Saisie pénale mobilière : pas de remise à l’AGRASC aux fins d’aliénation pour faire des économies

Le procureur de la République ne peut pas décider sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 41-5 du code de procédure pénale, avant jugement, la remise à l’AGRASC de biens meubles aux fins d’aliénation au motif que la conservation de ces biens engendre des frais de justice particulièrement importants.

Dans le cadre d’une actualité propice à la réalisation d’économies budgétaires (v. not., Décr. n° 2024-124 du 21 févr. 2024 portant annulation de crédits, JO 22 févr. 2024, texte n° 2, Dalloz actualité, 27 févr. 2024, obs. P. Januel), il pourrait être tentant de limiter certains frais de justice à la charge de l’État comme les frais de saisie et de conservation des biens saisis (C. pr. pén., art. 800-1 et R. 92, 5°). Cependant, l’arrêt retenant notre attention rappelle qu’il convient d’être vigilant et de ne pas aller au-delà de ce que les textes prévoient.

En l’espèce, lors d’une enquête diligentée des chefs d’escroquerie aggravée et abus de biens sociaux, divers biens meubles ont été saisis au domicile du mis en cause. Le procureur de la République a ensuite pris la décision de remettre lesdits biens à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (ci-après AGRASC).

L’intéressé a exercé un recours contre cette décision devant la chambre de l’instruction. Afin de confirmer la décision critiquée, les juges du fond ont, entre autres, retenu que « les biens saisis, de natures diverses, sont soit volumineux et engendrent des frais de justice conséquents, soit nécessitent des conditions de conservation et d’entretien particulières pour éviter leur dépréciation ce qu’un service des scellés n’est pas en mesure d’offrir ».

Le mis en cause s’est alors pourvu en cassation. Au soutien de son pourvoi, il a avancé qu’au vu notamment de l’article 41-5 du code de procédure pénale, « l’aliénation d’objets saisis n’est possible que lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien » concerné.

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : le procureur de la République peut-il décider sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 41-5 du code de procédure pénale, avant jugement, la remise à l’AGRASC de biens meubles aux fins d’aliénation au motif que la conservation de ces biens engendre des frais de justice particulièrement importants ? La Cour a répondu par la négative et a cassé l’arrêt attaqué.

Un motif exclu : l’importance des frais de justice

Aux termes du deuxième alinéa de l’article 41-5 précité : « Le procureur de la République peut […] autoriser la remise à l’[AGRASC], en vue de leur aliénation, des biens meubles saisis dont la conservation en nature n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien. » L’article 99-2, alinéa 2, du code de procédure pénale octroie la même faculté au juge d’instruction.

Il en ressort que quatre conditions sont nécessaires pour que le parquet ou le magistrat instructeur puissent décider, avant jugement, la remise à l’AGRASC d’objets saisis aux fins d’aliénation : les biens dont l’aliénation est envisagée doivent être des meubles ; leur conservation en nature ne doit plus être nécessaire à la manifestation de la vérité ; ils doivent être confiscables selon les règles du droit pénal substantiel ; et la décision doit être motivée par la diminution de leur valeur résultant du maintien de la saisie.

S’agissant de la dernière condition relative au motif de la remise à l’AGRASC aux fins d’aliénation, comme la Cour régulatrice l’a précisé dans l’arrêt commenté, les textes ne prévoient pas qu’il puisse consister en « l’importance des frais de justice engendrés par la conservation des biens placés sous main de justice ».

En retenant un tel motif pour confirmer la décision du procureur de la République, la chambre de l’instruction avait donc méconnu l’article 41-5 précité. Une des explications possibles de l’erreur des juges du fond peut résider dans une volonté de faire preuve de pragmatisme. Un rapport parlementaire a d’ailleurs relevé que les magistrats étaient « soumis à des injonctions paradoxales : réaliser le maximum de saisies tout en limitant les frais de justice » ; et a alors proposé plusieurs mesures dans l’objectif de « réduire ces frais de gestion », dont celle de « supprimer la condition de dépréciation de la valeur du bien dans le temps prévue aux 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale » (L. Saint-Martin et J.-L. Warsmann, Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, Rapport parlementaire, 2013, p. 53 et 54).

Une autre explication peut être trouvée dans une confusion avec les dispositions applicables en matière de saisie pénale immobilière. En effet, le deuxième alinéa de l’article 706-152 du code de procédure pénale énonce que : « Lorsque les frais de conservation de l’immeuble saisi sont disproportionnés par rapport à sa valeur en l’état, le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’[AGRASC] à l’aliéner par anticipation. »

Le seul motif admissible : la diminution de la valeur dans le temps des biens concernés

Quoi qu’il en soit, le seul motif que pouvait retenir la chambre de l’instruction pour confirmer l’autorisation de la remise à l’AGRASC aux fins d’aliénation était la diminution de la valeur des biens concernés en raison du maintien de la saisie.

L’importance de ce motif repose sur l’idée qu’il permet de s’assurer que l’aliénation des objets saisis avant jugement présente un intérêt pour l’État, mais également pour le mis en cause. À l’issue de la procédure – qui peut être très longue –, le bien de ce dernier n’aura donc pas perdu de sa valeur. Il s’agit d’un élément pris en compte par la chambre criminelle pour juger les dispositions en cause conformes au droit de propriété tel qu’il est protégé par le premier article du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (Crim. 13 mars 2012, n° 11-85.512, inédit ; 20 sept. 2016, 2 arrêts, nos 15-83.223 et 15-83.224, inédits) ; et c’est d’ailleurs probablement ce qui explique que le législateur n’a pas suivi la proposition faite dans le rapport parlementaire suscité.

Il n’aurait toutefois certainement pas été compliqué pour la chambre de l’instruction de caractériser la condition de dépréciation de la valeur des biens saisis dans le temps. La Cour de cassation considère que cela relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et le contrôle qu’elle opère est plutôt léger. Elle a ainsi rejeté le pourvoi formé contre des arrêts dans lesquels la chambre de l’instruction s’était contentée d’affirmer, pour une moto (Crim. 28 févr. 2018, 2 arrêts, nos 17-82.158 et 17-82.159, inédits) ou un bateau (Crim. 28 févr. 2018, n° 17-82.157, inédit), qu’il s’agissait d’« un bien susceptible de se déprécier […] rapidement par l’effet du temps », sans le justifier plus concrètement. Il en a été de même pour un arrêt dans lequel les juges du fond avaient seulement, pour des véhicules automobiles, indiqué que « leur dépréciation ne manquera pas de se produire en cas de prolongation de la procédure d’instruction » (Crim. 13 mars 2012, n° 11-85.512, préc.). Ce n’est pas tant la nature du bien que l’emploi de la « bonne formule » par les juges qui semblent compter. Pour des « bijoux », la Haute juridiction a admis que la chambre de l’instruction peut considérer que « l’immobilisation pendant des années [de ces] biens […] est de nature à diminuer leur valeur, ne serait-ce que par leur usure naturelle » (Crim. 6 avr. 2016, n° 15-81.602, inédit) ; ou à l’inverse qu’« il n’est pas démontré que le maintien de la saisie soit de nature à diminuer la valeur des biens, s’agissant majoritairement de bijoux en or » (Crim. 6 nov. 2019, n° 18-86.921 P, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 2138  ; AJ pénal 2020. 36, obs. M. Hy  ; Procédures 2020. Comm. 19, obs. A.-S. Chavent-Leclère).

 

Crim. 27 mars 2024, F-B, n° 23-84.461

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