Saisie immobilière et opposabilité d’un bail : les liaisons dangereuses

Il résulte des articles 1743 du code civil et 684 de l’ancien code de procédure civile que le bail, même conclu après la publication d’un commandement valant saisie immobilière, est opposable à l’adjudicataire qui en a eu connaissance avant l’adjudication

La question de l’opposabilité d’un bail consenti par la partie saisie postérieurement à la délivrance du commandement de payer valant saisie se pose régulièrement aux praticiens de la procédure de saisie immobilière et la solution constante apportée par la Cour de cassation est loin d’être satisfaisante.

Pourtant, elle est parfaitement fondée en l’état actuel des textes et en réalité, ce n’est pas la solution de la Cour de cassation qui doit irriter les praticiens, mais plutôt leur passivité.

En effet, l’article L. 321-4 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que les baux consentis par le débiteur après la saisie sont, quelle que soit leur durée, inopposables au créancier poursuivant comme à l’acquéreur, la preuve de l’antériorité du bail pouvant être faite par tout moyen.

Comme le précisait Julie Couturier : « Il s’agit d’éviter que le saisi ne diminue la valeur vénale de son bien en consentant frauduleusement un bail pour décourager les futurs acheteurs » (Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-19.174, Dalloz actualité, 13 mars 2020, obs. J. Couturier ; D. 2020. 494 ; ibid. 1148, obs. N. Damas ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne ; AJDI 2020. 764 , obs. N. Damas ; Rev. prat. rec. 2020. 9, obs. Ulrik Schreiber ; ibid. 31, chron. D. Gantschnig ; RTD civ. 2021. 200, obs. N. Cayrol ), mais dans le même temps « un bail peut valoriser l’immeuble saisi et donc favoriser sa vente auprès d’investisseurs opérant en connaissance de cause » (N. Cayrol, L’opposabilité au créancier du bail de l’immeuble saisi, RTD civ 2021. 200 ).

Le créancier est le seul à pouvoir faire le choix, sous réserve du contrôle du juge de l’exécution.

Il faut rappeler que l’inopposabilité de principe n’est que la conséquence du statut de l’immeuble saisi qui est indisponible, avec restriction des droits de jouissance et d’administration du bien du saisi, que le saisi ne peut ni aliéner, ni grever de droits réels (C. pr. exéc., art. L. 321-2).

Mais ce principe trouve sa limite dans les règles générales régissant le contrat de louage (C. civ., art. 1708 à 1831) et plus précisément dans l’alinéa 1er de l’article 1743 qui dispose que : « Si le bailleur vend la chose louée, l’acquéreur ne peut expulser le fermier, le métayer ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine ».

C’est toujours au visa de l’article 1743 du code civil qu’avant comme après la réforme de la procédure de saisie immobilière, la Cour de cassation a toujours énoncé que le bail, même conclu après la publication d’un commandement valant saisie immobilière, « est opposable à l’adjudicataire qui en a eu connaissance avant l’adjudication » (Civ. 3e, 12 mars 1969, n° 67-11.470 ; 15 janv. 1976, n° 74-13.676 ; 20 juill. 1989, n° 88-13.413, AJDI 1990. 20 ; RTD civ. 1990. 101, obs. P. Rémy ; 23 mars 2011, n° 10-10.804, Dalloz actualité, 6 avr. 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 1596, note C. Juillet ; AJDI 2011. 785 , obs. N. Damas ; 9 juin 2016, n° 15-10.595, AJDI 2016. 859 , obs. F. de La Vaissière ).
Pour opter, le créancier poursuivant doit cesser d’être passif et se montrer actif, ce qui n’a pas été le cas dans l’arrêt commenté.

Les faits de l’espèce

Un créancier a engagé une saisie immobilière en 1994 – sous l’empire des articles 673 et suivants de l’ancien code de procédure civile – probablement en raison de péripéties procédurales diverses, mais aussi parce qu’avant l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure de saisie immobilière le 1er janvier 2007, l’absence de réquisition de l’adjudication n’étant pas sanctionnée par la caducité et le créancier pouvait reprendre la procédure à tout moment (sous réserve de l’absence de péremption du commandement), l’adjudication est intervenue le 11 octobre 2012.

En 2001, postérieurement au commandement, le 1er janvier 2001, la partie saisie a consenti divers baux, l’un d’entre eux ayant en outre été cédé à l’occasion de la procédure collective d’un des preneurs.

