SAS, dirigeant personne morale et responsabilité pour insuffisance d’actif : les liaisons dangereuses, épisode 2

Lorsqu’une société par actions simplifiée est dirigée par une personne morale qui a désigné un représentant permanent conformément aux statuts de cette société, la personne physique dirigeant cette personne morale ne peut voir sa responsabilité pour insuffisance d’actif engagée si elle n’a pas également la qualité de représentant permanent.

Le 13 décembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonçait en ces termes qu’« il résulte de la combinaison des articles L. 227-7, L. 651-1 et L. 651-2 du code de commerce que, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire est une société par actions simplifiée (SAS) dirigée par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d’actif, prévue par le troisième texte précité, est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit, mais aussi par le représentant légal de cette dernière, en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d’une SAS » (Com. 13 déc. 2023, n° 21-14.579 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. T. Duchesne ; D. 2023. 2237 ). Un peu moins d’un an après, c’est à une précision de ce principe que s’adonnent les magistrats commercialistes de la Cour de cassation.

Les faits de l’espèce sont relativement simples. Une SAS était dirigée par une société personne morale, laquelle disposait d’un dirigeant personne physique. Après la mise en redressement puis en liquidations judiciaires de la SAS, le liquidateur a agi en responsabilité pour insuffisance d’actif (et en vue de la prononciation d’une mesure de faillite personnelle) à l’encontre du dirigeant personne physique de la société personne morale présidente de la SAS. Le tribunal de commerce lui a donné raison en condamnant ledit dirigeant pour insuffisance d’actif.

La Cour d’appel de Lyon (Lyon, 27 avr. 2023, n° 21/07129) a suivi le même mouvement en confirmant la condamnation. Pour ce faire, les juges du fond ont considéré que, dans la mesure où la société en cause était une SAS, l’article L. 225-20 du code de commerce n’était pas applicable ; article suivant lequel lorsqu’une personne morale est nommée administrateur, un représentant permanent doit obligatoirement être nommé et se trouve soumis aux mêmes responsabilités que s’il était administrateur en son nom propre. En revanche, l’article L. 227-7 du code de commerce régirait la situation lorsqu’est en cause une SAS, pour laquelle aucune obligation de nomination d’un tel représentant permanent n’existe. Partant, en application de celui-ci, le dirigeant de la personne morale présidente de la SAS doit être considéré comme revêtant également la qualité de dirigeant de droit de cette dernière et subir les responsabilités attachées à cette qualité.

Le dirigeant condamné ne l’a toutefois pas entendu ainsi dans la mesure où les statuts de la SAS stipulaient que sa personne morale présidente avait désigné un représentant permanent autre que lui-même, ce que n’avait pas recherché la cour d’appel. Dès lors, en cette situation, seul ce représentant permanent devait être considéré comme dirigeant de droit au sens de l’article L. 651-2 du code de commerce.

La chambre commerciale a heureusement donné raison au pourvoi, en cassant l’arrêt d’appel. Après avoir rappelé qu’il résulte de l’article L. 651-1 du code de commerce que la responsabilité pour insuffisance d’actif encourue au titre de l’article L. 651-2 du même code, est applicable aux personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales, elle énonce sous forme de principe que « lorsqu’une société par actions simplifiée est dirigée par une personne morale qui a désigné un représentant permanent conformément aux statuts de cette société, la personne physique dirigeant cette personne morale ne peut voir sa responsabilité pour insuffisance d’actif engagée si elle n’a pas également la qualité de représentant permanent ».

Cette solution est bienvenue en ce que, sans constituer un revirement de celle adoptée en décembre 2023, elle la précise, tout en permettant, du même coup, de mieux en cerner les conséquences.

La précision

Pour comprendre l’apport de la solution énoncée, encore faut-il remettre le problème traité dans son contexte juridique.

