Sans clause de déchéance du terme, pas d’exigibilité immédiate
Dans un arrêt rendu le 3 octobre 2024, la deuxième chambre civile rappelle les conséquences du réputé non écrit d’une clause de déchéance du terme déclarée abusive par le juge de l’exécution.
Le contrôle des clauses abusives se retrouve, de nouveau, au cœur d’une décision publiée au Bulletin. L’actualité sur le sujet ne cesse d’affluer dans la droite lignée d’une jurisprudence tentaculaire de la Cour de justice de l’Union européenne. Nous avons croisé dans ces colonnes, ces dernières semaines, la réponse donnée par la deuxième chambre civile à une demande d’avis formulée par un juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris (Civ. 2e, avis, 11 juill. 2024, n° 24-70.001 P+B, Dalloz actualité, 10 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1374
). Le contentieux qui nous intéresse aujourd’hui est encore lié à une voie d’exécution mais la difficulté du pourvoi repose davantage sur le régime général des obligations que sur le droit judiciaire privé.
Les faits à l’origine du litige sont très classiques. Un établissement bancaire consent un crédit à deux personnes physiques par acte notarié du 15 juin 2004. Se fondant sur cet acte, le créancier poursuit la saisie immobilière d’un immeuble en raison de la défaillance de ses débiteurs. La banque créancière délivre donc, dans cette optique, un commandement de payer et assigne ces derniers à une audience d’orientation. Pendant ladite audience, les débiteurs font valoir que la créance n’est pas exigible dans la mesure où la déchéance du terme n’aurait pas été prononcée à l’égard de l’un d’eux. Ce moyen est rejeté par le juge de l’exécution. Par une première décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-19.269, AJDI 2021. 142
), l’arrêt rendu par les juges du fond en cause d’appel est cassé car la cour d’appel s’était fondée sur des conclusions prises à l’occasion d’une autre mesure d’exécution précédemment engagée pour en déduire un aveu judiciaire.
Voici l’affaire portée devant la même cour d’appel mais autrement composée. L’arrêt rendu à cette occasion juge abusive l’une des stipulations du contrat, à savoir la clause d’exigibilité immédiate. Toutefois, la cour d’appel fixe la créance de la banque à l’égard de l’un des deux débiteurs à la somme de 115 759,75 € et autorise la vente de l’immeuble. La cour fonde sa position sur l’envoi d’une lettre de mise en demeure, avant la déchéance du terme, au débiteur ainsi condamné.
Les débiteurs se pourvoient en cassation. Ils estiment que ce raisonnement n’est pas pertinent dans la mesure où la clause de déchéance du terme avait été réputée non écrite. Selon eux, la banque ne pouvait donc plus provoquer une telle exigibilité immédiate. L’arrêt du 3 octobre 2024 parvient, en effet, à une cassation pour violation de la loi ; une solution prévisible sous l’angle de la technique contractuelle et du régime général des obligations.
Les nuances du réputé non écrit
On apprend du moyen reproduit dans l’arrêt étudié que la clause de déchéance du terme avait été déclarée abusive en raison, d’une part, de son caractère très général – elle visait une défaillance pour une « somme due à quiconque » (pt n° 3 de l’arrêt examiné) – mais également pour son lien avec d’autres contrats. La convention de prêt date, en effet, de 2004 et il reste donc guère étonnant d’observer de telles difficultés de rédaction à une époque où la lutte contre les clauses abusives était, certes, déjà bien implantée mais encore très jeune. Ce caractère n’est, de toute manière, plus remis en cause à hauteur de cassation puisque dans la décision retranscrite, seules les conséquences du réputé non écrit importaient au couple débiteur, la banque ne s’étant pas pourvue en cassation.
La cassation pour violation de la loi résulte d’une confusion opérée par les juges du fond concernant seulement la portée de l’éradication de la clause abusive. La cour d’appel avait considéré que la banque avait pu correctement délivrer une mise en demeure à l’un des débiteurs et qu’elle pouvait donc attendre de lui un paiement immédiat des sommes dues. Ce raisonnement semble confondre clause de déchéance du terme simple et simple clause de dispense de mise en demeure préalable. Or, la stipulation concernée mêlait, certainement, les deux dans le même article du contrat (ce qui arrive en pratique très souvent). Si la clause de déchéance du terme est censée n’avoir jamais existé, le prêt continue d’être affecté par les termes suspensifs qui ont été choisis contractuellement. Par conséquent, la banque ne peut pas – avec ou sans mise en demeure – poursuivre l’exécution de toutes les sommes. Elle doit cantonner sa voie d’exécution aux sommes exigibles pour l’heure.
