Revirement de jurisprudence en matière de prêts libellés en devises étrangères
Désormais, le caractère clair et compréhensible d’une clause dont le caractère abusif est invoqué ne doit plus être apprécié au regard d’un risque de change « évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l’emprunteur s’exposait pendant toute la durée du contrat ».
Le début de la période estivale a été marqué par un revirement de jurisprudence en matière de prêts libellés en devises étrangères. Ces opérations financières – régulièrement décriées en doctrine pour leur dangerosité – ont généré un important contentieux devant les tribunaux sur le terrain des clauses abusives.
En dépit d’une jurisprudence favorable initiée par la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation avait néanmoins admis, en mars 2023, un tempérament de taille pour les emprunteurs transfrontaliers percevant, au temps de la conclusion des contrats de prêts litigieux, leurs revenus dans la même devise que celle dans laquelle le prêt était libellé et remboursé.
Pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusives certaines clauses des contrats de prêts litigieux, les juges avaient, en effet, admis qu’il n’existait « aucun risque de change » (v. en ce sens, Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 21-20.260, Dalloz actualité, 10 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 460
; AJDI 2024. 339, étude M. Moreau
; RDI 2023. 351, obs. J. Bruttin
; RTD com. 2023. 705, obs. D. Legeais
). C’est précisément cette solution qui a été amendée par la Cour de cassation dans les deux arrêts étudiés aujourd’hui.
À l’origine du pourvoi n° 24-19.647, une banque consent à une personne physique quatre prêts immobiliers libellés en francs suisses et remboursables dans la même devise. Ces opérations visaient à acquérir, en France, quatre biens immobiliers destinés à la location. L’emprunteur, qui travaillait en Suisse à l’époque de la conclusion desdits contrats, fait l’objet d’un licenciement avec mise à la préretraite en juillet 2018. Six mois plus tard, en janvier 2019, il assigne la banque notamment pour déclarer abusives et juger non écrites certaines clauses présentes dans tous les contrats de prêts portant sur les prélèvements à échéance et le libellé du prêt en devises. Pour le débouter de sa demande, les juges du fond précisent que l’emprunteur ne supportait aucun risque de change dans la mesure où ce dernier avait conclu des prêts libellés en francs suisses et remboursables dans la même devise ; d’autant qu’à la date de souscription des contrats litigieux, le demandeur était un travailleur transfrontalier et qu’il percevait donc ses revenus dans la devise empruntée. L’emprunteur se pourvoit en cassation. Selon lui, les juges auraient dû rechercher si le risque de change ne résultait pas de son licenciement de sorte qu’au-delà de sa rente en francs suisses, les ressources du demandeur – constituées de ses indemnités de chômage et des loyers encaissés en raison de ses investissements locatifs – étaient perçues en euros.
Les faits à l’origine du pourvoi n° 24-18.018 reposent sur le même mécanisme financier. Alors qu’elle travaillait en Suisse, une personne physique conclut avec une banque un prêt immobilier libellé en francs suisses et remboursable dans la même devise. Cette opération visait à acquérir un bien immobilier en France et à en financer les travaux. À la suite d’échéances impayées et après plusieurs mises en demeures restées vaines, la banque prononce la déchéance du terme en août 2019. En novembre 2020, l’emprunteur assigne la banque sur divers fondements. Il sollicite, entre autres, de déclarer abusive la clause du contrat de prêt lui faisant supporter le risque de change. Débouté de toutes ses prétentions, l’emprunteur se pourvoit en cassation. Il reproche notamment aux juges du fond d’avoir écarté le caractère abusif de la clause au motif qu’il n’existait aucun risque de change à la date de souscription du prêt litigieux.
Les deux pourvois invitent donc la première chambre civile de la Cour de cassation à revenir sur le critère temporel permettant d’évaluer le risque de change supporté par l’emprunteur transfrontalier. Or, c’est précisément sur ce point que les Hauts magistrats opèrent un revirement de jurisprudence. Dans chacune des affaires, ils énoncent, en effet, que le risque de change ne doit plus être « évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt, sans prendre en compte celui auquel l’emprunteur s’exposait pendant toute la durée du contrat » (pt n° 12 des décisions commentées). Cette solution nouvelle – d’application immédiate (spéc. pts nos 15 à 20 du pourvoi n° 24-19.647) – permet d’harmoniser les règles en matière de prêts libellés en devises étrangères.
