Sanctions contre un établissement de crédit pour défaillance du dispositif de lutte contre le blanchiment

La commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a prononcé un blâme et une sanction pécuniaire d’un montant de 2,5 millions d’euros à l’encontre d’un établissement de crédit en raison essentiellement de défaillances significatives dans son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Une fois encore, c’est pour des manquements à la législation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) qu’un établissement bancaire, en l’occurrence la BRED (Banque régionale d’escompte et de dépôts), établissement de crédit appartenant au groupe Banque populaire, est sanctionné par la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR ; v. pour une illustration récente, ACPR, commission des sanctions, 9 avr. 2024, décis. n° 2022-07, Dalloz actualité, 21 mai 2024, obs. X. Delpech ; blâme et sanction pécuniaire d’un montant d’un million d’euros à l’encontre d’un établissement de monnaie électronique à raison de manquements très sérieux qui affectaient gravement plusieurs éléments fondamentaux de son dispositif LCB-FT). Le reproche (grief 1) porte sur des défaillances significatives du dispositif LCB-FT de cet établissement au moment du contrôle, en particulier sur son dispositif de surveillance des opérations, de nature à affecter sa capacité à identifier et traiter efficacement les opérations atypiques (exclusion de certains comptes du champ du dispositif automatisé de surveillance, paramétrage inapproprié de certains scénarios, informations incomplètes sur le revenu ou le chiffre d’affaires dans la base clients, motivation insuffisante du classement sans suite des alertes, notamment). Pour rappel, l’article L. 561-32 du code monétaire et financier impose aux établissements assujettis aux obligations imposées en matière de LCB-FT de mettre en place une « organisation et des procédures internes pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, tenant compte de l’évaluation des risques […] ». L’article R. 561-38 du même code ajoute que ces établissements doivent s’assurer que l’organisation du dispositif LCB-FT « est adaptée à leur taille, à la nature de leurs activités ainsi qu’aux risques identifiés par la classification des risques mentionnée à l’article L. 561-4-1. Cette organisation doit être dotée d’outils, de moyens matériels et humains permettant la mise en œuvre effective de l’ensemble des obligations de vigilance […].

La commission des sanctions a, par ailleurs, retenu à l’encontre de la BRED un certain nombre de défauts d’examen renforcé et de déclaration de soupçons (griefs 3 et 4). L’obligation d’effectuer un examen renforcé a pour base juridique l’article L. 561-10-2 du code monétaire et financier qui prévoit que les établissements soumis aux obligations en matière de LCB-FT « effectuent un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite. Dans ce cas, ces personnes se renseignent auprès du client sur l’origine des fonds et la destination de ces sommes ainsi que sur l’objet de l’opération et l’identité de la personne qui en bénéficie ». La commission des sanctions a estimé que, compte tenu du caractère suspect et sans justification de certaines opérations effectuées par la clientèle (dépôt en compte d’espèces, de chèques ou de virements pour des montants élevés eu égard aux revenus des titulaires des comptes concernés), un examen renforcé était nécessaire (grief 3).

Quant à la déclaration de soupçon (DS), elle a pour fondement juridique l’article L. 561-15 du code monétaire et financier qui prévoit que les professionnels soumis aux obligations en matière de LCB-FT sont tenus de déclarer à Tracfin les sommes ou opérations dont ils « savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme ». Ainsi, par exemple, un organisme manque à son obligation de DS si, « au moment où il reçoit une réquisition judiciaire ou un droit de communication de Tracfin, il s’est abstenu de procéder à une DS alors qu’il y était déjà tenu en vertu des mêmes dispositions » (pt 37). Dans une affaire, la banque avait reçu une réquisition judiciaire pour des faits de blanchiment aggravé et d’escroquerie en bande organisée. À cette date, considère la commission des sanctions, une DS aurait déjà dû avoir été envoyée à Tracfin dans la mesure où les opérations effectuées par le client (remises de chèques pour un montant total de plus de 30 000 €, souvent pour des montants ronds, et environ 20 000 € de retraits d’espèces) étaient susceptibles de correspondre à une activité de blanchiment du produit d’infractions, la simple demande de banque de cesser ces remises et retraits ne suffisant pas (pt 37). Le grief est donc fondé (grief 4).

La commission des sanctions de l’ACPR considère donc que la plupart des griefs invoqués à l’encontre de l’établissement bancaire sont fondés. Elle reproche, en outre, à ce dernier de ne pas avoir « détaillé un programme de mesures de remédiation visant à corriger l’ensemble des carences constatées par la mission de contrôle » (pt 60). Circonstance aggravante, cet établissement est « un établissement important, dont les résultats financiers sont élevés et qui dispose d’importants fonds propres » (pt 61), en d’autres termes qui avait incontestablement les moyens de corriger ces carences. Pour la commission des sanctions, les manquements retenus justifient le prononcé d’un blâme et d’une sanction pécuniaire de 2,5 millions d’euros, ainsi que la publication de la présente décision au registre de l’ACPR sous forme nominative pendant une durée de cinq ans, puis son maintien sous forme non nominative (pt 62).

 

ACPR, commission des sanctions, 27 juin 2024, décis. n° 2023-01

© Lefebvre Dalloz