Saisine par le CSE selon la procédure accélérée au fond : prise en compte de la date de signification de l’assignation
Dans le cadre de ses attributions consultatives, lorsque le CSE entend saisir le président du tribunal judiciaire statuant par procédure accélérée au fond, il doit faire signifier l’assignation dans le délai d’un mois – porté à deux mois en cas d’expertise – imparti. Il n’est en revanche pas nécessaire que l’assignation soit enrôlée dans ledit délai.
Il résulte de l’article L. 2312-15 du code du travail que le Comité social et économique (CSE) émet des avis et des vœux dans l’exercice de ses attributions consultatives. Il doit disposer à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur. Le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai préfix d’un mois ; ce délai étant porté à deux mois dans l’hypothèse du recours à un expert (C. trav., art. R. 2312-6). Le délai commence à courir à compter de la réception, par le CSE, des informations lui permettant d’évaluer l’opération projetée.
S’ils estiment ne pas disposer des éléments suffisants, les membres élus du CSE peuvent saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants (C. trav., art. L. 2312-15, al. 4). Cette saisine doit être effectuée dans le délai évoqué ci-dessus.
Or, pour mémoire, la procédure applicable en l’espèce constitue une procédure accélérée au fond, laquelle fonctionne en « deux étapes ». Selon l’article 481-1 du code de procédure civile, la première étape consiste à porter la demande par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet. Le seconde, impose de retourner au greffe l’assignation dument signifiée.
La lecture de l’article susvisé permet de distinguer les conséquences procédurales de chacune de ces deux étapes. Par requête adressée au président du tribunal, le demandeur sollicite l’autorisation d’assigner par procédure accélérée au fond. Le président rend alors une ordonnance autorisant l’introduction de l’action et le demandeur fait signifier une assignation par commissaire de justice. La demande est alors introduite.
Le juge est quant à lui saisi lorsque l’assignation est « placée » c’est-à-dire, lorsque l’assignation comportant les mentions de la signification est remise au greffe du tribunal (Soc. 6 juin 2018, n° 17-17.594 P, Dalloz actualité, 21 juin 2018, obs. J. Jourdan-Marques).
Deux étapes donc, pour un délai…
Se pose alors la question de savoir qui, de la signification ou du placement de l’assignation, doit être effectué dans le délai d’un mois, porté à deux mois lorsqu’un expert a été désigné ?
Là résidait la question posée à la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, impliquant pour la première fois la procédure accélérée au fond mise en œuvre dans le cadre des consultations d’un CSE.
Dans les faits, la SNCF réseau, dotée d’un CSE central et de six CSE d’établissement – dont fait partie le comité Zone de production Nord-Est Normandie –, a consulté les instances représentatives sur un projet d’optimisation des frais généraux administratifs. Le comité Zone Nord-Est Normandie a été convoqué pour être consulté sur le déploiement de ce projet dans le périmètre de l’établissement. Le comité a décidé de recourir à l’assistance d’un expert. Suivant le dépôt du rapport d’expertise en date du 8 juillet 2021, estimant qu’il ne disposait pas de suffisamment d’informations, le comité a saisi le président du tribunal judiciaire par requête aux fins d’être autorisé à assigner en urgence au visa de l’article L. 2312-15 du code du travail.
Le 6 septembre 2021, le comité a fait signifier une assignation à la société SNCF réseau. L’assignation a été enrôlée le 9 septembre 2021.
La Société SNCF réseau considérait que la remise de l’assignation au greffe était tardive, car placée en dehors du délai de deux mois. Selon elle, la demande du CSE se heurtait à une fin de non-recevoir.
Quant au CSE, il avançait que la signification de l’assignation avait été effectuée dans le délai de deux mois imparti de sorte que son action était recevable.
Pour la cour d’appel, « il résulte expressément de l’article 481-1, 2°, du code de procédure civile que le juge qui est appelé à statuer selon la procédure accélérée au fond est saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe ». Selon elle, le placement de l’assignation devait intervenir dans le délai de deux mois pour que la demande du CSE soit recevable (Paris, 5 janv. 2023, n° 21/18847). L’introduction de l’instance imposerait la saisine préalable du juge, rendue définitive par le placement de l’assignation. À s’en tenir à ce raisonnement, la fin de non-recevoir soulevée par la société SNCF réseau était fondée.
