Sauf accord de droit international ou européen contraire, séjourner à l’étranger interdit le service d’indemnités journalières de sécurité sociale : revirement !

Les deux décisions commentées ont été rendues dans une seule et même affaire. Les faits de l’espèce sont assez ordinaires. Un assuré social, qui est en arrêt de travail, séjourne en dehors du ressort de la caisse. Dans le cas particulier, le malade séjourne quelques semaines en Tunisie à l’été 2019.

L’organisme de sécurité sociale, qui a servi des indemnités journalières sur la période, notifie un indu d’un petit peu moins de 2 000 €. L’article L. 323-6, 2°, du code de la sécurité sociale dispose en effet que le service de l’indemnité journalière est subordonné (notamment) à l’obligation pour le bénéficiaire de se soumettre aux contrôles exercés par le service du contrôle médical. Et le second alinéa du texte de disposer qu’en cas de violation de cette dernière obligation, le bénéficiaire restitue à la caisse les indemnités versées correspondantes dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale.

Les textes applicables à la cause ne semblent souffrir aucune interprétation.

Il aura pourtant fallu que la Cour de cassation et le Conseil d’État soient respectivement saisis dans cette affaire pour que quelques 2 000 € soient restitués (ou, à tout le moins, que l’assuré social soit condamné à restituer les prestations en espèce indument versées, le recouvrement étant une autre affaire).

À première lecture, et au vu du coût environné de ce dossier, l’affaire est plutôt surprenante.

Du côté de la caisse solvens, ce sont des milliers d’euros de frais d’avocat-conseil qui sont dépensés pour répéter la modique somme de 1 974,52 €. Du côté de l’assuré accipiens, c’est un sacré manque de chance : le service du contrôle médical, qui s’est présenté au domicile, n’ayant pas pu procéder au contrôle, la caisse décide de notifier un indu (qui n’est qu’une faculté au sens de l’art. R. 312-12 CSS).

Au vu du faible contingent de médecins conseils et de l’insuffisante assistance technologique des agents de caisse, le contrôle n’est très vraisemblablement pas le fruit de la diligence de l’organisme de sécurité sociale mais la suite d’une demande de contre-visite formulée par un employeur scrupuleux des deniers de l’entreprise, doutant que le maintien de salaire ne soit dû (au sens de l’art. L. 1226-1 c. trav.). Au résultat, le médecin conseil ayant fait état de son impossibilité de procéder à l’examen de l’assuré, le service du contrôle médical est légitime à demander à la caisse de suspendre les indemnités journalières (CSS, art. L. 315-1). Cette dernière, tout comme l’employeur qui a pu maintenir le salaire, sont donc fondés à intenter une action en restitution de l’indu. On peut volontiers entendre que le salarié malade ait cherché à échapper au paiement de la dette de remboursement. À noter, en pratique, qu’en cas de maintien de salaire c’est l’employeur qui fait l’avance des indemnités journalières et qui, partant, est subrogé dans les droits de son collaborateur (CSS, art. R. 323-11). Tout semble parfaitement élémentaire dans cette affaire. L’assuré social, qui a joué, a tout simplement perdu. Fermer le banc.

Seulement voilà, on apprend à la lecture de la décision que le malade a obtenu de son médecin traitant un accord plein et entier pour se rendre en villégiature en Tunisie, ce dernier estimant que le traitement ne nécessitait par ailleurs aucun contrôle (ce qui ne relève pas de son pouvoir d’appréciation, soit dit en passant). On lit encore que la caisse aurait fondé sa notification sur la violation de son règlement intérieur aux termes duquel l’assuré social aurait dû demander une autorisation à son organisme de sécurité sociale pour sortir du territoire national et continuer de percevoir les indemnités journalières de sécurité sociale (règlement intérieur prescrit par l’art. L. 217-1 CSS, aux termes duquel sont indiquées les formalités que doivent remplir les assurés sociaux). On comprend – et c’est le cœur de l’affaire – qu’il se pourrait fort que le règlement intérieur des caisses ne soit pas conforme au droit de la sécurité sociale.

