Salarié déclaré inapte : cas de dispense de recherche d’un reclassement par l’employeur

Lorsque l’avis d’inaptitude mentionne expressément que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur est dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement.

Un salarié peut être déclaré inapte, par le médecin du travail, à reprendre l’emploi qu’il occupait lorsqu’il a été victime, selon le cas, soit d’une maladie ou d’un accident non professionnel soit d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Dans ces cas, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel (C. trav., art. L. 1226-2, dans l’hypothèse d’une maladie ou d’un accident non professionnel ; art. L. 1226-10, en cas d’accident du travail ou d’une maladie professionnelle).

L’obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur connaît toutefois des limites (sur l’ensemble de la question, B. Teyssié, [dir.], Guide de la rupture du contrat de travail 24/25, LexisNexis, fiche 20, p. 151 s.).

Ainsi, le licenciement peut être prononcé lorsque l’employeur justifie de son impossibilité de proposer un emploi ou en cas de refus par le salarié de l’emploi proposé.

Il en va de même lorsque le médecin du travail retient dans l’avis d’inaptitude l’une des deux précisions prédéfinies par le législateur, qui sont identiques en substance que le salarié ait été victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel, d’une part, ou d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, d’autre part : le licenciement est possible lorsque l’avis d’inaptitude précise que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (C. trav., art. L. 1226-2-1, en cas d’inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel) ou « que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi » (C. trav., art. L. 1226-12, en cas d’inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle).

La possibilité donnée au médecin du travail de formuler l’une de ces deux précisions sur l’avis d’inaptitude a été ouverte par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (art. 102), dont l’objet était, sur ce point, de mettre un terme à une jurisprudence qui avait été critiquée par une partie de la doctrine car elle imposait aux employeurs une obligation étendue de recherche d’un reclassement même lorsque le salarié avait été déclaré inapte à tout emploi dans l’entreprise (sur ce, Rép. trav., Contrat de travail à durée indéterminée : rupture, licenciement, motif personnel. Motif personnel non disciplinaire, par A. Fabre, § 291). Afin de faciliter la rédaction et la lecture des avis d’inaptitude, il est désormais fait usage de formulaires pré-imprimés sur lesquels figurent ces précisions, que le médecin du travail coche ou non en fonction des circonstances.

Si le législateur souhaitait ainsi mettre un terme au contentieux lié aux déclarations d’inaptitude, il faut reconnaître que son objectif n’a pas été atteint.

Outre le fait qu’une partie conteste parfois le principe même de l’inaptitude retenue par le médecin du travail, ce qui conduit à la désignation d’un médecin inspecteur du travail (pour une illustration récente, Soc. 10 janv. 2024, n° 22-13.464, Dalloz actualité, 25 janv. 2024, obs. F. Mélin ; D. 2024. 63 ; RDT 2024. 121, chron. Dorian Mellot ; ibid. 129, chron. S. Mraouahi ), voire d’un autre médecin (Soc. 22 mai 2024, n° 22-22.321, Dalloz actualité, 6 juin 2024, obs. F. Mélin ; D. 2024. 970 ), le contentieux relatif au reclassement lui-même ne s’est pas tari.

La Cour de cassation a ainsi récemment énoncé que l’employeur peut licencier le salarié s’il justifie du refus par celui-ci d’un emploi proposé dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail (Soc. 13 mars 2024, n° 22-18.758, Dalloz actualité, 27 mars 2024, obs. F. Mélin ; D. 2024. 548 ; SSL 2024, n° 2085, p. 17, note M. Swarcberg).

Par ailleurs, il existe des contestations liées aux appréciations divergentes que peuvent faire les parties de l’avis d’inaptitude, il est vrai parfois en raison d’une rédaction insuffisamment explicite ou claire de l’avis. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, en particulier pour l’employeur dans une première phase, d’examiner avec le plus grand soin les termes de l’avis d’inaptitude pour déterminer s’il est ou non soumis à l’obligation de recherche d’un reclassement (sur l’ensemble, F. Héas, Le reclassement du salarié inapte au regard des mentions de l’avis du médecin du travail, Dr. soc. 2023. 895 ).

Par exemple, dans une affaire dans laquelle le médecin du travail avait coché la case mentionnant que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » mais précisé dans le même temps que l’inaptitude faisait obstacle sur le site à tout reclassement dans un emploi, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir déduit de ces mentions que l’employeur n’était pas dispensé, par un avis d’inaptitude du médecin du travail limité à un seul site, de rechercher un reclassement hors de l’établissement auquel le salarié était affecté (Soc. 13 déc. 2023, n° 22-19.603, RDT 2024. 104, chron. M. Abry-Durand  ; SSL 2024, n° 2080, p. 101, note M. Swarcberg). Dans une autre affaire, le médecin du travail avait mentionné que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise mais il existait un groupe de reclassement, qui était constitué du comité social et économique ainsi que d’une autre société. La Cour de cassation a alors approuvé la cour d’appel d’en avoir déduit que l’employeur n’était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de cette autre société et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement, faute de l’avoir fait.

L’affaire jugée par la chambre sociale le 12 juin 2024 offre une nouvelle illustration de ce type de contentieux.

Un salarié, qui souffrait d’une maladie non professionnelle, avait été déclaré inapte par le médecin du travail, aux termes d’un avis d’inaptitude contenant les mentions suivantes : « Inaptitude définitive au poste de travail du fait des contraintes posturales et manipulations suite à étude du poste et des conditions de travail. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ».

Le licenciement avait ensuite été prononcé pour inaptitude, ce qui avait conduit le salarié à saisir le juge.

La cour d’appel avait dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, aux motifs que l’avis d’inaptitude ne mentionnait l’impossibilité de reclassement que dans l’emploi et non dans tout emploi, que la mention de l’emploi visait l’emploi occupé précédemment et qu’un salarié peut être inapte à un type d’emploi sans l’être nécessairement à tout emploi sauf indication en ce sens du médecin du travail qui était inexistante en l’espèce. Elle en a conclu que l’employeur aurait dû procéder à une recherche de reclassement.

La décision d’appel est cassée par l’arrêt du 12 juin 2024 car en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article L. 1226-2-1 du code du travail : dès lors que l’avis d’inaptitude mentionnait expressément que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur était dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement.

Cette solution ne peut qu’être approuvée. Malheureusement, il est certain que le contentieux va perdurer en ce domaine car même lorsque les parties sont de bonne foi, la rédaction de certains avis d’inaptitude conduit à des difficultés d’interprétation. Sans doute serait-il opportun que les formulaires utilisés par les médecins du travail soient réécrits en partie, afin qu’ils comportent plus de mentions pré-imprimées en ce qui concerne l’hypothèse d’une dispense de reclassement. Au-delà des deux mentions présentées ci-dessus selon lesquelles il existe une telle dispense (lorsque tout maintien du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement), il serait opportun d’intégrer de nouvelles mentions, notamment, pour préciser si la dispense vaut pour le seul emploi occupé par le salarié ou pour tout emploi, et si elle vaut pour le seul établissement où le salarié travaillait, pour l’ensemble de l’entreprise, pour l’ensemble du groupe ou encore pour les seules sociétés du groupe expressément visées par le médecin du travail.

 

Soc. 12 juin 2024, F-B, n° 23-13.522

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