Sur le revirement de jurisprudence
Pour comprendre le revirement de jurisprudence opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation, il convient au préalable de revenir sur les règles entourant le contrôle des clauses abusives en matière de prêts libellés en devises étrangères. C’est d’ailleurs en ce sens que débute, pour chacun des arrêts, la motivation des Hauts magistrats.
Dès les premiers paragraphes (pts nos 6 à 8 des décisions commentées), la Cour de cassation rappelle que les clauses définissant l’objet principal du contrat échappent, en principe, au contrôle de leur éventuel caractère abusif. Néanmoins, pour que cette règle issue de la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 et transposée dans le code de la consommation s’applique, encore faut-il que lesdites clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Sur ce point, le magistrat rapporteur, comme l’avocat général, rappellent utilement la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour de Luxembourg admet, en effet, qu’une clause insérée dans un contrat de prêt libellé en devises étrangères, aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans la même devise, relève de la notion d’« objet principal du contrat » au sens de l’article 4, § 2, de la directive n° 93/13/CEE précitée (v. en ce sens, CJUE 20 sept. 2017, Andriciuc, aff. C-186/16, pts nos 37 s. ; D. 2017. 2401
, note J. Lasserre Capdeville
; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; AJDI 2018. 208
, obs. J. Moreau
; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon
).
Il en résulte alors que les clauses litigieuses décriées par les emprunteurs transfrontaliers dans leurs pourvois respectifs ne peuvent, en principe, bénéficier de la législation sur les clauses abusives, sauf à démontrer qu’elles n’ont pas été rédigées de façon claire et compréhensible.
Reste alors à déterminer si tel était effectivement le cas dans les arrêts soumis à notre étude. Pour ce faire, les Hauts magistrats rappellent le droit positif en la matière (pts nos 9 et 10 des décisions commentées).
Le caractère clair et compréhensible des clauses contestées s’apprécie à l’aune de l’exigence de transparence. Or, cette exigence a fait l’objet d’une jurisprudence abondante, tant de la Cour de justice de l’Union européenne (v. en ce sens, CJUE 30 avr. 2014, Kásler et Káslerné Rábai, aff. C-26/13, D. 2014. 1038
; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles
; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles
; 20 sept. 2017, Andriciuc, aff. C-186/16, préc. ; 20 sept. 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, aff. C-51/17, Dalloz actualité, 26 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1861
; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki
; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin
; 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, aff. C-776/10 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 2288
, note C. Aubert de Vincelles
; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki
; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin
; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais
) que de la Cour de cassation (v. en ce sens, Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-16.316, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 788
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin
; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legeais
; 7 sept. 2022, n° 20-20.826, Dalloz actualité, 15 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1557
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; 18 sept. 2024, n° 22-21.976).
Toutefois, cette jurisprudence s’est notamment développée dans l’hypothèse spécifique de contrats de prêts prévoyant comme monnaie de compte une devise distincte de celle utilisée comme monnaie de paiement (à savoir, dans la plupart des cas, un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros) mais également dans celle similaire de contrats de prêts prévoyant comme monnaie de compte et de paiement une devise distincte de celle dans laquelle l’emprunteur percevait ses revenus à la date de conclusion du prêt (à savoir, par ex., un prêt libellé et remboursable en francs suisses alors que les revenus de l’emprunteur sont perçus en lei roumains). C’est donc dans ces situations particulières que les juges ont, peu à peu, dessiné les contours de l’exigence de transparence.
Partant, cette exigence – dont les principales règles sont retracées aux paragraphes 9 et 10 des arrêts commentés – impose de vérifier non seulement que la clause litigieuse soit compréhensible sur les plans formel et grammatical mais aussi que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme. Sous cet angle, les juges doivent rechercher si la banque a bel et bien fourni aux emprunteurs – entendus comme des consommateurs moyens, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés – « des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat » (pt n° 10 des décisions commentées). Néanmoins, pour que cette recherche soit effectuée, encore faut-il que l’emprunteur démontre avoir été soumis à un risque de change.
Or, c’est précisément l’existence, ou non, d’un tel risque qui a conduit la Haute juridiction à opérer une distinction dans sa jurisprudence relative aux prêts libellés en devises étrangères. Le 1er mars 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, considéré qu’aucun risque de change ne pesait sur l’emprunteur ayant consenti un prêt libellé et remboursable dans une devise étrangère et percevant, lors de la conclusion dudit prêt, ses revenus dans cette même devise (pt n° 11 des décisions commentées). Autrement dit, dans une pareille situation, le caractère clair et compréhensible de la clause contestée était apprécié « au regard d’un risque de change évalué uniquement au jour de la conclusion du prêt » (pt n° 12 des décisions commentées). En somme, les Hauts magistrats avaient enserré l’évaluation du risque de change dans un critère temporel strict : la date de conclusion du contrat.