Question de la conformité du règlement intérieur des caisses au droit de la sécurité sociale

C’est un chef de critique que la Cour de cassation n’avait jamais eu à connaître jusqu’à présent. Pour preuve, au terme d’une jurisprudence constante, et au vu dudit règlement intérieur, la deuxième chambre civile a confirmé à maintes reprises la privation des droits à prestations en espèce des salariés qui se sont rendus à l’étranger sans l’autorisation de l’organisme de sécurité sociale concerné (v. par ex., Civ. 2e, 20 sept. 2012, n° 11-19.181, RDSS 2013. 312, note V. Lacoste-Mary ; JCP S. 2012. Act. 421 obs. L. Dauxerre, transfert autorisé au Maroc ; v. égal., Civ. 2e, 12 mai 2022, n° 20-21.681, transfert autorisé en Espagne ; 7 avr. 2022, n° 20-22.874, transfert autorisé en Pologne ; 28 mai 2000, n° 19-10.395, transfert autorisé au Portugal).

Relevant le moyen de pur droit tiré de l’exception d’illégalité de l’article 37 du règlement intérieur des caisses, la Cour de cassation sursoit à statuer et renvoie à la Haute juridiction administrative le soin de se prononcer sur ce chef de critique (Civ. 2e, 6 juin 2024, n° 21-22.162 ; v. not., sur les pouvoirs respectivement des juges judiciaires et administratifs en droit de la sécurité sociale, Civ. 2e, 9 janv. 2025, n° 23-18.592, Dalloz actualité, 22 janv. 2025, obs. J. Bourdoiseau). Saisi, le Conseil d’État déclare le neuvième alinéa de l’article 37 dudit règlement entaché d’illégalité (CE 28 nov. 2024, n° 495040) en contemplation de l’article L. 323-6 du code de la sécurité sociale, qui définit limitativement les obligations du bénéficiaire des indemnités journalières et ne renferme pas celle d’obtenir une autorisation de la caisse mais seulement celle du médecin prescripteur de l’arrêt de travail, ce que le demandeur au pourvoi a du reste obtenu.

Conséquence : pas de sortie de territoire pour continuer de percevoir les indemnités

Réceptionnant l’analyse de son homologue, la Cour de cassation entre en voie de cassation (contre l’avis de son avocat général qui concluait au rejet du pourvoi).

Il y a une solide raison à la solution qui a été arrêtée dans le cas particulier. Le déplacement de l’assuré le conduisant à séjourner temporairement hors de France, le contrôle est rendu impossible. Ce faisant, l’organisme de sécurité sociale est empêché de vérifier que l’assuré continue de respecter ses obligations (not., les prescriptions du médecin, le respect des heures de sorties, l’interdiction d’une quelconque activité non autorisée au sens des art. L. 323-6 et R. 323-11-1 CSS). Et l’argument qu’on voit poindre, tiré de la relative faiblesse des opérations de contrôle, ne saurait autoriser qu’on se contentât du statu quo.

En résumé, la sortie du territoire national est interdite pour qui entend continuer de percevoir des indemnités journalières de sécurité sociale. Où l’on constate que le règlement intérieur critiqué était plutôt bienveillant (pour ne pas dire généreux) envers les assurés sociaux, l’autorisation ayant pour effet de paralyser les suites des opérations de contrôle rendues impossibles à réaliser. On peut tout à fait entendre le besoin d’un assuré social de se rendre dans un endroit mieux adapté pour se rétablir. Seulement voilà, les revenus de remplacement ne sont pas un droit de tirage sur le compte de la solidarité nationale ni sur celui de l’employeur, qui sont tous deux légitimes à déclencher des opérations de contrôle aux fins de sanction d’un éventuel mésusage (au préjudice de l’une et de l’autre).

