Sanction d’une banque en assurance emprunteur : insuffisante pour rendre effective la liberté de choix des assurés
Le 1er octobre 2025, la Direction départementale de la protection des populations du Bas-Rhin (DDPP), constatant des enfreintes au délai légal de dix jours ouvrés imparti aux établissements de crédit agréés pour répondre aux demandes de substitution d’assurance emprunteur, a condamné l’un de ces établissements à une amende d’un montant de 196 000 €, première sanction d’une banque en distribution d’assurance emprunteur.
 
                            Trop souvent, les contrats d’assurance de prêt distribués par les banques sont imposés aux emprunteurs, se montrent faibles en prestations (J. Delayen, Clause garantissant le risque d’invalidité de l’emprunteur : interpréter n’est pas réécrire, Dalloz actualité, 11 janv. 2023) et sont plus onéreux que ceux proposés par des entreprises d’assurance externes aux groupes bancaires. Nécessaire, bien tardive, cette sanction inaugurale remarquée est insuffisante, en regard de l’enjeu d’atteinte des objectifs de la loi. Sans amplification franche du processus de sanctions, en nombre et en montants, les banques agissant comme distributeurs d’assurance n’ont aucune raison de délivrer effectivement leurs droits aux assurés, initialement ou en substitution, ni de les conseiller correctement en assurance de prêt.
Le droit de l’assuré au libre choix de l’assurance de prêt n’est toujours pas effectif en France en 2025
L’assurance facultative de prêt (C. consom., art. L. 313-29) offre une garantie précieuse à l’assuré, comme au prêteur. En dépit des évolutions législatives successives depuis 2001 (Loi n° 2001-1168 du 11 déc. 2001 ; Loi n° 2022-270 du 28 févr. 2022 ; C. consom., art. L. 313-8, L. 313-9, L. 313-10, L. 313-30, L. 313-31 et L. 313-32 ; C. assur., art. L. 113-15-3 ; C. mut., art. L. 221-10-4), la liberté de choix de l’assurance emprunteur par le consommateur n’est toujours pas effective : pratiquement neuf contrats d’assurance de prêt sur dix sont imposés par les prêteurs (CCSF, Bilan de l’assurance emprunteur – 2023, 15 janv. 2024 ; SECURIMUT, Communiqué, 17 janv. 2024). L’Autorité européenne de supervision des assurances (EIOPA) critique d’ailleurs les « pratiques tarifaires déloyales » dans la vente d’assurance emprunteur et rappelle aux distributeurs l’exigence du « meilleur rapport qualité-prix » pour ces contrats (EIOPA, Mise en garde (2022) 0037187, 30 août 2022).Dans son rapport annuel de 2024, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) appelle généralement à mieux vérifier l’utilité des contrats pour l’assuré (« value for money ») et à augmenter le professionnalisme des distributeurs d’assurance (L. Denis, Rapport annuel 2024 de l’ACPR et distribution d’assurance : utilité des contrats pour l’assuré et professionnalisme des distributeurs d’assurance, Dalloz actualité, 10 juill. 2025). Des incantations dont l’entité de supervision d’assurance et de banque se désintéresse ostensiblement en assurance de prêt.
Depuis le 1er septembre 2022, tout emprunteur peut résilier (C. assur., art. L. 113-12-2, al. 1er et C. mut., art. L. 221-10, al. 3) tout contrat d’assurance de prêt (massivement : de groupe) en proposant de lui substituer un autre contrat d’assurance emprunteur (généralement : en délégation) « […] dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d’assurance qu’il propose » (C. consomm., art. L. 313-30). Le prêteur dispose d’un délai de dix jours pour informer l’emprunteur « […] de sa décision d’acceptation ou de refus […] » (C. consom., art. L. 313-31). Dans la pratique, les établissements de crédit agréés s’organisent et résistent avec astuce pour contrarier cette substitution (APCADE, Observatoire de l’assurance emprunteur, nov. 2024), en particulier en jouant avec les procédures et avec les délais. Les difficultés de substitution d’assurance s’ajoutent alors aux pressions commerciales au placement initial du contrat d’assurance emprunteur.