Cette décision avait alors été décriée par certains auteurs. Le professeur Garance Cattalano avait notamment défendu l’idée selon laquelle le risque de change auquel était exposé l’emprunteur était « mesuré mais présent » (v. en ce sens, G. Cattalano, Prêts en francs suisses aux frontaliers : encore un peu de résistance au droit de l’Union ?, JCP 2023. 541). Certes, à la date de souscription du contrat, il n’existait aucun risque de change pour l’emprunteur puisque ce dernier percevait ses revenus dans la même devise que celle dans laquelle le prêt était libellé et remboursé. Néanmoins, dans son analyse, l’auteur avait pointé que, dans les faits à l’origine de l’arrêt précité de mars 2023, l’opération servait à financer une acquisition immobilière en France. Dès lors, si le bien avait été revendu avant le terme du prêt, le capital aurait été dégagé en euros exposant alors indéniablement l’emprunteur à un risque de change. Tel aurait également été le cas si l’emprunteur ayant la qualité de travailleur transfrontalier avait perdu, au cours de l’exécution du contrat de prêt, ses revenus. En somme, le professeur Cattalano concluait son commentaire de la manière suivante : « il est donc faux de considérer qu’il n’existe ici aucun risque de change, même si ce risque est moindre par rapport à des revenus en euros ».
Or, ces deux facteurs – à savoir, d’une part, une acquisition immobilière située dans un pays où la monnaie ayant cours légal n’est pas celle dans laquelle le prêt est libellé et remboursé et, d’autre part, la qualité de travailleur transfrontalier – se retrouvent dans les deux présents arrêts du 9 juillet 2025. Il est vrai que pour chacune de ces affaires, les biens immobiliers objets des prêts litigieux se situaient en France. Partant, les immeubles étaient localisés dans un État dans lequel la monnaie ayant cours légal (l’euro) était différente de la monnaie de compte et de paiement (le franc suisse). Plus encore, dans le pourvoi n° 24-19.647, l’emprunteur qui travaillait en Suisse au jour de la conclusion des contrats avait finalement été licencié. Dès lors, durant l’exécution des quatre prêts contestés, ses principales ressources financières étaient constituées des indemnités de chômage et des loyers tirés de ses investissements locatifs. Or, l’une comme l’autre était perçue en euros alors même que le prêt était libellé et remboursé en francs suisses. On comprend donc pourquoi les demandeurs au pourvoi faisaient valoir, dans leurs moyens respectifs, qu’ils étaient exposés à un risque de change.
En dépit de l’avis contraire de l’avocat général, la première chambre civile a donc amendé sa jurisprudence afin de prendre en compte « [le risque de change] auquel l’emprunteur s’exposait pendant toute la durée du contrat » (pt n° 12 des décisions commentées). En procédant de la sorte, la Cour de cassation élargit donc le critère temporel : le risque de change supporté par l’emprunteur transfrontalier n’est désormais plus uniquement restreint à la date de conclusion du contrat litigieux mais s’entend également pendant toute sa durée.
Les Hauts magistrats poursuivent alors leur motivation en énonçant que lorsqu’un prêt libellé dans une devise étrangère stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change sur l’emprunteur, « il convient, pour assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive [n° 93/13/CEE du 5 avr. 1993], de prendre en compte l’ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu’à son terme, permettant de satisfaire l’exigence de transparence nécessaire à sa complète information » (pt n° 13 des décisions commentées).
De manière fort opportune, les juges précisent leurs propos en listant quelles seraient ces « circonstances » à prendre en compte. Ces derniers ajoutent, en effet, que « Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l’emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l’objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte » (pt n° 13 des décisions commentées). À ce titre, il convient de relever l’emploi de l’adverbe « notamment » lequel permet d’affirmer que la liste dressée par la Cour de cassation n’est pas exhaustive. Partant, rien n’empêchera les futurs plaideurs et leurs avocats de proposer d’ajouter de nouvelles illustrations, à condition évidemment de répondre aux deux exigences posées par la première chambre civile : d’une part, que cette circonstance nouvelle ait été présente lors de la conclusion du contrat et d’autre part, que son évolution, jusqu’au terme dudit contrat, soit raisonnablement prévisible.
