Sentence arbitrale interne relative à l’exécution ou la rupture d’un contrat administratif
Le Conseil d’État a confirmé la compétence du juge administratif pour connaître des sentences arbitrales internes rendues dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif, à l’instar des sentences arbitrales internationales rendues dans ce même type de litige.
En vertu de l’article 2060 du code civil, « on ne peut compromettre sur (…) les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public ». Cette interdiction de principe du recours à l’arbitrage souffre d’exceptions. Ainsi, l’ancien code des marchés publics permet le recours à l’arbitrage pour la liquidation des dépenses de travaux et de fournitures de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics locaux.
Sur ce fondement, une convention d’arbitrage a été signée le 29 mars 2016 pour résoudre un conflit concernant le règlement financier d’un marché public conclu entre la collectivité territoriale de Martinique et un groupement composé des sociétés Colas Martinique, GTC et Satrap.
Le tribunal arbitral désigné dans la convention, par une sentence arbitrale rendue à Paris le 30 juin 2023, a condamné la collectivité territoriale de Martinique au versement de la somme de 1 640 213 € pour régler le marché. Ce litige a été l’occasion pour le Conseil d’État, qui a rejeté la requête de la collectivité territoriale de Martinique, d’expliciter le sort des sentences arbitrales internes.
Compétence du juge administratif pour connaître d’une sentence arbitrale internationale
Par sa décision Société Fosmax LNG, le Conseil d’État a fixé la règle, s’agissant des sentences d’arbitrage international, selon laquelle « le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ressortit, lorsque le contrat relève d’un régime administratif d’ordre public et que le recours implique, par suite, un contrôle de la conformité de la sentence arbitrale aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, à la compétence de la juridiction administrative » (CE, ass., 9 nov. 2016, n° 388806, Dalloz actualité, 14 nov. 2016, obs. J.-M. Pastor ; Lebon avec les concl.
; AJDA 2016. 2133
; ibid. 2368
, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet
; D. 2016. 2343, obs. J.-M. Pastor
; ibid. 2589, obs. T. Clay
; ibid. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; RFDA 2016. 1154, concl. G. Pellissier
; ibid. 2017. 111, note B. Delaunay
; RTD com. 2017. 54, obs. F. Lombard
). En l’absence de contrôle de la sentence arbitrale internationale par rapport aux règles relatives à la commande publique, le juge judiciaire demeure compétent, et ce, même si le contrat litigieux est « administratif selon les critères du droit interne français ».
Quid des sentences arbitrales internes ?
Le Tribunal des conflits a pu juger dans sa décision dite Inserm de 2010 que « le recours contre une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l’exécution ou de la rupture [d’un contrat administratif] relève de la compétence du juge administratif » (T. confl. 17 mai 2010, n° 3754, Dalloz actualité, 27 mai 2010, obs. X. Delpech ; Lebon
; AJDA 2010. 1047
; ibid. 1564, étude P. Cassia
; ibid. 2337, tribune P. Cassia
; D. 2010. 2633, obs. X. Delpech
, note S. Lemaire
; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2933, obs. T. Clay
; ibid. 2011. 2552, chron. Y. Gaudemet, C. Lapp et A. Steimer
; RDI 2010. 551, obs. S. Braconnier
; RFDA 2010. 959, concl. M. Guyomar
; ibid. 971, note P. Delvolvé
; Rev. crit. DIP 2010. 653, étude M. Laazouzi
; RTD com. 2010. 525, obs. E. Loquin
). Il est venu préciser cinq ans plus tard que le litige opposant l’administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna et la société Broadband Pacifique dans le cadre d’une convention autorisant l’exploitation d’un réseau de communication électronique, et ayant donné lieu à une sentence arbitrale contestée devant la Cour d’appel de Paris, relève de la compétence du juge administratif (T. confl. 16 nov. 2015, n° 4025, Lebon
; D. 2016. 2589, obs. T. Clay
).
C’est donc sans grande surprise que la Haute juridiction administrative considère que « le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif ressortit à la compétence de la juridiction administrative ».
L’article L. 321-2 du code de justice administrative trouvant ici sa pleine application, le Conseil d’État est compétent pour connaître d’un recours formé contre une sentence arbitrale. À cet égard, si les sentences arbitrales internationales rendues en France ne sont susceptibles que d’un recours en annulation selon l’article 1518 du code de procédure civile, l’article 1489 du même code précise que les sentences arbitrales internes peuvent faire l’objet d’un appel si les parties l’ont voulu.
Office du juge administratif dans le cadre du contrôle d’une sentence arbitrale interne
Le point 4 de la décision est identique au considérant n° 4 de la décision Fosmax : le contrôle du juge administratif est le même, qu’il s’agisse d’une sentence arbitrale internationale ou interne. Ainsi, le Conseil d’État rappelle, à titre liminaire, qu’il lui appartient de vérifier, d’office au besoin, que la convention d’arbitrage est licite, « qu’il s’agisse d’une clause compromissoire ou d’un compromis ». Les seuls moyens pouvant être soulevés par les parties sont limités à ceux tirés « de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières » et ceux tirés de ce que cette sentence est contraire à l’ordre public.
Sur la régularité, la Haute juridiction contrôle uniquement la compétence du tribunal arbitral, sa composition au regard du respect des principes d’indépendance et d’impartialité, le respect par le tribunal du principe du contradictoire et la motivation de la sentence arbitrale.
Sur le fond, « une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne ».
Après avoir effectué ce contrôle, le Conseil d’État peut prononcer l’annulation de la sentence arbitrale puis peut soit statuer lui-même sur le litige par la voie de l’évocation, soit renvoyer le litige au tribunal administratif compétent pour statuer. Il précise que « s’il constate que le litige est arbitrable, il peut rejeter le recours dirigé contre la sentence arbitrale ou annuler, totalement ou partiellement, celle-ci. Il ne peut ensuite régler lui-même l’affaire au fond que si la convention d’arbitrage l’a prévu ou s’il est invité à le faire par les deux parties ».
CE 30 juill. 2024, Collectivité territoriale de la Martinique, n° 485583
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