Saisine du magistrat instructeur, réquisitoire introductif et faits nouveaux
L’arrêt commenté rappelle, d’une part, le principe selon lequel le juge d’instruction ne peut instruire qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République et, d’autre part, les règles applicables lorsque le magistrat instructeur acquiert la connaissance de faits nouveaux.
 
                            Lorsqu’il est saisi à l’initiative du procureur de la République, le juge d’instruction ne peut, par principe, informer qu’après avoir été saisi d’un réquisitoire du procureur de la République, dans les conditions prévues aux articles 51 et 80 du code de procédure pénale.
En pratique, cette saisine du magistrat instructeur, dont on rappelle qu’elle est in rem, prend la forme d’un réquisitoire introductif au stade de l’ouverture d’information. Ultérieurement, cette saisine peut être élargie, lorsque sont révélés des faits nouveaux, par réquisitoire supplétif. La délimitation et l’étendue de ces actes de saisine présentent une importance capitale dès lors que ceux-ci encadrent strictement les faits sur lesquels le juge est autorisé à instruire.
Au cas de l’espèce, après avoir avalisé la faculté pour un juge d’instruction de consulter des procédures extérieures à sa saisine dans le but d’apprécier la pertinence de la jonction à l’information en cours et de l’opportunité de solliciter une extension de saisine, la Cour de cassation censure le formalisme irrégulier d’un réquisitoire introductif.
Découverte de faits extérieurs à la saisine initiale
Par application de l’alinéa 3 de l’article 80 du code de procédure pénale, lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d’instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes et procès-verbaux qui les constatent.
Avant toute communication au parquet, le magistrat instructeur est autorisé, de jurisprudence constante, à faire consigner la substance de ces faits nouveaux, et, le cas échéant, à effectuer des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance (Crim. 30 mai 1996, n° 95-85.954 P, D. 1996. 167  ; ibid. 167
 ; ibid. 167  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac
 ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ; 11 mai 2000, n° 99-85.100 P, D. 2000. 225
 ; 11 mai 2000, n° 99-85.100 P, D. 2000. 225  ). Toutefois, il ne peut, sans excéder ses pouvoirs, procéder à des actes qui, présentant un caractère coercitif, exigent la mise en mouvement préalable de l’action publique (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041 P, D. 1996. 198
). Toutefois, il ne peut, sans excéder ses pouvoirs, procéder à des actes qui, présentant un caractère coercitif, exigent la mise en mouvement préalable de l’action publique (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041 P, D. 1996. 198  , note J. Pradel
, note J. Pradel  ; ibid. 262, obs. J. Pradel
 ; ibid. 262, obs. J. Pradel  ; Rev. sociétés 1997. 125, note B. Bouloc
 ; Rev. sociétés 1997. 125, note B. Bouloc  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac
 ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ; 1er avr. 1998, n° 97-84.372 P, D. 1998. 430
 ; 1er avr. 1998, n° 97-84.372 P, D. 1998. 430  , note J. Pradel
, note J. Pradel  ; RSC 1998. 582, obs. J.-P. Dintilhac
 ; RSC 1998. 582, obs. J.-P. Dintilhac  ; ibid. 1999. 110, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire
 ; ibid. 1999. 110, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire  ).
).
Au cas de l’espèce, le juge d’instruction avait sollicité, sur commission rogatoire, de divers tribunaux judiciaires qu’ils se « dessaisissent » de procédures en cours, menées en enquête préliminaire, relatives à d’autres faits de même nature que ceux dont il était déjà saisi. La défense avait alors soutenu que de tels actes avaient été réalisés hors de la saisine initiale du magistrat ; un moyen de nullité avait été présenté en ce sens, sans succès, devant les juridictions de fond.
Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation confirme ce rejet, après avoir retenu que ces transmissions de procédures, exécutées sur commission rogatoire, ne sauraient s’analyser en une demande de dessaisissement stricto sensu. En outre, la communication faite au magistrat mandant s’était effectuée sous le contrôle des procureurs de la République territorialement compétents, le juge d’instruction les ayant immédiatement communiquées à son parquet en vue d’une éventuelle extension de saisine. Ce faisant, le juge d’instruction n’avait fait procéder qu’à des vérifications sommaires, dénuées de caractère coercitif à l’égard de quiconque, destinées à apprécier la pertinence d’une jonction à son information et l’opportunité de solliciter une extension de saisine.
Formalisme du réquisitoire introductif
Par application du premier alinéa de l’article 80 du code de procédure pénale, le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République. Concrètement, le réquisitoire introductif est un acte écrit qui doit être daté et signé à peine de nullité (v. not., Rép. pén., v° Instruction préparatoire, par C. Guéry, nos 90 s.) : il permet spécialement de vérifier si les actes accomplis par le juge d’instruction l’ont été postérieurement à sa délivrance, auquel cas ils sont réguliers, ou antérieurement, auquel cas ils sont nuls (Crim. 23 avr., 1971, n° 70-92.577 P). Le réquisitoire introductif doit en outre comporter l’indication des faits poursuivis (lesquels se fondent sur l’existence d’une infraction existante et non la crainte d’une infraction à venir, Crim. 5 juin 2002, n° 01-87.656, D. 2003. 35  , obs. J. Pradel
, obs. J. Pradel  ; RSC 2002. 840, obs. D.-N. Commaret
 ; RSC 2002. 840, obs. D.-N. Commaret  ), le cas échéant par visa des pièces dont ils résultent (Crim. 11 juill. 1972, n° 72-90.719 P), ainsi que leur qualification juridique.
), le cas échéant par visa des pièces dont ils résultent (Crim. 11 juill. 1972, n° 72-90.719 P), ainsi que leur qualification juridique.
Devant la Cour de cassation, le contentieux relatif à la régularité du réquisitoire introductif est nourri, dès lors que les conséquences attachées à son annulation peuvent s’avérer potentiellement dévastatrices. Selon une formule bien établie en jurisprudence, la chambre criminelle s’attache à vérifier que le réquisitoire introductif répond, « en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ». À titre d’illustration, un réquisitoire qui se borne à faire une référence abstraite aux codes NATINF des infractions reprochées n’est pas conforme aux exigences précitées (Crim. 20 déc. 2023, n° 23-83.565).
Au cas de l’espèce, le représentant du ministère public s’était contenté d’apposer une simple mention « avis favorable », au pied de l’ordonnance de soit-communiqué du juge d’instruction, sollicitant ses réquisitions sur une extension de saisine. Datée et signée, cette réponse du parquet avait été critiquée par la défense, dès lors que, littéralement, elle n’emportait aucune véritable réquisition d’informer supplétivement.
Et pour cause, requérir, c’est avant toute chose, demander solennellement quelque chose à quelqu’un, le procureur ayant ici tout au plus exprimé une opinion. Si les juges du fond avaient considéré qu’une telle mention marquait une volonté non équivoque de saisir supplétivement le juge, la Cour de cassation réprouve cette analyse : le parquetier n’avait en réalité pas mis en oeuvre la compétence, qu’il tient de l’article 80 du code de procédure pénale, de saisir le juge d’instruction, par un réquisitoire supplétif, des faits nouveaux qui avaient été portés à sa connaissance.
En d’autres termes, la chambre criminelle reproche au ministère public de n’avoir pas exercé pleinement ses prérogatives. Une analogie peut être faite avec un arrêt par lequel la formulation « vu et ne s’oppose » avait été jugée impropre à matérialiser des réquisitions aux fins de dessaisissement telles que prévues par l’article 706-77 du code de procédure pénale (Crim. 12 nov. 2015, n° 15-82.832 P, Dalloz actualité, 4 déc. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2015. 2377  ; RSC 2016. 362, obs. F. Cordier
 ; RSC 2016. 362, obs. F. Cordier  ).
).
Crim. 22 oct. 2024, FS-B, n° 24-81.695
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