Pour conclure, les Hauts magistrats synthétisent les obligations à la charge du prêteur. Ils énoncent, en effet, que « l’établissement financier qui propose un prêt libellé en devises étrangères, doit fournir à l’emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d’un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d’exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l’emprunteur de mesurer, notamment, l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l’emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours du contrat » (pt n° 14 des décisions commentées).
En somme, les paragraphes 13 et 14 de la motivation retenue par la Cour de cassation se démarquent à deux égards. D’une part, ils offrent un vademecum aussi précieux que pédagogique pour les juges du fond. En précisant l’ensemble des exigences à satisfaire pour assurer au consommateur une « protection adéquate et efficace » (pt n° 13 des décisions commentées), les Hauts magistrats impulsent une ligne de conduite claire à l’attention des juridictions de premier et second degré. D’autre part, ils tendent à unifier la jurisprudence française en la matière. La première chambre civile vise, en effet, de manière générale, l’hypothèse d’un prêt libellé en devises étrangères (pt n° 13 : « un prêt consenti dans une devise étrangère » et pt n° 14 : « un prêt libellé en devises étrangères »).
Cette harmonisation est heureuse puisqu’elle ne conduit plus à opérer une quelconque distinction entre, d’un côté, les contrats de prêts prévoyant comme monnaie de compte une devise distincte de celle utilisée comme monnaie de paiement et, de l’autre, ceux où les monnaies de compte et de paiement sont libellées dans la même devise.
Sur la portée du revirement de jurisprudence
Si les deux arrêts du 9 juillet 2025 édictent en substance la même solution, ils donnent cependant lieu à des applications distinctes.
L’affaire n° 24-19.647 aboutit à un arrêt de cassation pour défaut de base légale. Afin de comprendre la censure des Hauts magistrats, il convient de revenir sur l’arrêt rendu en cause d’appel.
Pour rejeter la demande de l’emprunteur fondée sur le caractère abusif de certaines clauses présentes dans les quatre contrats de prêts litigieux, les juges du fond avaient appliqué la solution initiée par l’arrêt précité du 1er mars 2023. Ils avaient, en effet, rappelé que la protection renforcée issue de la directive n° 93/13/CEE précitée ne s’appliquait qu’aux emprunteurs exposés à un risque de change. Or, dans la mesure où la juridiction d’appel avait admis que l’emprunteur ne démontrait pas avoir été soumis à un tel risque, elle avait considéré que ce dernier « [avait] bénéficié d’une information concrète, suffisante et exacte portant sur le mécanisme du prêt en devise suisse » (pt n° 21 du pourvoi n° 24-19.647).
Sans surprise, les Hauts magistrats censurent le raisonnement. Ils appliquent alors immédiatement la solution nouvelle en précisant que la Cour d’appel aurait dû « rechercher, comme il lui était demandé si (…) les prêts libellés en devises étrangères n’exposaient pas l’emprunteuse à un risque de change pendant toute la durée d’exécution du contrat » (pt n° 22 du pourvoi n° 24-19.647).
La première chambre civile reprend les exemples listés, de manière non exhaustive, au paragraphe 13 de sa motivation puisqu’elle précise que le risque de change pesant éventuellement sur l’emprunteur doit être apprécié « au regard de sa situation de travailleur transfrontalier, de sa domiciliation et de la localisation des biens immobiliers financés ».
Ainsi, la cour d’appel de renvoi devra déterminer si l’emprunteur est effectivement exposé « à un risque de change pendant toute la durée du contrat » (pt n° 22 du pourvoi n° 24-19.647). Pour autant, même si tel est bel et bien le cas, les clauses litigieuses ne seront pas systématiquement déclarées abusives. Les juges pourraient, en effet, admettre que la banque a satisfait à ses obligations. Tel est d’ailleurs le cas dans l’affaire n° 24-18.018.
Cette seconde affaire aboutit, en effet, à un arrêt de rejet. Contrairement à la première espèce, cette décision sera très certainement davantage profitable aux praticiens puisqu’elle met en œuvre le vademecum que nous évoquions précédemment. Pas à pas, les Hauts magistrats retracent, en effet, le raisonnement suivi par les juges du fond (pts nos 15 à 18 du pourvoi n° 24-18.018).
Ainsi, après avoir relevé que la clause litigieuse constituait l’objet principal du contrat, les juges rappellent qu’elle échappe en principe au contrôle de son éventuel caractère abusif, sauf à démontrer qu’elle n’a pas été rédigée de manière claire et compréhensible.
