Saisie pénale d’un immeuble appartenant à un majeur protégé : inconstitutionnalité de l’absence d’obligation légale d’information du curateur ou du tuteur

En ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne déférée fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que le magistrat instructeur ordonnant une saisie pénale immobilière soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense. D’ici à l’intervention législative attendue le 1er juillet 2025, une telle notification s’impose.

Renvoi d’une QPC par la Cour de cassation

Par un arrêt du 28 mai 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui lui avait été directement soumise, à l’occasion d’un pourvoi formé contre un arrêt confirmatif d’une ordonnance de saisie immobilière rendue par un juge d’instruction.

Cette QPC portait sur les dispositions combinées des articles 706-113 (dédié aux spécificités procédurales concernant les infractions commises par des majeurs protégés) et 706-150 du code de procédure pénale (saisie pénale immobilière), et critiquait le fait que ni l’une ni l’autre ne prévoient la notification de la décision de première instance puis, le cas échéant, de la date d’audience devant la chambre de l’instruction saisie d’un appel, au curateur ou au tuteur, en contrariété avec les droits de la défense du majeur protégé.

La QPC tenait compte, dans son libellé même, de la circonstance que le premier alinéa de l’article 706-113 du code de procédure pénale avait été récemment censuré par le Conseil constitutionnel. En effet, par une décision du 18 janvier 2024 (Cons. const. 18 janv. 2024, n° 2023-1076 QPC, Dalloz actualité, 5 févr. 2024, obs. B. Durieu ; D. 2024. 452 , note V. Tellier-Cayrol ; ibid. 1203, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ), celui-ci avait déclaré contraire à la Constitution la première phrase du premier alinéa de l’article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, en lui reprochant de ne pas prévoir l’avertissement du curateur ou du tuteur en cas de déferrement (mais seulement en cas de poursuites, de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, de certaines mesures alternatives aux poursuites ou de composition pénale, ou encore d’audition sous statut de témoin assisté).

Cette précision était toutefois superflue, et la Cour de cassation elle-même avait souligné que la question portait sur les quatrième et cinquième alinéas de l’article 706-113, et donc sur des dispositions distinctes. Si l’alinéa 1er de ce texte évoque l’obligation de prévenir le curateur ou le tuteur dans des hypothèses de poursuites, ou s’en rapprochant, les alinéas 4 et 5 concernent quant à eux les notifications, respectivement, des décisions et des dates d’audience au curateur ou au tuteur. C’est bien de cela dont il était question, puisque la saisie immobilière de l’article 706-150 du code de procédure pénale prend la forme d’une ordonnance, qui constitue une décision au sens du texte précédent. Or, la liste des décisions concernées apparaît limitative, puisque sont seulement évoquées les décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation.

Examen du grief par le Conseil constitutionnel et déclaration d’inconstitutionnalité

Au préalable, le Conseil constitutionnel a recentré la question comme portant uniquement sur les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale, et donc sur les dispositions générales du régime applicable aux majeurs protégés.
Il a ensuite constaté l’existence d’une atteinte aux droits de la défense, sans qu’il ait fallu passer par la dénonciation d’un incompétence négative du législateur, et selon le même schéma que la censure intervenue dans la décision précitée du 18 janvier 2024, ainsi que dans d’autres décisions (pour le placement en garde à vue, Cons. const. 14 sept. 2018, n° 2018-730 QPC, Dalloz actualité, 21 sept. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2018. 1757, et les obs. ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 454, Décision ; pour la perquisition, Cons. const. 15 janv. 2021, n° 2020-873 QPC, Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 619, et les obs. , note V. Tellier-Cayrol ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier ; pour une audience devant le juge d’application des peines, Cons. const. 12 févr. 2021, n° 2020-884 QPC, Dalloz actualité, 18 févr. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 286 ; AJ fam. 2021. 240, obs. V. Montourcy ; AJ pénal 2021. 168 et les obs. ; RTD civ. 2021. 387, obs. A.-M. Leroyer ).

Le Conseil a ici jugé : « lorsqu’il apparaît au cours de la procédure que le propriétaire du bien saisi est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités judiciaires d’informer de la décision de saisie son curateur ou son tuteur. Il n’est pas non plus prévu que ce dernier soit avisé, en cas de retour, de la date de l’audience de la chambre de l’instruction. Ainsi, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts » (consid. 9).

Ce considérant, désormais classique, fait directement écho à l’article 425 du code civil, selon lequel peut bénéficier d’une mesure de protection « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté ».

Eu égard à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel sur la protection du majeur protégé, il aurait été surprenant qu’une décision de saisie d’un immeuble, qui est incontestablement de nature à affecter ses intérêts patrimoniaux, puisse être considérée comme légitimement exclue par le législateur de sa liste de décisions devant être notifiées au curateur ou au tuteur. Le caractère limitatif de cette liste ne va pas manquer de (re)poser difficulté, et il est vraisemblable que sur la base de cette décision d’inconstitutionnalité, le législateur y intègre a minima toutes les décisions prononçant des saisies pénales spéciales.

Aménagements des effets de l’inconstitutionnalité

Précisément, l’intervention du législateur est attendue pour le 1er juillet 2025, date posée pour l’abrogation de ces textes créateurs de droits pour le majeur protégé. Il est précisé que les mesures prises avant la publication de la décision ne pourront être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité, mais qu’à compter de cette publication, la notification au curateur ou au tuteur devra intervenir « si des éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le propriétaire » d’un immeuble saisi « fait l’objet d’une mesure de protection juridique ».

 

Cons. const. 10 juill. 2024, n° 2024-1100 QPC

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