Si une SAS, comme une société anonyme, peut être dirigée par une personne morale, la réglementation de la SAS, contrairement à celle relative à la société anonyme (C. com., art. L. 225-20, al. 1er et L. 225-76, al. 1er), ne contient aucune obligation de désignation d’un représentant permanent (v. à cet égard, Caen, 23 févr. 2017, n°16/02556, Rev. sociétés 2017. 501, obs. P. Pisoni ). La différence n’est pas mince. En effet, dans le régime de la société anonyme, l’obligation de nommer un représentant permanent lorsqu’un administrateur est une personne morale vise à faire peser sur ce représentant les mêmes obligations et responsabilités que s’il en était lui-même administrateur. Au cas particulier de la responsabilité pour insuffisance d’actif, ce report de la responsabilité sur le représentant permanent de la personne morale dirigeante est souligné à l’article L. 651-1 du code de commerce, lequel énonce que les règles relatives à la responsabilité pour insuffisance d’actif sont applicables aux personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales. L’idée est alors assez simple : ne pas oublier que derrière une personne morale se cachent toujours des personnes physiques (comme le disait Carbonnier, « en fait […], ce sont toujours des personnes physiques qui dirigent la personne morale », J. Carbonnier, Droit civil. T. 1. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple, 2e éd., PUF, coll. « Quadrige », 2017, n° 369) et que la désignation d’une personne morale dirigeante ne doit pas être un masque destiné à éluder les responsabilités (rappr., P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., Dalloz, 2022, n°1451).

On voit alors apparaître la difficulté qui se pose lorsqu’une SAS est dirigée par une personne morale. Dans la mesure où aucune obligation de désigner un représentant permanent n’existe en cette situation, qui endosse les responsabilités ? L’article L. 227-7 du code de commerce donne un début de réponse à cette question, en précisant que si la SAS peut bien être dirigée par une personne morale, « les dirigeants de ladite personne morale sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s’ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu’ils dirigent ». Mais comment cet article devait-il être interprété ? Certes celui-ci n’interdit pas de formuler dans une SAS une obligation statutaire de nomination d’un représentant permanent (si celle-ci avait pu être contestée, v. not., L. Godon, La société par actions simplifiée, LGDJ, 2014, n° 499, la jurisprudence a validé la possibilité d’une telle obligation statutaire de nomination dans une SAS, v. par ex., Com. 19 janv. 2022, nos 20-14.089 et 20-14.090, Rev. sociétés 2022. 291, note A. Couret ). Pour autant, devait-on considérer que cet article avait vocation à s’appliquer en toute hypothèse, c’est-à-dire quand bien même un représentant permanent aurait été nommé ou bien devait-on considérer qu’il n’avait vocation à s’appliquer que subsidiairement, à défaut de nomination d’un représentant permanent ? La première position pouvait être légitimement soutenue. Il pouvait ainsi être observé que l’article L. 227-7 autorise la SAS à être dirigée par une personne morale tout en étendant les obligations et responsabilités au dirigeant personne physique de celle-ci, sans mentionner d’obligation de nomination d’un représentant permanent. Partant, puisque le régime de la SAS ne dit mot sur une quelconque obligation de nommer un représentant permanent, ni sur ses obligations et responsabilités mais ne contient qu’un article concentrant ces obligations et responsabilités sur le seul chef du dirigeant de la personne morale dirigeante, c’était dire que la réglementation de la SAS entendait être différente de celle de la SA. De fait, il pouvait en être conclu que cet article excluait la responsabilité du représentant permanent pour la placer sur le chef du dirigeant de la personne morale dirigeante, en toute hypothèse. C’était bien là le raisonnement soutenu dans la décision d’appel en avril 2023.

Mais, entre-temps, la Cour de cassation avait exposé une autre interprétation de cet article, le 13 décembre 2023, en posant un principe suivant lequel, dans le cadre d’une SAS dirigée par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d’actif « est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit, mais aussi par le représentant légal de cette dernière, en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d’une SAS » (Com. 13 déc. 2013, préc.). C’est dire que cette solution semblait condamner par avance la décision des juges lyonnais dans l’affaire commentée.

Toutefois, et bien que cet arrêt soit parfaitement logique et bienvenu (v. notre commentaire, T. Duchesne, note ss. Com. 13 déc. 2023, Dalloz actualité, 12 janv. 2024), il pouvait faire naître certaines interrogations. C’est sur ce point que la solution commentée innove. Sans renier leur position, les Hauts magistrats la précisent afin de dissiper les doutes.