N’importe quel marché dans lequel neuf consommateurs sur dix « élisent » (…) la même catégorie de produit devrait soulever un immense intérêt scientifique, voire quelques doutes en matière de méthodes commerciales. Pas en France. Hormis d’autres évolutions législatives possibles, le temps est surtout venu de la sanction des pratiques commerciales non conformes (Arr. du 3 nov. 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, art. 10, p).
En distribution d’assurance de prêt : la nécessité de montrer les contrôles et de passer aux sanctions
La protection du consommateur de contrats d’assurance (et bancaires) pâtit d’une faiblesse structurelle : la même entité, l’ACPR, est chargée à la fois de la supervision des professionnels de ce secteur et de la protection des consommateurs (C. mon. fin., art. L. 612-1, I). Or, la « protection des clients » et la « préservation de la stabilité du système financier » se montrent souvent incompatibles. Outre une recommandation lointaine (ACPR, Recomm. 2017-R-01 du 26 juin 2017), une déclaration d’intention évanescente (Revue de l’ACPR, nov. 2018) et une mise en garde pudiquement anonyme (ACPR, Communiqué de presse, 3 oct. 2018), l’ACPR ne formule guère de constat à la hauteur, ni surtout n’instruit ou ne prononce aucune sanction. Comme les années précédentes, les quatre axes de son programme de travail pour 2025 ne comportent aucune mention ni de protection des clients, ni de protection des assurés (ACPR, Programme de travail, 20 janv. 2025). Pourtant, près d’un Français sur trois (29,7 %) détient un crédit immobilier (37e observatoire des crédits aux ménages, 12 févr. 2025), dans un marché déprimé par les restrictions infondées du crédit immobilier aux ménages imposées depuis 2019 (HCSF, Recomm. R-HCSF-2019-1 du 20 déc. 2019 ; Décis. n° D-HCSF-2021-7 du 29 sept. 2021).
Le placement forcé d’assurance emprunteur comme la résistance à leur substitution sont des pratiques commerciales choquantes. Leurs conséquences sont abondantes. Elles entraînent des surcoûts pour les assurés : les marges de ces contrats s’illustrent par des ratios « sinistres à primes » (« S/P ») forts excédentaires ainsi que par des commissionnements élevés des distributeurs (IGF, Rapport n° 2013-M-086-02, nov. 2013 ; ACPR, Journée de protection des clientèles, 14 mars 2025). Elles provoquent la charge de paiements de primes en double, des défauts d’indemnisation (Médiateur de l’assurance, Étude de cas , 20 août 2024) ou même des « trous de garanties » (Médiateur de l’assurance, Étude de cas , 28 mai 2024).
Alors que les contrats conclus en ligne doivent, depuis le 1er juin 2023, pouvoir être résiliés en « trois clics » (C. consom., art. D. 215-1 ; Décr. n° 2023-417 du 31 mai 2023), la substitution d’assurance emprunteur s’avère aussi rude que la souscription libre d’un tel contrat : les demandes de substitutions stagnent, à moins de 200 000 par an (CCSF, Bilan de l’assurance emprunteur – 2023, préc., p. 17). Les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont habilités à effectuer des contrôles relatifs à la protection des consommateurs, y compris auprès des établissements de crédit et des intermédiaires, notamment d’assurance (C. consom., art. L. 511-3).
Après une enquête conduite entre le 18 août 2023 et le 24 mai 2024 auprès d’une banque, la DGCCRF a constaté « […] des dépassements importants du délai légal de dix jours ouvrés pour répondre aux demandes de substitution d’assurance emprunteur et pour modifier par avenant les contrats de prêts, contraignant en conséquence parfois l’emprunteur à payer une double cotisation d’assurance et à devoir en réclamer par la suite le remboursement. » Elle a prononcé une amende de 196 000 € (DDPP du Bas-Rhin, 1er oct. 2025). Hormis l’étrange calendrier de cette sanction (fin de contrôle en mai 2024, sanction en oct. 2025), sa publication discrète (dans le site de la DDPP du Bas-Rhin et non par celui de la DGCCRF) et sans détail (quelques informations, dont le montant de l’amende dont le calcul reste inexpliqué), celle-ci, sans grand impact, est insuffisante pour engager un quelconque changement. La carence béante dans la protection des clients, autant que la distorsion de concurrence, justifient pourtant un rythme de sanctions volontaristes. Isolée, de faible impact financier, cette décision n’est décidément pas à la hauteur de l’enjeu de résorption des pratiques commerciales agressives des réseaux bancaires, ni de saine concurrence ni d’atteinte des objectifs légaux de liberté de choix de l’assuré. Elle ne répond pas aux déficiences palpables d’un marché « important, captif (sic) et rentable » (21e Congrès des actuaires, 23 juin 2022).