Pour s’en assurer, les magistrats retiennent « d’abord, la clarté grammaticale » de la clause litigieuse (pt n° 15 du pourvoi n° 24-18.018) conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Reste alors, ensuite, à vérifier que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de sorte que l’emprunteur « soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles les conséquences économiques qui en découlent pour lui » (pt n° 16 du pourvoi n° 24-18.018). À cette fin, les juges du fond concentrent leur analyse sur les informations stipulées dans l’offre de prêt mais également sur celles présentes dans les notices d’informations émargées par le consommateur.
Ces stipulations sont issues du rapport du conseiller rapporteur Mme Tréard, disponible en libre accès sur le site de la Cour de cassation.
Offre de prêt – paragraphe « REMBOURSEMENT » :
« les remboursements s’effectueront dans la devise figurant dans l’offre : par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en devises de l’emprunteur (…). Ou à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en euros de l’emprunteur. Il supportera donc intégralement en cas d’achat de devises au comptant ou à terme, le risque de change ».Offre de prêt – paragraphe « DISPOSITION PARTICULIÈRE RELATIVE AU RISQUE DE CHANGE » :
« Il est expressément convenu que le risque de change sera supporté en totalité par l’emprunteur, conformément aux dispositions de la règlementation des changes et qu’en conséquence, le présent prêt ne pourra faire l’objet d’une couverture de risque de change par achat à terme par l’emprunteur, du capital à rembourser et des intérêts à régler, que dans la mesure où la règlementation des changes l’autorise. Il reconnaît à cet égard avoir été informé par le prêteur l’avisant du risque particulier lié à ce type de prêt notamment par la notice d’information sur les prêts en devises, ci-annexée.Notice d’information édictée par la banque relative aux prêts en devises :
« L’emprunteur de devises bénéficie d’un taux d’intérêt, fixé pour une période définie, qui n’est pas lié au marché financier français. Ce taux peut donc paraître particulièrement favorable selon la devise choisie par rapport à des prêts en euros.
Mais attention, le taux n’est pas le seul élément qui intervient dans le coût de ce type de prêt. Selon que, au moment des paiements d’intérêts et du remboursement en capital, la devise à monter ou baissé sur le marché des changes par rapport à l’euro, la perte éventuelle est intégralement à la charge de l’emprunteur, de même que le gain éventuel est intégralement à son profit.
Nous pensons qu’il est important pour l’emprunteur de garder ces éléments à l’esprit pendant toute la durée du prêt et l’invitons à contacter son agence habituelle s’il devait estimer qu’une couverture de risque de change (par achat à terme) pourrait être opportune ».Document d’information établi en application de la recommandation de l’autorité de contrôle prudentiel des banques du 6 avril 2012 :
« Le cours de change peut évoluer à tout moment, à la hausse ou à la baisse et avoir des conséquences financières importantes sur le coût total du prêt en devises. Le risque de change doit être apprécié lors de la demande de financement mais aussi sur le long terme car votre situation personnelle peut évoluer (perte de revenus dans la devise) (…). Les cours de change des différentes devises sont cotés sur les marchés des changes, ils varient en permanence à la hausse comme à la baisse (…).Le risque de change est lié à la variation du cours de change. Ces variations peuvent avoir pour votre projet des conséquences financières importantes lors :
1. de la mise en place de votre financement,
2. du paiement des échéances,
3. d’un remboursement par anticipation ».
Après une analyse minutieuse de chacune des stipulations, les juges du fond concluent que l’emprunteur « a pu se convaincre de la portée de la clause litigieuse » (pt n° 17 du pourvoi n° 24-18.018).
Les constations et appréciations de la Cour d’appel font l’objet d’un contrôle lourd de la première chambre civile. Les Hauts magistrats énoncent, en effet, que les juges du fond ont « écarté à bon droit la demande tendant à voir constater le caractère abusif d’une clause relative à l’objet du contrat » (pt n° 18 du pourvoi n° 24-18.018).
Le paragraphe 17 de la motivation de la Cour de cassation se révèle alors particulièrement salutaire pour les praticiens. Il met, en effet, en exergue les différents points sur lesquels les juges devront opérer leur contrôle pour s’assurer que l’établissement bancaire a satisfait à son obligation à savoir, exposer de manière claire et transparente le fonctionnement concret du prêt ainsi que ses éventuelles conséquences sur toute la durée du contrat.
Civ. 1re, 9 juill. 2025, FS-B, n° 24-19.647
Civ. 1re, 9 juill. 2025, FS-B, n° 24-18.018
par Fiona Hilaire, Doctorante en droit à l’Université d’Aix-Marseille (LDPSC - UR 4690)
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