Pour cause, puisque la solution de la chambre commerciale rendue en 2023 faisait référence à l’absence d’obligation de nomination d’un représentant permanent, celle-ci pouvait être interprétée comme indiquant qu’à défaut d’une telle obligation, c’était au dirigeant de la personne morale dirigeante d’assumer la responsabilité adjacente à celle d’un représentant, quand bien même un tel représentant aurait été effectivement nommé. Sous cet angle, et bien que la décision ait été rendue avant, le raisonnement de la Cour d’appel de Lyon n’aurait pas été totalement faux. Néanmoins, cette interprétation semblait difficile à tenir. En effet, à bien lire la solution, la responsabilité du dirigeant personne physique de la personne morale dirigeante ne valait qu’autant qu’il n’y avait pas d’obligation légale, mais aussi, et c’est important, statutaire, de nomination d’un représentant permanent. Cela signifiait donc bien qu’en cas de nomination d’un représentant permanent en vertu des statuts, la responsabilité pour insuffisance d’actif s’étendait à lui et non au dirigeant s’il n’était pas dans le même temps le représentant permanent (la majorité des commentateurs était en ce sens, v. par ex., note ss. Com. 13 déc. 2012, N. Jullian, BJS 2024, n° 3, p. 42 ; même arrêt, note T. Favario, BJE 2024, n° 2, p. 51). Il n’en reste pas moins que le principe énoncé questionnait sur un autre point : si la responsabilité du dirigeant de la personne morale dirigeante de la SAS doit-être actée à défaut d’obligation statutaire de nommer un représentant permanent, quid de la situation où une telle obligation est présente sans qu’un représentant permanent ait été effectivement nommé ? À lire rigidement la solution (« en l’absence d’obligation légale ou statutaire […] »), en cette situation, le dirigeant ne serait pas responsable puisqu’existe bien une obligation statutaire de nomination d’un représentant permanent. Cependant, le représentant permanent ne serait pas non plus responsable à défaut d’exister réellement. Cette impasse était toutefois liée à une formulation malheureuse de l’arrêt qui ne semblait pas en refléter le fond. Il eût été en effet bien étrange qu’un arrêt voulant éviter une dilution des responsabilités par l’entremise d’une personne morale dans la direction d’une SAS puisse aboutir, par une simple manipulation (obligation statutaire de nomination d’un représentant permanent sans nomination effective), à éluder ces mêmes responsabilités.

L’arrêt commenté ne vise alors qu’à reformuler la règle posée en 2023 afin qu’elle s’aligne avec son esprit. Dès lors qu’au sein d’une SAS dirigée par une personne morale, un représentant permanent a été désigné, c’est sur ce dernier que pèse le risque de la responsabilité pour insuffisance d’actif et non sur le dirigeant personne physique de la personne morale dirigeante, sauf si ce dirigeant dispose également de la qualité de représentant permanent.

S’il fallait encore davantage conforter cette position, il suffit de relever qu’elle l’est par l’enchaînement des textes applicables. L’article L. 651-2 du code de commerce, siège de la responsabilité pour insuffisance d’actif, est un texte spécial, tout comme l’est l’article L. 651-1 du même code qui étend cette responsabilité au représentant permanent. En revanche, l’article L. 227-7 du code de commerce, qui prévoit la responsabilité du dirigeant de la personne morale dirigeante, duquel on peut tirer l’application de la responsabilité pour insuffisance d’actif à ce dirigeant, figure dans les textes de « droit commun » de la SAS. Ce faisant, il est logique que l’article L. 227-7 ne s’applique pas lorsqu’un représentant permanent a été nommé puisqu’en cette hypothèse, les textes spéciaux applicables, dont l’article L. 651-1 du code de commerce, prennent la relève : specialia generalibus derogant… En d’autres termes, la précision apportée par l’arrêt révèle le véritable sens de l’article L. 227-7 du code de commerce : il n’est qu’un palliatif, qui ne s’applique qu’à défaut de nomination d’un représentant permanent. Le régime de la SAS laissant toute liberté quant à la nomination d’un représentant permanent, l’article L. 227-7 n’a que pour fonction de s’appliquer là où un tel représentant n’existe pas, afin d’éviter que l’on puisse se servir de la personnalité morale comme un moyen d’atteindre l’irresponsabilité (à cet égard, la solution posée par l’arrêt rejoint la proposition de modification de l’art. L. 227-7 qui avait pu être faite par le HCJP ; v. HCJP, Rapport concernant le régime juridique de la société par actions simplifiée (SAS), 29 sept. 2019, p. 23).

