Selon Transparency, « la CJIP peine à atteindre l’un de ses objectifs : la réparation du préjudice des victimes de la corruption »

L’association anticorruption Transparency International France appelle à renforcer la place de la victime dans la justice négociée et émet plusieurs recommandations pour améliorer la réparation du préjudice des victimes d’atteinte à la probité dans le cadre des CJIP.

« Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années en matière de lutte contre la corruption avec notamment la création de nouveaux outils juridique, telle que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Avec ces nouveaux outils, les victimes de la corruption sont-elles mieux identifiées ? Leur préjudice est-il mieux réparé ? Quel est le profil des victimes ? Certaines sont-elles surreprésentées par rapport à d’autres ? Comment les victimes sont-elles identifiées et, le cas échéant, indemnisées ? » Telles sont les questions traitées par l’ONG Transparency International France dans un récent rapport « Justice négociée : quelle place pour les victimes ? ».

La difficile indentification des victimes en matière de corruption

Pour y répondre, l’association a étudié les 54 CJIP conclues à ce jour en France, soit 22 CJIP « atteinte à l’environnement ». 11 CJIP « fraude fiscale » et 21 CJIP « probité » (corruption et trafic d’influence actifs et passifs). Premier constat : 37 des 54 CJIP ont identifié des victimes. Si l’identification des victimes est systématique dans le cadre des CJIP « fraude fiscale » (il s’agit de l’État français), elle est en revanche plus difficile en matière de corruption du fait du recours à des montages financiers complexes. « Dans ce contexte, les acteurs économiques gravitant autour des parties impliquées dans le schéma de corruption litigieux, tels que l’entreprise dont l’employé aurait versé un pot de vin ou les actionnaires lésés par une entreprise condamnée pour avoir versé un pot de vin, sont plus à même d’avoir connaissance du pacte de corruption et de rassembler les preuves leur permettant de réclamer ensuite réparation. »

Des indemnisations plus fréquentes en matière environnementale

24 des 54 CJIP prévoient une indemnisation. Soit 12 des 22 CJIP « environnement », 5 des 11 CJIP « fraude fiscale » et 7 des 21 CJIP « probité ». Certaines ne prévoient pas d’indemnisation car les victimes ont déjà été indemnisées par le biais d’un accord transactionnel ou (plus rarement) dans le cadre d’actions portées devant les juges civils à l’étranger. Les indemnisations sont plus fréquentes en matière environnementale, et les victimes indemnisées sont le plus souvent des associations, des fédérations départementales et des sections locales d’ONG de protection de l’environnement (dont France nature environnement). En matière de fraude fiscale, les lignes directrices du parquet national financier précisent que la réparation du préjudice causé au Trésor public est généralement assurée par les majorations et amendes fiscales, et c’est pourquoi les CJIP ne prévoient pas d’indemnisation de l’État dans la majorité des cas.

La difficulté de caractériser les préjudices indemnisables en matière de corruption

C’est en matière de probité que se trouve la majorité des cas « où les victimes n’ont pas invoqué de préjudice susceptible d’être indemnisé, ou ne l’ont pas indiqué à temps », pointe Transparency. Les victimes ayant le plus de chances d’obtenir réparation de leur préjudice sont les acteurs économiques et financiers : les deux tiers des entreprises reconnues victimes ont été indemnisés (6 sur 9). Deux associations anti-corruption, Sherpa et Anticor, ont également été reconnues victimes et indemnisées dans le cadre d’une CJIP. « Pourtant, et a fortiori en matière de corruption internationale, au rang des victimes de la corruption figurent les populations les plus défavorisées. La corruption prive ces populations d’un accès à l’eau potable, aux soins de santé primaires, à l’éducation de base, à des routes praticables et à un logement décent. » Et de façon plus générale, « le délai accordé aux victimes pour faire état de leur préjudice et du montant sollicité en réparation semble être insuffisant au regard de la difficulté d’établir ce préjudice ».

Montant et calcul de l’indemnisation

Sur les 24 CJIP ayant indemnisé des victimes, « seules 10 énoncent de manière explicite le montant ou la méthode de calcul du montant de l’indemnisation sollicitée, soit un pourcentage d’environ 42 %. Cette opacité nuit à la compréhension des éléments de la CJIP et à la prévisibilité de cet instrument pour les victimes », poursuit Transparency. Qui interroge également le fait que l’indemnisation préalable des victimes constitue un facteur minorant dans le calcul de l’amende d’intérêt public. « Il nous semble que l’indemnisation des victimes pourrait au contraire être entièrement distinguée de la question du montant de l’amende afin de préserver l’essence différente de ces deux obligations. Le risque posé par la pratique de réduction de l’amende en fonction de l’indemnisation préalable des victimes est de voir disparaître la voie ouverte à ces dernières de se faire une place dans le dispositif de la CJIP. » Le rapport pointe également le très faible taux d’indemnisation des – rares – victimes identifiées dans le cadre des CJIP « probité » à dimension internationale.

Recommandations

« Le mécanisme de la CJIP tel qu’il est réfléchi et mis en œuvre aujourd’hui peine à atteindre l’un de ses objectifs : la réparation du préjudice des victimes de la corruption », conclut l’association anticorruption, qui émet plusieurs propositions pour y remédier. Elle suggère tout d’abord d’informer et sensibiliser davantage la société civile aux recours ouverts aux victimes dans cadre de la CJIP et d’établir des lignes directrices pour l’indemnisation des victimes dans les affaires de corruption transnationale (dans le cadre du procès pénal ou de la CJIP). Elle propose également de rendre plus transparente la méthode d’identification des victimes lorsque celles-ci ne se constituent pas parties civiles, et d’assurer une meilleure publicité aux montants sollicités par les victimes et à la méthode d’évaluation de leur préjudice. Enfin, pour renforcer la place de la victime dans la CJIP, l’association préconise de veiller à l’identification systématique des victimes d’atteinte à la probité, à leur indemnisation effective en y accordant une attention spécifique dès l’ouverture des négociations avec l’entreprise.

 

© Lefebvre Dalloz