L’assignation doit être délivrée à l’employeur avant l’expiration du délai donné au CSE pour rendre son avis
Pourtant, la Haute juridiction, a régulièrement considéré que « lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de cette assignation, à condition qu’elle soit remise au greffe » (Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-23.411 P, Dalloz actualité, 3 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 2441
; AJ fam. 2016. 54, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; RTD civ. 2016. 92, obs. J. Hauser
).
La date d’introduction de la demande préexiste à celle de la saisine du juge de sorte que la signification de l’assignation doit être formée dans le délai imparti (Com. 4 oct. 2023, n° 22-14.439 B, Dalloz actualité, 20 oct. 2023, obs. C. Cagnoli ; RTD com. 2024. 162, obs. A. Martin-Serf
).
Pour illustration, la chambre sociale a pu décider « la demande en justice devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, étant formée par assignation, la date de saisine du juge s’entend de celle de l’assignation » (Soc. 6 juin 2018, nos 16-28.026 P et 17-17.594 P, préc.).
Dans l’arrêt commenté, la Haute Cour censure l’arrêt de cour d’appel, considérant que « la demande en justice devant le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, étant formée par assignation, la date de saisine du juge s’entend de celle de l’assignation ».
Cette position, procède d’un alignement entre les dispositions de l’article L. 2312-15 du code du travail et celles de l’ancien article L. 4614-13 du même code, relatives à la saisine du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés (L. Fin-Langer, Précisions sur l’interruption de la prescription d’une procédure accélérée au fond du CSE, Le Quotidien, 21 oct. 2024).
Plusieurs raisons permettent de justifier cet attendu.
D’une part, l’on ne manquera pas de relever qu’en pratique, la signification d’une assignation est interruptive des délais de prescription et de forclusion (C. civ., art. 2241). En ce sens, la signification emporte des conséquences juridiques distinctes de celles induites par son placement.
D’ailleurs, il échet de rappeler que l’enrôlement de l’assignation est lui-même assorti d’un délai. Le demandeur ne peut décider d’attendre éternellement de placer son assignation auprès du greffe. Tel qu’il ressort du 2° de l’article 481-1 du code de procédure civile, « le juge est saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date fixée pour l’audience ». À défaut de se conformer à ce délai, l’assignation est caduque.
L’enrôlement a donc pour effet de « confirmer » l’introduction de l’instance.
D’autre part, la cour d’appel, dans son arrêt du 5 janvier 2023, s’appuyait sur le 2° de l’article 481-1 du code de procédure civile sans en considérer le 1°. En effet, l’article précité énumère les « étapes » de formation, d’instruction et de jugement de la demande en matière de procédure accélérée au fond, établissant une hiérarchie en elles.
La demande doit d’abord être « portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet » et ensuite, faire l’objet d’un placement sous peine de caducité. Il en résulte que l’instance est introduite, non-pas par le placement de l’assignation mais par sa signification. En revanche, elle ne pourra prospérer qu’à la condition d’être placée (Cass., avis, 4 mai 2010, n° 10-00.002 P, D. 2010. 1347
; ibid. 2011. 1107, obs. M. Douchy-Oudot
; RTD civ. 2010. 535, obs. J. Hauser
; ibid. 614, obs. R. Perrot
).
Il en résulte que l’assignation signifiée dans le délai afférent à l’action mais, mise au rôle postérieurement à l’expiration du délai est recevable.
Pour cette raison, la Cour de cassation décidait que « doit être censurée la cour d’appel qui, pour déclarer irrecevables les demandes du comité social et économique […] retient que la remise d’une copie de l’assignation au greffe est intervenue le 9 septembre 2021, soit postérieurement à l’expiration du délai de deux mois […] alors qu’elle avait constaté que l’assignation avait été délivrée à l’employeur le 6 septembre 2021, soit avant l’expiration de ce délai ».
Soc. 9 oct. 2024, F-B, n° 23-11.339
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