On notera enfin que continuer à faire peser sur le dirigeant personne physique la responsabilité pour insuffisance d’actif alors qu’un représentant permanent existe n’aurait que peu de sens. Ce serait oublier qu’en cette situation, c’est bien le représentant permanent qui exerce la fonction de représentation, et donc le pouvoir, au sein de la SAS, et non le dirigeant personne physique. En somme, l’arrêt ne fait qu’appliquer ce que la nature des choses impose : connecter la responsabilité au pouvoir (v. T. Favario, note préc. ; T. Duchesne, note préc. ; de manière plus générale sur cette connexion en droit des sociétés, v. S. Schiller, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés. Les connexions radicales, préf. F. Terré, LGDJ, 2002).

Les conséquences

Les conséquences de la précision qu’apporte la solution commentée doivent également être étudiées dans la mesure où elles peuvent apparaître plus nombreuses que d’apparence.

D’une part, de façon apparente, l’arrêt simplifie l’application de la responsabilité pour insuffisance d’actif lorsque la SAS est dirigée par une personne morale. Si un représentant permanent a été nommé, c’est lui qui sera sous le joug de la responsabilité pour insuffisance d’actif. En revanche, lorsqu’aucun représentant permanent n’aura été nommé ou bien qu’une telle nomination n’aura pas été prévue par les statuts, c’est le dirigeant personne physique de la personne morale dirigeante qui pourra voir sa responsabilité engagée pour insuffisance d’actif. En somme, il fera fonction de représentant permanent avec les conséquences que cela implique.

De fait, et comme a pu le relever notre collègue Thierry Favario, la nomination d’un représentant permanent ne peut qu’être conseillée puisque celui-ci fait figure de « pare-feu » à la responsabilité du dirigeant de la personne morale dirigeante de la SAS (T. Favario, note préc., qui qualifie d’ailleurs cette nomination de « précaution élémentaire »). Ajoutons toutefois que cette responsabilité du représentant permanent ne sera pas nécessairement automatique. En effet, conformément à la solution retenue en matière de société anonyme – qui peut se prolonger dans la SAS –, en présence d’une société dirigée par une personne morale avec un représentant permanent, la faute de gestion source de la responsabilité pour insuffisance d’actif peut être recherchée indifféremment à l’égard de la personne morale dirigeante qu’à l’égard de son représentant permanent (v. Com. 8 janv. 2020, n° 18-15.027, D. 2020. 77 ).

D’autre part, de façon plus discrète, il ne faudrait pas tirer de cet arrêt que ce « pare-feu » constitué par la nomination d’un représentant permanent serait infaillible.

D’un côté, il ne faut pas en abuser. Si le représentant permanent ne se révèle être qu’un homme de paille, la direction de fait ne sera pas loin afin de faire revenir le dirigeant personne physique de la personne morale dirigeante de la SAS dans le giron de la responsabilité pour insuffisance d’actif. Pire, si la nomination d’un tel représentant ne vise qu’à éluder les règles relatives à la responsabilité pour insuffisance d’actif (et, de manière plus générale les règles relatives à la responsabilité), la fraude pourrait être invoquée pour rendre la nomination d’un tel représentant inopposable à l’action en responsabilité. C’est que, ainsi que nous venons de le dire, la solution commentée se justifie par la connexion entre pouvoir et responsabilité (v. supra). Or, si c’est en réalité le dirigeant de la personne morale dirigeante qui exerce le pouvoir au sein de la SAS et non le représentant permanent, il faut alors convenir que la responsabilité doit peser sur le premier et non sur le second.

D’un autre côté, le fait que le dirigeant personne physique ne soit pas soumis à la responsabilité pour insuffisance d’actif lorsqu’un représentant permanent a été nommé ne signifie pas qu’il soit irresponsable. L’exclusion de la responsabilité pour insuffisance d’actif n’empêche pas, en effet, l’application de la responsabilité civile pour faute de droit commun ou sur le fondement des textes sociétaires (v. par ex., Com. 28 mars 2000, n° 97-11.533, D. 2000. 227, et les obs. ; RTD com. 2000. 655, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 2001. 452, obs. C. Champaud et D. Danet ). Certes, le dirigeant sera alors protégé à l’égard des tiers par l’exigence d’une faute séparable, mais il n’en demeurera pas moins potentiellement responsable.

 

Com. 20 nov. 2024, F-B, n° 23-17.842

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