En d’autres termes, l’envoi de la mise en demeure est purement et simplement indifférent dans ce contexte. Sans la clef – à savoir une clause valide de déchéance du terme – la porte – l’exigibilité immédiate de toutes les sommes – reste inévitablement fermée. La solution est logique et ne repose finalement que très peu sur le droit de la consommation pour rester concentrée à juste titre sur la technique contractuelle, voire sur le régime général des obligations. Les clauses de déchéance du terme sont le seul moyen, en l’espèce, de provoquer l’exigibilité immédiate d’obligations qui sont accompagnées d’une modalité comme un terme suspensif. Dès lors, la cour d’appel ne pouvait pas dans le même temps éradiquer cette clause de déchéance du terme et appliquer sa substance au détriment de l’un des débiteurs ayant reçu une mise en demeure.
La conséquence est, évidemment, une difficulté supplémentaire pour l’établissement bancaire dans le recouvrement de son dû.
Un contrat sclérosé pour l’établissement bancaire
En résulte un sentiment certain d’âpreté pour l’établissement bancaire qui avait prévu contractuellement un moyen fort utile, avec cette stipulation, de sortir de l’ornière en cas de défaillance de son débiteur. La banque en sort très affaiblie car elle doit attendre chaque terme avant de pouvoir agir. Plus encore, elle devra même probablement patienter jusqu’à pouvoir rassembler un certain nombre d’échéances non réglées pour provoquer une voie d’exécution utile pour elle comme une saisie immobilière eu égard à la valeur de l’immeuble par rapport aux montants individuels de chaque mensualité. En somme, le créancier se retrouve dans une sorte d’impasse contractuelle qui n’avait pas été prévue initialement par les parties ayant opté pour le choix d’une clause d’exigibilité immédiate déclarée abusive près de vingt ans plus tard. Le contrat doit donc se poursuivre jusqu’à son dernier terme suspensif, sans pouvoir accélérer le processus.
Toutefois, la lutte contre les clauses abusives permet également aux établissements bancaires de prendre conscience de l’importance cruciale de la surveillance en amont de la rédaction des conventions de prêt. C’est en donnant une importance nette à la technique contractuelle que l’on peut éviter que des clauses de déchéance du terme mal rédigées, trop générales ou trop dangereuses se retrouvent réputées non écrites par le juge. L’influence de la Cour de justice de l’Union européenne est particulièrement palpable sur la question. L’interprétation rigoureuse de la directive 93/13/CEE se reflète alors inlassablement dans les décisions rendues par la Cour de cassation (v. not., Civ. 1re, 29 mai 2024, n° 23-12.904 F-B, Dalloz actualité, 4 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1012
; à propos d’une clause d’un contrat de prêt prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise demeure de régler restée infructueuse pendant 15 jours).
Le constat reste, d’ailleurs, encore plus douloureux pour la banque qui voit réputée non écrite la clause de déchéance du terme à l’ultime maillon de sa quête d’exécution. D’où l’importance pour les conseils des débiteurs de rester vigilants sur les clauses insérées au contrat à tous les échelons du procès pour profiter des conséquences utiles d’un réputé non écrit au sens du code de la consommation. Cette sanction particulière profite, en outre, de larges facilités procédurales même en cause d’appel (v. sur l’inapplication de la concentration temporelle des prétentions, Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640 FS-B, Dalloz actualité, 8 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 277
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; AJDI 2022. 290
; RDI 2022. 513, obs. J. Bruttin
; RTD com. 2022. 630, obs. D. Legeais
; RTD eur. 2023. 284, obs. A. Jeauneau
; sur l’imprescriptibilité de la sanction, Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974
, note J. Lasserre Capdeville
; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin
; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes
; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier
; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legeais
; RTD eur. 2023. 282, obs. A. Jeauneau
).
Voici un arrêt intéressant à propos de la lutte contre les clauses abusives en droit de la consommation. Son approche contractuelle est simple : sans clause de déchéance du terme, l’exigibilité immédiate de créances affectées d’un terme suspensif est impossible qu’il y ait eu mise en demeure ou non. Il faut alors attendre que chaque dette puisse être exigible au moment choisi par les parties.
Civ. 2e, 3 oct. 2024, F-B, n° 21-25.823
Lefebvre Dalloz