Exception : une sortie du territoire possible en cas de convention internationale ou de règlement de l’Union européenne en ce sens

La Cour de cassation réserve une exception à la solution qu’elle prescrit en l’espèce. La sortie du ressort national n’est pas contestable toutes les fois qu’une convention internationale ou un règlement de l’Union européenne l’autorise. Cet aménagement de la règle s’imposait à l’évidence notamment, en droit de l’Union, au regard du principe de libre circulation des travailleurs. Elle s’imposait encore pour une autre raison. En droit interne, les assurés sociaux peuvent tout à fait sortir du ressort territorial de la caisse. Simplement, pour garantir la célérité des opérations de contrôle, une autorisation doit être accordée. Sa raison d’être est bien comprise : de la souplesse est certes introduite dans le système (dans l’intérêt du malade aux fins de parfait rétablissement) pendant que les opérations de contrôles ne sont pas empêchées dans la mesure où elles sont déléguées autant que de besoin à l’organisme de sécurité sociale dans le ressort duquel séjourne l’assuré (art. L. 323-6 CSS ensemble art. 37 du règlement intérieur modèle des CPAM annexé à l’arr. du 19 juin 1947 modifié).

La question est donc posée de savoir si l’on peut raisonner par analogie, un ressort (interne) en valant bien un autre (international). Au soutien de l’affirmative, lorsqu’on sait combien d’entreprises pratiquent le télétravail (jusqu’au full remote), la correction de notre droit positif ne semble pas déraisonnable et son approche uniciste un tantinet datée. Il reste pourtant un sacré obstacle à dépasser : le fameux contrôle du service des prestations sociales. Sauf à déléguer conventionnellement à des médecins de caisse étrangers le soin de procéder aux opérations à la demande de leurs homologues français et/ou à la prière de l’employeur, le service des prestations et le maintien de salaire ne peuvent raisonnablement pas être accordés sur la foi d’une seule prescription médicale (sans faire aucun procès d’intention aux professionnels de santé). Ou bien si mais pas dans un système qui accuse 330 milliards de déficits cumulés et qui, en termes de cotisations sociales salariales, dispense de toute contribution à la branche maladie les travailleurs dépendants (CSS, art. L. 241-2 et D. 242-3).

Dans le cas particulier, il existe bien une Convention bilatérale de sécurité sociale conclue entre la France et la Tunisie. Elle est renseignée par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, qui est un établissement public national, notamment chargé d’informer sur la protection sociale dans un contexte de mobilité internationale. Aux termes de la Convention générale du 26 juin 2023 (Décr. n° 2007-626 du 26 avr. 2007 portant publication de la Convention), le transfert de la résidence du malade est autorisé et les prestations en espèce maintenues (contra art. L. 160-7 CSS.)… sous réserve que le travailleur ait obtenu l’autorisation de son institution d’affiliation (art. 7-1). Mais le domaine d’application ratione personae de la Convention excluait très possiblement qu’elle s’appliquât en l’espèce. Et faute de convention internationale idoine, le droit français retrouvait nécessairement tout son empire. Or, aux termes de l’article L. 160-7, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, « lorsque les soins sont dispensés hors de France aux assurés et aux personnes mentionnées à l’article L. 160-2, les prestations en cas de maladie et maternité ne sont pas servies ». Voilà la base légale qui a été utilisée par la deuxième chambre civile pour paralyser le service des prestations et fonder la restitution de l’indu.

Mais gageons que le débat n’est pas clos, car l’application de l’article L. 160-7 du code de la sécurité sociale, que la Cour de cassation ne manque pas de viser, renferme une condition qui n’est pas remplie en l’espèce, à savoir qu’il importe que des soins soient dispensés (au préalable) hors de France…

 

Civ. 2e, 5 juin 2025, F-D, n° 21-22.162

Civ. 2e, 5 juin 2025, FS-B+R, n° 22-22.834

par Julien Bourdoiseau, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit, d'économie et des sciences sociales de Tours

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