« Sécurité », le mot d’ordre de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne

Nouvelle année, nouvelle présidence tournante du Conseil de l’Union européenne par la Pologne qui succède à la Hongrie jusqu’en juillet prochain. Le programme polonais met un accent particulier sur la sécurité européenne, entendue très largement et couvrant différents secteurs qu’il s’agisse de la sécurité territoriale, énergétique, alimentaire, mais aussi économique, prenant acte de certains aspects mentionnés par Mario Draghi en septembre dernier.

Pour les affaires générales, tous les regards sont tournés vers l’Est

La Hongrie avait choisi de concentrer sa présidence pour « rendre à l’Europe sa grandeur » (La Hongrie prend la présidence tournante du Conseil de l’UE, vie-publique.fr), la Pologne quant à elle retient pour axe la sécurité (M. Clement-Fontaine et Cabinet Twelve Avocats, Panorama rapide de l’actualité « Technologies de l’information » de la semaine du 9 déc. 2024, Dalloz actualité, 17 déc. 2024). Le programme polonais insiste principalement sur le besoin d’indépendance de l’Union européenne face aux conflits internationaux, avec une attention particulière pour le conflit russo-ukrainien. Si les relations avec les États-Unis et le conflit au Moyen-Orient sont mentionnés, ils le sont bien plus brièvement que la menace russe et le soutien à l’Ukraine. En effet, l’Ukraine est mentionnée tout au long de ce programme, mettant l’accent sur la solidarité et l’assistance de l’Union européenne pendant la guerre tout en prévoyant l’aide européenne pour sa reconstruction future. Ce besoin de sécurité se manifeste par le besoin d’une défense européenne forte et anticipée à travers des relations apaisées et renforcées avec les pays de l’Est, incluant notamment les Balkans et la Turquie – et n’excluant pas un élargissement de l’Union. La militarisation n’est pas l’objectif premier de ce programme de sécurité et défense, mais met en exergue la sécurisation de l’État de droit et de la démocratie contre les attaques extérieures qui sont nombreuses et insidieuses. Le fait que la présidence polonaise ouvre son programme avec un tel objectif trouve un écho particulier dans le scandale des élections roumaines de décembre dernier. En effet, la Commission européenne a ouvert une enquête contre TikTok à la mi-décembre à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle roumaine d’annuler l’élection présidentielle après que les renseignements ont fait part de l’important nombre de comptes sur le réseau social chinois se montrant favorables au candidat d’extrême droite, et de nombreux influenceurs payés pour mettre le candidat en avant (Élection présidentielle roumaine : l’Union européenne ouvre une enquête contre TikTok ; M. Clement-Fontaine et Cabinet Twelve Avocats, Panorama rapide de l’actualité « Technologies de l’information » de la semaine du 2 déc. 2024, Dalloz actualité, 12 déc. 2024). Le risque d’ingérence n’est évidemment pas nouveau, néanmoins on observe une augmentation de ces ingérences à travers les réseaux sociaux depuis la mise en lumière de ces pratiques lors du scandale de Cambridge Analytica en 2016 (Alex Hern, Cambridge Analytica : how did it turn clicks into votes? The Guardian, 6 mai 2018). Par conséquent la protection accrue à prévoir de l’état de droit s’articule avec le besoin de sécurité guidant le programme et les objectifs de la présidence polonaise des six prochains mois.

Une compétitivité accrue, une sécurité économique garantie

Il semble que l’Union européenne, à travers la présidence polonaise qui commence à peine, prend acte du retour de Donald Trump et d’un protectionnisme prononcé à la Maison-Blanche d’une part, et les ingérences russes de plus en plus manifestes à l’Est d’autre part. Finalement, le besoin de sécurité marque surtout un besoin d’une plus faible dépendance énergétique, économique et une plus forte compétitivité en particulier face aux mastodontes que sont la Chine et les États-Unis – ce qui est également souligné par le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’Union européenne (The future of European competitiveness, 9 sept. 2024). Pour ce faire, la présidence polonaise envisage de concentrer les débats sur l’action à mener autour des risques sur la chaîne d’approvisionnement et d’accroître la compétitivité des entreprises européennes face au risque protectionniste de pays tiers. Bien que formulée de manière neutre et compte tenu des propos sur les taxes par le président élu Donald Trump, la place des entreprises européennes sur le marché régional, mais aussi mondial devient centrale. Cette sécurisation de la compétitivité est soulignée en gras dans le texte pour le secteur industriel, en difficulté aujourd’hui, en particulier le secteur automobile allemand qui trouve résonance à travers l’Europe centrale (J.-B. Chastand, Affectée par le ralentissement du moteur allemand, l’industrie cale en Europe centrale, Le Monde, 6 sept. 2024, mod. le 9 sept. 2024). Afin de soutenir les entreprises européennes, un point d’action attire l’attention : l’allègement des règles et normes bureaucratiques, plus précisément « la présidence s’efforcera de réduire les obligations de rapports et simplifier les obligations européennes qui sont inutiles, incohérentes ou constituant un fardeau bureaucratique ». Cet objectif n’est pas sans rappeler les critiques émises par le rapport Draghi à la rentrée qui pointait la multiplication de normes et leur manque d’effectivité puisqu’elles sont en partie un frein à l’innovation. Reste à voir la coopération mise en place avec les autres institutions européennes pour atteindre cet objectif de simplification.

