Saisie conservatoire de navire : articulation de la Convention de Bruxelles de 1952 avec le code des transports
Si les règles de procédure relatives à l’obtention de l’autorisation de saisir conservatoirement un navire sont régies par la loi de l’État contractant dans lequel la saisie a été demandée, la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1er de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte.
Ayant pour finalité l’immobilisation d’un navire au port, la saisie conservatoire de navire est pratiquée par un créancier dans le but de faire pression sur son débiteur afin que ce dernier s’acquitte de ses dettes ou, du moins, délivre une garantie (Rép. pr. civ., v° Saisie des bateaux, navires et aéronefs, par J.-B. Racine, déc. 2014, actualisé par. G. Payan, spéc. nos 41 s.).
Au titre des originalités de cette procédure, on peut rappeler l’existence de différents corps de règles et l’exigence corrélative de clairement définir les bases de leur articulation. D’une part, les dispositions générales du code des procédures civiles d’exécution (C. pr. exéc., art. L./R. 511-1 s.) s’appliquent à défaut d’application des dispositions spécifiques insérées dans le code des transports (C. transp., art. L. 5114-22 et R. 5114-15 s.). D’autre part, le droit français, ainsi constitué, ne s’applique qu’à défaut de l’application de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires.
Cette pluralité de dispositions en concurrence est d’autant plus délicate à appréhender lorsque les solutions qui y sont privilégiées diffèrent. Ainsi en est-il notamment de la détermination des conditions requises pour pratiquer une telle saisie. Alors que l’article L. 5114-22 du code des transports exige que la créance dont se prévaut le demandeur paraisse fondée en son principe (retenant, en cela, seulement l’une des deux conditions subordonnant en droit commun l’octroi des mesures conservatoires, C. pr. exéc., art. L. 511-1), dans le dispositif de la Convention de 1952 il suffit d’alléguer une « créance maritime » au sens de son article 1er.
Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 10 septembre 2025 de la chambre commerciale de la Cour de cassation, une société algérienne avait affrété au voyage un navire (le Imedghassen) dont une autre société algérienne est l’armateur. La première a été autorisée, par un juge français, à saisir ledit navire à titre conservatoire dans un port français. En réaction, la seconde forme un recours. Elle demande et obtient non seulement la mainlevée de la mesure, mais également des dommages et intérêts. Pour parvenir à cette solution, la cour d’appel prend appui sur l’article 6, alinéa 2, de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 et estime que les règles de procédure relatives à l’obtention de l’autorisation de la saisie conservatoire sont régies par le droit interne français. Elle poursuit en précisant que si la société à l’origine de la mesure se prévaut d’une créance relevant effectivement du domaine d’application de l’article 1er de la Convention, cette créance – notamment en l’état de la production des contrats – ne paraît pas suffisamment fondée en son principe au sens de l’article L. 5114-22 du code des transports.
La Cour de cassation ne fait pas sienne cette analyse revenant à combiner le droit interne et le droit conventionnel. Au visa des articles 1er, 2 et 6 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, les Hauts magistrats considèrent que « si les règles de procédure relatives à l’obtention de l’autorisation de saisir un navire sont régies par la loi de l’État contractant dans lequel la saisie a été demandée, la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1er de la Convention, suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte » (arrêt, pt 5). En conséquence, ils cassent l’arrêt attaqué pour violation, par refus d’application, des articles 1 et 2 de la Convention et pour « fausse application » de l’article L. 5114-22 du code des transports. En d’autres termes, il est reproché à la cour d’appel d’avoir fondé sa décision sur ce dernier article, alors même qu’il ne trouvait pas application en l’espèce.
Dans cette affaire, l’application de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ne faisait aucun doute. Pour mémoire, ses dispositions s’appliquent lorsque la mesure est pratiquée dans un État contractant et qu’elle porte sur un navire battant pavillon d’un État contractant (Conv. Bruxelles, art. 8, § 1er). Ces conditions étaient ici pleinement remplies, la France (lieu de la saisie) et l’Algérie (pavillon du navire) sont toutes deux liées par cette Convention. La confusion vient de la portée qu’il convient de conférer à l’article 6, alinéa 2, de ladite Convention, suivant lequel « les règles de procédure relatives à la saisie d’un navire, à l’obtention de l’autorisation [judiciaire] visée à l’article 4 et à tous autres incidents de procédure qu’une saisie peut soulever sont régies par la loi de l’État Contractant dans lequel la saisie a été pratiquée ou demandée ». À l’évidence, la cour d’appel a retenu une interprétation extensive de ce texte de façon à l’étendre aux conditions d’obtention de l’autorisation judiciaire (et, par voie de conséquence, à la détermination de la créance cause de saisie), alors que la Cour de cassation le cantonne à des questions ayant trait au déroulement proprement dit de la procédure. Cette analyse restrictive emporte l’approbation en ce qu’elle respecte le principe de primauté des dispositions conventionnelles sur le droit interne, sans heurter l’esprit – plus libéral, sur ce point – de la Convention.
Com. 10 sept. 2025, F-B, n° 24-12.424
par Guillaume Payan, Professeur de droit privé, Université de Toulon
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