Salarié protégé et plan de départ volontaire : compétence du juge administratif
Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une décision administrative autorisant la rupture amiable dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi assorti d’un plan de départs volontaires devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de la rupture au regard de la cause économique ou du respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
Lorsqu’un salarié protégé est compris dans un licenciement économique collectif, l’application des règles protectrices de la procédure spéciale doit être cumulée avec celle des règles propres au licenciement collectif. Or la répartition entre les champs de compétence des juridictions judiciaire et administrative dans l’hypothèse d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) n’est pas des plus simples à déterminer, en particulier lorsque la nécessité d’une autorisation de licenciement d’un salarié protégé vient s’adjoindre au projet de restructuration. Il est classiquement jugé en application du principe de séparation des pouvoirs qu’il n’appartient qu’à la seule autorité administrative saisie d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé d’apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si les règles de procédure préalables à sa saisine avaient été observées (Soc. 7 juill. 2009, n° 08-40.322, RJS 11/2009, n° 845). Mais quid d’une rupture tirée de la souscription à un plan de départ volontaire adossé à un PSE ? Telle était précisément l’hypothèse ayant donné lieu à l’arrêt du 26 juin 2024 par lequel la chambre sociale de la Cour de cassation va réaffirmer la limite de compétence du juge judiciaire.
En l’espèce, un groupe avait présenté au comité d’entreprise de l’une de ses filiales un document d’information sur le projet de reconversion/fermeture d’un site dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Un document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif incluant un PSE mixte a ensuite été soumis à la Direccte, laquelle l’a homologué.
Successivement, deux salariées non-cadres de la société titulaires d’un mandat de représentant du personnel, ont signé un protocole de rupture amiable pour motif économique, l’inspection du travail ayant autorisé ces ruptures.
Les intéressées ont ensuite formé un recours devant les juridictions prud’homales contestant notamment le motif économique de la rupture de leur contrat de travail.
L’employeur, insatisfait de la décision des juges du fond qui déclara le conseil de prud’hommes compétent pour statuer sur les demandes alors que les salariées détenaient un mandat de représentant, forma un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va accueillir favorablement l’argumentaire de l’employeur et prononcer la cassation au visa du principe de séparation des pouvoirs accompagné de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III.
La séparation des pouvoirs fondant la compétence du juge administratif
L’éminente juridiction va en effet poser clairement l’affirmation selon laquelle le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une décision administrative autorisant la rupture amiable dans le cadre de la mise en œuvre d’un PSE assorti d’un plan de départs volontaires devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de la rupture au regard de la cause économique ou du respect par l’employeur de son obligation de reclassement.
Or en l’espèce, les juges d’appel avaient considéré qu’il incombait au juge judiciaire de s’assurer que la réorganisation décidée par l’employeur était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
Mais dès lors que l’inspection du travail avait autorisé les ruptures amiables des contrats de travail des salariés pour motif économique, le juge judiciaire devait se trouver dépossédé de sa compétence. C’est en tout cas ce à quoi conduit le raisonnement de la chambre sociale de la Cour de cassation.
Cette solution s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence de la chambre sociale ourlant peu à peu les contours de la compétence du juge judiciaire en matière de PSE. Celle-ci s’était en effet déjà très récemment prononcée en considérant que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une décision de validation d’un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l’emploi devenue définitive, apprécier, par voie d’exception, la légalité des mesures figurant dans ce plan, en particulier celles déterminant les catégories professionnelles concernées par le licenciement (Soc. 12 juin 2024, n° 23-12.969 FS-B, Dalloz actualité, 27 juin 2024, obs. S. Norval-Grivet ; D. 2024. 1130
).
La solution s’inscrit dans une relative cohérence par rapport à la position esquissée en matière de licenciement, tout en l’étendant à l’hypothèse d’une rupture s’inscrivant dans le cadre d’un plan de départ volontaire. Il était en effet également jugé par la Haute juridiction qu’en l’état d’une autorisation administrative de licencier un salarié protégé accordée à l’employeur par l’inspecteur du travail, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur le caractère réel et sérieux de la cause de licenciement – avec quelques nuances, notamment lorsque le licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, auquel cas le caractère économique du licenciement et la régularité de l’ordonnance du juge-commissaire ne peuvent être discutés devant l’administration, le juge judiciaire devenant compétent pour apprécier la régularité de l’ordonnance du juge-commissaire (Soc. 23 mars 2016, n° 14-22.950, Dalloz actualité, 22 avr. 2016, obs. B. Ines ; D. 2016. 701
; RDT 2016. 263, obs. A. Fabre
; RJS 6/2016, n° 440).
Soc. 26 juin 2024, FS-B, n° 23-15.533
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