En principe, en vertu de l’article 684 de l’ancien code de procédure civile, qui précisait que les baux ayant acquis date certaine avant la signification du commandement pouvaient être annulés, ceux conclus après la signification du commandement devaient être annulés, ce bail aurait dû être annulé.

Préalablement à l’adjudication, le créancier poursuivant a assigné les locataires en nullité du bail.

L’adjudicataire, fort contrarié par ces baux, est intervenu volontairement à l’instance engagée initialement par le créancier poursuivant pour solliciter l’annulation des baux.

Pour corser le tout, en 2013, l’un des preneurs consentait un contrat de location-gérance à une société Corsica Red.

Par jugement du 9 avril 2018, le Tribunal de grande instance de Grasse (TGI Grasse, 9 avr. 2018, n° 11/03804) déboutait l’adjudicataire de sa demande de nullité des baux.

L’adjudicataire a interjeté appel et par arrêt rendu le 8 avril 2021 (Aix-en-Provence, 8 avr. 2021, n° 18/08818), la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui, curieusement, vise à la fois les articles L. 321-4 du code des procédures civiles d’exécution et 684 de l’ancien code de procédure civile, a infirmé le jugement et prononcé la nullité des baux et l’expulsion des locataires.

L’un des locataires s’est pourvu en cassation.

La réponse de la Cour de cassation

Tout aussi curieusement, le demandeur au pourvoi se fonde sur l’article L. 321-4 du code des procédures civiles d’exécution et soutient que si les baux consentis par le débiteur après l’acte de saisie sont, quelle que soit leur durée, inopposables au créancier poursuivant comme à l’acquéreur, le bail, même conclu après la publication d’un commandement aux fins de saisie immobilière, est opposable à l’adjudicataire qui en a eu connaissance avant l’adjudication.

S’agissant d’une procédure soumise à l’ancien régime de la procédure de saisie immobilière, le fondement juridique était erroné.

La Cour de cassation rectifie et casse l’arrêt en reprenant la position qui est la sienne depuis près de cinquante ans :

« Vu les articles 1743 du code civil et 684 de l’ancien code de procédure civile, applicable au litige » (…).
« Il résulte de ces dispositions que le bail, même conclu après la publication d’un tel commandement, est opposable à l’adjudicataire qui en a eu connaissance avant l’adjudication » (…).
« En statuant ainsi, alors qu’ayant constaté que l’adjudicataire avait eu connaissance du bail avant l’adjudication, la cour d’appel, qui ne pouvait que constater l’opposabilité de ce bail à l’adjudicataire, a violé les textes susvisés ».

La particularité de l’espèce

Outre que le litige relève d’une procédure de saisie-immobilière antérieure à la réforme de 2006, le créancier poursuivant ne s’était pas montré passif, puisqu’il avait engagé une action au fond en nullité des baux, avant l’adjudication.

Son tort est de ne pas avoir attendu l’issue de cette instance pour reprendre les poursuites, car en fixant l’adjudication en 2012, le créancier avait pris le soin d’informer par dire les candidats à l’acquisition de l’existence de cette instance, rendant ainsi les baux opposables à l’adjudicataire, avisé par ce biais de l’existence des baux, ces derniers lui devenant opposable.

La solution pratique préconisée

Lorsqu’un bail postérieur au commandement est porté à la connaissance du créancier poursuivant, deux possibilités :

  • il n’entend pas le contester et peut former opposition aux loyers dont les versements entre les mains du séquestre s’ajouteront au prix d’adjudication pour être distribué dans la procédure de distribution ;
  • il entend le contester et devra alors élever une contestation devant le juge de l’exécution dans le respect des formes imposées par l’article R. 311-6 du code des procédures civiles d’exécution en sollicitant du juge de l’exécution qu’il juge le bail inopposable à son égard et à celui de l’adjudicataire. Il doit donc être actif.

Étant rappelé que seule la réalité du bail et son antériorité par rapport à la signification du commandement de payer peuvent faire échec à la règle de l’inopposabilité (Civ. 2e, 6 juin 2013, n° 12-19.116, Dalloz actualité, 18 juin 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1466, obs. A. Leborgne ; RDP 2013, n° 07, p. 174, obs. A. Leborgne ; 10 janv. 2019, n° 17-27.420).

Comme le concluait Julie Couturier (Dalloz actualité, 13 mars 2020, préc.), « à défaut d’être prononcée par le juge de l’exécution en cours de procédure, l’inopposabilité du bail conclu ou renouvelé postérieurement à la saisie est toute relative ».

 

Civ. 2e, 16 janv. 2025, F-B, n° 21-17.794

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