Saisie en valeur de l’objet du blanchiment entre les mains d’une société non mise en cause en ayant « personnellement profité »
La saisie visant une personne morale dirigée par un mis en examen est justifiée lorsque la valeur totale des biens confisqués dans le patrimoine de la société est inférieure à l’objet du délit de blanchiment qui lui est reproché et dont elle a personnellement profité, dès lors que l’immeuble par ailleurs saisi se trouve grevé d’une sûreté réelle dont le montant s’impute sur la valeur de celui-ci. Dans ce cas, la chambre de l’instruction n’est pas tenue de contrôler la proportionnalité de la saisie en valeur de biens correspondant, dans leur totalité, à l’objet du délit de blanchiment reproché.
Saisie de compte bancaire d’une société tierce
Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs de blanchiment aggravé, et de faux et usage, contre des personnes physiques, le juge d’instruction autorise la saisie – en valeur – d’une somme d’environ 38 000 € se trouvant sur le compte bancaire d’une personne morale dirigée par l’un des mis en examen. La société interjette appel de cette ordonnance de maintien en qualité de tiers propriétaire de cette somme.
Justification de la confirmation de la saisie au second degré
Il ressort de l’arrêt de la Cour de cassation que pour confirmer la saisie, la chambre de l’instruction avait relevé qu’il résultait de la procédure des indices que la société était impliquée dans un vaste schéma de blanchiment en bande organisée de tout délit et de fraude fiscale portant sur la somme totale de 60,5 millions d’euros, étant précisé que la société avait été pour sa part destinataire de la somme d’origine frauduleuse de plus d’1 700 000 € reçue d’une autre société. Les juges précisaient que la bonne foi de la société était exclue, dès lors qu’elle avait été constituée à des fins frauduleuses par l’autre société et qu’elle était dirigée par l’un des mis en examen. Ils relevaient encore que, dans une autre ordonnance de saisie immobilière par ailleurs rendue par le juge d’instruction (que la société requérante tentait d’utiliser pour démontrer, à travers une approche globale, le caractère disproportionné de la saisie de son compte bancaire), ce dernier relevait notamment que l’immeuble saisi, évalué à la somme de 3 680 000 €, demeurait grevé par deux hypothèques conventionnelles au profit d’une banque allemande d’un montant total de 3 444 000 €, portant donc sur la quasi-totalité de sa valeur. Les juges du second degré en déduisaient que la somme figurant sur le compte bancaire de la société encourait la confiscation en valeur comme étant proportionnée au produit des faits « reprochés à cette dernière » (bien que celle-ci ne soit pas mise en examen).
Enfin, ils ajoutaient que les difficultés financières susceptibles d’être rencontrées par la société étaient indifférentes, dès lors qu’elles n’étaient que la conséquence d’une activité découlant d’une opération de blanchiment et que la société était elle-même l’instrument de ce délit.
Moyens du pourvoi
Un pourvoi a été formé, et automatiquement examiné dans l’immédiat s’agissant d’un propriétaire tiers à la procédure. Au soutien de son recours, la société faisait valoir en premier lieu que le montant du produit des infractions poursuivies n’excédait guère 7 500 000 €, alors qu’il résultait des pièces de la procédure que les biens immobiliers déjà saisis atteignaient une valeur de près de 35 000 000 €, soit près de cinq fois ce montant, de sorte que la saisie apparaissait disproportionnée.
On sait en effet que « le montant cumulé des saisies pénales en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation » (Crim. 11 mai 2022, n° 21-82.280 ; réaffirmé postérieurement à l’arrêt commenté, Crim. 24 janv. 2024, n° 22-83.539).
En deuxième lieu, la société reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir répondu, pour apprécier la proportionnalité de la saisie par rapport à son patrimoine, que les difficultés financières qu’elle rencontrait n’étaient que la conséquence d’activités délictueuses. Enfin, en troisième lieu, la société s’offusquait de la prise en compte d’indices laissant présumer son implication dans un vaste schéma de blanchiment en bande organisée, alors qu’elle n’avait pas été mise en examen, ce qui excluait selon elle la réunion d’indices graves ou concordants à son encontre.
Rejet du pourvoi, fondé sur la notion de profit personnel
La chambre criminelle rejette ce pourvoi, en jugeant satisfaisants les motifs précités « dont il ressort que la valeur totale des biens confisqués dans le patrimoine de la société est inférieure à l’objet du délit de blanchiment qui lui est reproché et dont elle a personnellement profité, dès lors que l’immeuble par ailleurs saisi se trouve grevé d’une sûreté réelle dont le montant s’impute sur la valeur de celui-ci ». Elle ajoute que « la chambre de l’instruction, qui n’était pas tenue de contrôler la proportionnalité de la saisie en valeur de biens correspondant, dans leur totalité, à l’objet du délit de blanchiment reproché à la société et dont elle a personnellement profité, a justifié sa décision ».
Cet arrêt d’espèce, rendu en formation restreinte le même jour qu’une autre décision inédite relative à une autre saisie dans la même procédure (n° 22-86.867), est néanmoins publié. Il affirme l’exclusion de tout contrôle de proportionnalité de la saisie dans l’hypothèse où celle-ci porte sur l’objet d’une infraction dont le propriétaire concerné a « personnellement profité » (notion jusqu’alors inconnue en la matière), et emporte l’admission, dont on peut regretter qu’elle ne soit pas davantage justifiée, de la justification d’une saisie ordonnée en cours d’instruction basée sur le constat d’un profit personnel à l’égard d’une personne qui n’est pas mise en examen, alors même qu’un tel constat peut à l’évidence s’apparenter à une « accusation » en matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Crim. 10 janv. 2024, F-B, n° 22-86.866
© Lefebvre Dalloz