Rétrogradation disciplinaire et absence d’acceptation claire du salarié
Une absence d’acceptation claire et non équivoque du salarié à la mesure de rétrogradation disciplinaire qui lui est proposée ouvre la possibilité pour l’employeur de prononcer une autre sanction, pouvant s’incarner dans un licenciement pour faute grave.
La rétrogradation disciplinaire est une sanction importante venant toucher les éléments essentiels du contrat de travail du salarié (a minima sa qualification et sa rémunération), et nécessite – selon une jurisprudence constante et non sans une certaine controverse doctrinale (sur la dimension ontologique de la sanction, v. not., S. Frossard, Les caractères de la sanction disciplinaire, RDT 2012. 685
) – l’accord préalable du salarié pour être mise en œuvre. Si l’intéressé refuse sa rétrogradation, l’employeur peut alors prononcer une autre sanction, qui peut être un licenciement pour faute grave. L’on notera aussi que si l’intéressé accepte la mesure, la jurisprudence a su se montrer favorable au salarié en lui reconnaissant la possibilité de tout de même contester la mesure devant le juge (Soc. 14 avr. 2021, n° 19-12.180, Dalloz actualité, 5 mai 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 803
; Dr. soc. 2021. 757, obs. J. Mouly
; RDT 2021. 382, obs. D. Baugard
). L’acceptation ou le refus du salarié est donc déterminant. Mais qu’en est-il lorsque le salarié ne prend pas position ou répond de façon ambiguë ? Question simple mais à l’importance pratique majeure, et à laquelle l’arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2023 apporte une illustration et quelques réponses avec un salarié qui avait répondu en des termes ambigus.
En l’espèce, un salarié d’une société d’équipementier automobile s’est vu proposer une rétrogradation disciplinaire de son poste de directeur des opérations cadre niveau IV à celui de directeur des achats cadre niveau III. À cette « proposition », le salarié avait alors répondu par lettre en rappelant notamment que les difficultés économiques du secteur avaient amené la société à restructurer le métier qu’il chapeautait en scindant son activité en trois directions, dont une direction des achats que la société souhaitait lui confier. Il avait aussi indiqué qu’il acceptait les nouvelles fonctions « dans la mesure où (son) investissement (était) absolu » et « compte tenu de la forte pression » qui s’exerçait sur lui, mais qu’il refusait les notions et qualifications de « sanction » et de « disciplinaire » de la mesure.
L’employeur en a déduit que le salarié avait ainsi refusé sa rétrogradation et a donc prononcé une autre sanction en le licenciant pour faute.
L’intéressé avait alors saisi les juridictions prud’homales en demandant à ce que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, car il avait selon lui accepté la modification de son contrat de travail.
Les juges du fond déboutèrent l’intéressé de ses demandes, considérant que le salarié n’avait pas exprimé un accord clair et non équivoque à sa rétrogradation, de sorte que l’employeur avait alors pu considérer qu’il l’avait refusé et pouvait le licencier pour faute.
La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par le salarié, va confirmer la position de la cour d’appel.
Une réponse en des termes ambigus à la notification de rétrogradation ne vaut pas acceptation
L’éminente juridiction va en effet rappeler le principe selon lequel une modification du contrat de travail ne pouvant être imposée au salarié, l’employeur qui se heurte au refus d’une mesure de rétrogradation impliquant une modification du contrat de travail, peut, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction, y compris un licenciement pour faute grave aux lieu et place de la sanction refusée. Ce faisant, elle rappelle la jurisprudence constante en la matière (Soc. 15 juin 2000, n° 98-43.400 P, RJS 10/2000, n° 948 ; 7 juill. 2004, n° 02-44.476 P, RJS 10/2004, n° 1038), dont les premiers jalons furent posés avec l’arrêt Hôtel Le Berry (Soc. 16 juin 1998, n° 95-45.033 P, D. 1999. 125
, note C. Puigelier
; ibid. 171, obs. M.-C. Amauger-Lattes
; ibid. 359, chron. J. Mouly
; Dr. soc. 1998. 803, rapp. P. Waquet
; ibid. 1999. 3, note C. Radé
; RJS 1998, n° 858). Aussi notera-t-on que ce n’est alors pas le refus du salarié d’être rétrogradé qui motive le licenciement de substitution, mais les faits qui avaient conduit l’employeur à lui notifier une rétrogradation.
Mais la réelle difficulté apparaît lorsque aucune réponse claire n’est identifiable.
Or précisément en l’espèce, les termes ambigus de la lettre du salarié ne permettaient pas de caractériser son acceptation claire et non équivoque à la rétrogradation. C’est donc à raison – aux yeux des hauts magistrats – que les juges du fond ont considéré que l’employeur pouvait prononcer une autre sanction, ici le licenciement pour faute.
La solution est la bienvenue, car force est d’admettre qu’elle n’allait pas de soi. Le salarié avait en effet accepté la modification de son contrat en signant l’avenant qui lui avait été proposé. Son refus portait sur la qualification de sanction disciplinaire. L’on peut alors se poser la question – au-delà de la dimension sémantique – de la différence pratique en matière de conséquences entre les deux hypothèses (modification à titre disciplinaire et modification non disciplinaire). Force est alors d’admettre qu’elle apparaît réduite pour le salarié qui se retrouvera à assumer les fonctions prévues. Le fait de ne pas considérer la proposition de modification de poste sous un angle disciplinaire aurait permis au salarié de ne pas voir figurer trace de la sanction dans son dossier disciplinaire, et le cas échéant pour l’employeur de ne pas avoir épuisé son pouvoir de sanction vis-à-vis des manquements constatés.
Si cette solution s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence antérieure, exigeant l’accord du salarié explicite, clair et non équivoque, comme pour toute autre modification du contrat de travail proposée pour un motif non économique (Soc. 31 oct. 2000, n° 98-44.988 P, D. 2001. 749, et les obs.
; 7 juill. 2009, n° 08-40.414, RJS 10/2009, n° 778), elle appellera désormais le salarié à une particulière vigilance lorsqu’il répond à une proposition de rétrogradation. Le fait de ne pas répondre positivement, de répondre de façon ambiguë, ou de refuser le seul caractère disciplinaire de la mesure l’exposera en effet à l’application de la jurisprudence applicable en matière de refus, et donc le conduire le cas échéant à un licenciement en lieu et place de la proposition de rétrogradation.
Rappelons que dans cette procédure, l’employeur informe le salarié de sa faculté d’accepter ou de refuser la rétrogradation dans le courrier qui la notifie (Soc. 28 avr. 2011, n° 09-70.619 P, Dalloz actualité, 16 mai 2011, obs. J. Siro ; D. 2011. 1289, obs. J. Siro
). Les employeurs auront intérêt à sécuriser leur démarche en exigeant du salarié dans le courrier de proposition une acceptation claire et sans équivoque de la sanction, le cas échéant en lui adressant un formulaire prérempli avec un choix binaire.
Mais encore faudra-t-il que le licenciement soit pourvu d’une cause réelle et sérieuse, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; et c’est sur l’appréciation de cette cause réelle et sérieuse que les juges d’appel ont été censurés par la Cour de cassation.
© Lefebvre Dalloz