Seul un processus sérieux de sanctions est à même de « renforcer la protection des consommateurs en assurant un meilleur équilibre contractuel entre l’assuré emprunteur et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs » (Cons. const. 12 janv. 2018, n° 2017-685 QPC, Dalloz actualité, 19 janv. 2018, obs. N. Kilgus ; D. 2018. 1299, et les obs.  , note S. Bros
, note S. Bros  ; ibid. 371, obs. M. Mekki
 ; ibid. 371, obs. M. Mekki  ; ibid. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre
 ; ibid. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre  ; AJ contrat 2018. 80
 ; AJ contrat 2018. 80  , obs. P.-Y. Gahdoun
, obs. P.-Y. Gahdoun  ; Constitutions 2018. 181, Décision
 ; Constitutions 2018. 181, Décision  ). Dans cette voie, les contrôles pourraient utilement s’appuyer sur le contrôle de la liberté effective laissée par les banques aux courtiers en crédit (C. mon. fin., art. R. 519-4, I, 1°) agissant comme intermédiaires d’assurance (C. assur., art. R. 511-2) qui devraient être en situation effective de proposer systématiquement des contrats d’assurance de prêt concurrents, ainsi que sur l’obligation de conseil en assurance (C. assur., L. 521-4) lors de la vente du contrat d’assurance emprunteur initial. Cette obligation, incluant naturellement ces contrats, fait l’objet de l’actualisation de la doctrine de l’ACPR à ce sujet (ACPR, Recomm. 2024-R-03 du 21 nov. 2024), laquelle entre en vigueur le 31 décembre 2025. L’ACPR pourrait opportunément saisir cette évolution pour exploiter les données de ses contrôles des pratiques commerciales des banques en assurance emprunteur et enclencher le processus de sanctions massives qu’exige la situation.
). Dans cette voie, les contrôles pourraient utilement s’appuyer sur le contrôle de la liberté effective laissée par les banques aux courtiers en crédit (C. mon. fin., art. R. 519-4, I, 1°) agissant comme intermédiaires d’assurance (C. assur., art. R. 511-2) qui devraient être en situation effective de proposer systématiquement des contrats d’assurance de prêt concurrents, ainsi que sur l’obligation de conseil en assurance (C. assur., L. 521-4) lors de la vente du contrat d’assurance emprunteur initial. Cette obligation, incluant naturellement ces contrats, fait l’objet de l’actualisation de la doctrine de l’ACPR à ce sujet (ACPR, Recomm. 2024-R-03 du 21 nov. 2024), laquelle entre en vigueur le 31 décembre 2025. L’ACPR pourrait opportunément saisir cette évolution pour exploiter les données de ses contrôles des pratiques commerciales des banques en assurance emprunteur et enclencher le processus de sanctions massives qu’exige la situation.
Dans un marché d’assurance emprunteur de l’ordre de dix milliards d’euros de cotisations brutes annuelles (l’absence de sources précises de chiffre d’affaires est regrettable), au moins trois milliards d’euros de cotisations sont prélevés aux assurés sans aucune contrepartie, massivement par les banques. Un processus sérieux et systématique de sanctions des écarts demeure nécessaire. La liberté de choix des emprunteurs, en assurance de prêt, s’impose. À terme, les tarifs des différents contrats d’assurance emprunteur, de groupe et en délégation, devront s’ajuste, nécessairement à la baisse. Alors, seule la compétence des distributeurs fera la différence : gageons qu’elle ne soit pas en faveur des banques.
par Laurent Denis, Avocat
© Lefebvre Dalloz