont restructurées, comme c’est le cas dans le secteur du bâtiment depuis plusieurs années où un contentieux oppose les syndicats, obligeant la Cour de cassation à, une nouvelle fois, se prononcer sur la méthode de négociation.
Dans cette affaire, plusieurs organisations syndicales parviennent à deux accords collectifs nationaux le 22 novembre 2019 en application de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018. Toutefois, le syndicat FO construction, estimant que la négociation faite par la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) a été déloyale et qu’aucun arrêté de représentativité et de mesure du poids de chaque organisation syndicale dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu’à dix salariés et dans celui des entreprises occupant plus de dix salariés n’a été pris, a, une fois son droit d’opposition exercé, assigné toutes les organisations syndicales en justice en référé aux fins de suspension d’application des deux accords litigieux. La cour d’appel déboute FO ainsi que d’autres syndicats par arrêt confirmatif, au motif que nulle déloyauté n’est démontrée, que l’application des accords ne caractérise aucun trouble manifestement illicite, la CFDT et la CGT, toutes deux signataires, ayant recueilli plus de 30 % des suffrages valablement exprimés dans le périmètre des quatre conventions collectives du bâtiment, et que la mise en place de deux Commissions paritaires permanentes de négociation et d’interprétation (CPPNI) a été validée par le ministère du Travail. Trois pourvois en cassation ont été formés, puis joints, selon lesquels la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles L. 2121-1, L. 2121-2, L. 2122-5, L. 2122-11, L. 2232-5, L. 2232-6 et L. 2232-9 du code du travail, outre l’article 835 du code de procédure civile relatif au référé.
Les moyens sont nombreux et la cassation opérée par la chambre sociale est sévère. En raison de plusieurs principes complexes que nous allons tenter d’expliciter, elle juge que la cour d’appel a violé différents textes issus du code du travail dès lors qu’il résultait de ses propres constatations un trouble manifestement illicite en ce que les deux accords litigieux avaient été conclus au sein de CPPNI créées par accord de fusion de branches existantes du secteur du bâtiment, soit tout sauf des accords interbranches, et en ce qu’ils avaient été négociés dans des champs conventionnels nouveaux, en l’absence d’arrêtés du ministre du Travail.
La restructuration des branches est assez complexe. Ou bien il y a négociation d’un accord de fusion des champs d’application des anciens accords de branche, puis négociation du futur accord collectif ; ou bien les branches font le choix de négocier directement le nouvel accord. Dans cette seconde hypothèse, le Conseil d’État est venu préciser que « le ministre chargé du travail est compétent pour, s’il y a lieu, arrêter, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une "branche professionnelle" au sens de l’article L. 2122-11 du code du travail » (CE 4 nov. 2020, n° 434519, Lebon
; Dr. soc. 2021. 346, étude P.-H. Antonmattei, L. Enjolras et C. Mariano
; 4 nov. 2020, n° 434518, Lebon
), ce que la Cour de cassation rappelle au demeurant dans l’arrêt rendu en 2024. Il en résulte, selon une jurisprudence établie de la chambre sociale (Soc. 10 févr. 2021, n° 19-13.383 B, D. 2021. 289
; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; Dr. soc. 2021. 346, étude P.-H. Antonmattei, L. Enjolras et C. Mariano
; RDT 2021. 329, obs. S. Nadal
), que les organisations syndicales « doivent, avant d’engager la négociation collective, demander […] à ce qu’il soit procédé à la détermination des organisations représentatives dans le champ de négociation pour s’assurer que toutes les organisations syndicales représentatives dans ce périmètre sont invitées à la négociation ».
Cette position, bien qu’aménagée par rapport au droit commun de la négociation collective, est amplement justifiée. En effet, le champ de la négociation collective n’est pas identifié avec certitude en matière de restructuration de branches. Il est par conséquent difficile de savoir si les organisations syndicales négociant l’accord, qui vaudra pour ce nouveau champ, représentent bien les salariés comme ce doit être le cas dès lors qu’un accord doit être conclu par une « une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives » (C. trav., art. L. 2231-1), un syndicat étant, au surplus, soumis aux critères de représentativité prévus à l’article L. 2121-1 du code du travail. Or dans l’affaire, l’accord ne pouvant pas être qualifié d’accord interbranche puisqu’une fusion de branches existantes était opérée, la cour d’appel aurait dû constater que l’absence d’arrêté du ministre du Travail créait un trouble manifestement illicite. Pourquoi ? Parce que « lorsque les partenaires sociaux décident, en vertu du principe de la liberté contractuelle, de procéder à la fusion de plusieurs branches professionnelles existantes, doivent être invitées à cette négociation, en application du principe de concordance, toutes les organisations syndicales représentatives dans une ou plusieurs des branches professionnelles préexistantes à la fusion » (v. déjà, Soc. 21 avr. 2022, nos 20-18.820 et 20-18.799 B). Cela ne nous paraît guère contestable.
Cet arrêt démontre, une fois encore, que le législateur s’est intéressé plus à la restructuration imposée (C. trav., art. L. 2261-32 s.) que négociée. Ne croit-il plus en la négociation collective ?
Soc. 15 mai 2024, FS-B, n° 22-16.028
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