Le règlement sur l’intelligence artificielle fraîchement entrée en vigueur mis de côté au profit de la cybersécurité

Le volet nouvelles technologies et en particulier l’intelligence artificielle sont bel et bien mentionnés dans le programme sans pour autant en être le fil directeur, contrairement à son homologue hongrois dans le programme de juillet à décembre 2024. De nouveau, la sécurité guide les futures actions et discussions du Conseil puisque la présidence polonaise souhaite renforcer notamment la cybersécurité des hôpitaux et professionnels de santé, mais également les travailleurs face au recours à l’intelligence artificielle dans le monde professionnel. En particulier, de discuter d’initiatives législatives concernant le télétravail et le droit à la déconnexion. Il n’y est pas réellement fait mention du cadre existant pour réguler les systèmes d’intelligence artificielle mis à part une brève mention de la proposition de directive pour la responsabilité extracontractuelle de l’intelligence artificielle, ni de la loi sur la cybersécurité de l’Union européenne (Règl. [UE] 2019/881 du Parlement européen et du Conseil du 17 avr. 2019 relatif à l’ENISA [Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité] et à la certification de cybersécurité des technologies de l’information et des communications, et abrogeant le règl. [UE] n° 526/2013 [règl. sur la cybersécurité]. En réalité, le programme énonce plusieurs initiatives et principalement des discussions sur le rôle clé joué par l’intelligence artificielle et les conséquences sociétales et économiques de celle-ci dans les prochaines années, la santé mentale des jeunes et le rapport avec les nouvelles technologies, pour ne citer que ces exemples. Les technologies de l’information et l’intelligence artificielle ne sont pas mises au premier plan du programme, mais appréhendées de manière sectorielle. Au regard de la justice et en particulier de l’accès aux informations numériques et la conservation de données, la présidence polonaise « soutiendra les processus en cours » sans préciser lesquels « tout en protégeant les droits fondamentaux » sans non plus préciser lesquels et de quelle manière cet équilibre sera examiné. En termes de coopération pour la cybercriminalité, l’accent est mis sur la protection des mineurs et en particulier de poursuivre le travail commencé sur la proposition de directive contre la pédocriminalité (Proposal for a directive of the european Parliament and of the Council on combating the sexual abuse and sexual exploitation of children and child sexual abuse material and replacing Council Framework Decision 2004/68/JHA [recast]).

Le secteur numérique et des télécommunications se concentre moins sur la sécurité cette fois que sur l’efficacité

En effet, quand bien même la cybersécurité est mentionnée, la présidence axe son programme sur la recherche européenne en matière d’intelligence artificielle, la transformation digitale, mais, encore une fois, le besoin d’un allègement de la bureaucratie pour permettre une réelle efficacité et un réel suivi d’application des « nombreuses régulations numériques ». Tandis que les précédents secteurs apparaissaient protectionnistes tout en ayant le regard attentif à l’Est, en matière numérique, la présidence laisse entendre des discussions et des ententes à plus large échelle pour créer une « diplomatie numérique » pour promouvoir un internet ouvert et sécurisé. Le volet relatif au secteur numérique et des télécommunications reprend les objectifs principaux de la présidence et offre une perspective plus optimiste et ouverte que ce qui a pu être présenté jusqu’à présent. Prise à part, l’intelligence artificielle doit être dotée d’une souveraineté européenne qui doit en retour bénéficier aux entreprises existantes ou futures qui s’installent sur le marché européen et cela entend de réellement permettre des innovations. En revanche, une fois rapportée au niveau sectoriel, la présidence polonaise est bien plus prudente, comme présenté précédemment, notamment au regard du secteur du travail et de la santé mentale des jeunes.

Le programme de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne ne met pas l’accent sur des initiatives, même si le programme en est ponctué, et se présente comme protectionniste et prudent face à l’instabilité causée en partie par les conflits internationaux, en insistant sur le soutien à l’Ukraine et la nécessité pour l’Union de renforcer sa sécurité – quel que soit le domaine – tout en envisageant un élargissement des partenariats et candidatures à l’Est.

Contrairement à la présidence hongroise dont le programme portait principalement sur l’innovation et le développement, la présidence polonaise se montre bien plus réservée, souhaitant une Europe plus forte en sécurisant les domaines de la diplomatie, de l’énergie, de l’économie et prenant acte du besoin accru de compétitivité et d’allègement administratif et bureaucratique pour ce faire.

 

Programme de la présidence polonaise, 1er janv. – 30 juin 2025 (en anglais)

© Lefebvre Dalloz