Servitude légale de distribution de gaz : précisions sur les obligations du concessionnaire
Sauf accord du propriétaire du fonds servant, la constitution d’une servitude de passage pour une canalisation de distribution de gaz sur une propriété privée doit être précédée d’une déclaration d’utilité publique des travaux, délivrée par l’autorité préfectorale ; elle ne peut être exercée que suivant les modalités déterminées par arrêté préfectoral et après accomplissement de formalités de notification et d’affichage.
Canalisation endommagée
Une canalisation souterraine de gaz est endommagée lors de travaux de clôture d’une parcelle réalisés par un centre équestre, exploitant agricole bénéficiant d’une convention d’occupation précaire sur les terrains appartenant à la SAFER PACA.
La canalisation était implantée sur une propriété de la SAFER PACA sans qu’aucune convention de servitude n’ait été conclue entre elle et la société GRDF, concessionnaire de la canalisation endommagée. Cette dernière a alors assigné l’exploitant du centre équestre aux fins d’obtenir le remboursement du prix des travaux de réparation.
La juridiction de première instance est saisie de deux questions principales. La première tient à la responsabilité de l’exploitant ayant endommagé la canalisation. La seconde a trait à la mise en œuvre d’une servitude de passage de canalisation de distribution de gaz puisque la SAFER PACA considère qu’à défaut de respect des modalités d’établissement de la servitude, il y aurait empiétement et ainsi une faute de la victime exonératoire de responsabilité pour l’exploitant.
Responsabilité
Concernant la question de la responsabilité, les juges du fond se prononcent en faveur de la responsabilité du centre équestre sur le fondement de l’article 1384 ancien du code civil (aujourd’hui, art. 1242) en tant que gardienne de l’engin mécanique ayant endommagé la canalisation. Il est donc condamné à l’indemnisation de la société GRDF sans surprise (sur des faits similaires retenant également la responsabilité du maître d’ouvrage ayant endommagé une canalisation à l’occasion de travaux, Civ. 3e, 13 sept. 2011, n° 10-19.165).
Modalités de mise en œuvre de la servitude d’utilité publique
Pour ce qui est des modalités de mise en œuvre de la servitude d’utilité publique, la SAFER PACA, intervenue volontaire à l’instance, faisait valoir en cause d’appel une cause d’exonération de responsabilité en se prévalant d’une faute de la victime qui serait la cause exclusive du dommage qu’elle a subi (v. en ce sens, Civ. 1re, 6 oct. 1998 n° 96-12.540, RTD civ. 1999. 113, obs. P. Jourdain
; RTD com. 1999. 493, obs. B. Bouloc
). Précisément, elle défendait sur la question de la responsabilité en prétextant que la société GRDF n’était bénéficiaire d’aucune servitude conventionnelle et qu’elle n’avait pas plus constitué de servitude légale. Partant, la SAFER PACA, tout comme l’exploitant agricole ayant entrepris les travaux, ne connaissait pas l’existence de la canalisation qui a été endommagée par la pelle mécanique.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette ce moyen en considérant :
- d’une part qu’il ne pouvait être reproché à la société GRDF la présence d’une canalisation de gaz dans le sous-sol de la propriété de la SAFER PACA qui bénéficiait d’une servitude légale ;
- et d’autre part, que l’ancienneté de la canalisation démontre que le propriétaire avait tacitement accepté la présence de cet ouvrage sur sa parcelle. Elle confirme donc la condamnation à la réparation de la canalisation endommagée sans pour autant s’assurer du respect des dispositions légales quant à la mise en place d’une telle servitude.
Ces deux motivations ont été critiquées par la SAFER dans le cadre de son pourvoi puisqu’elle considère qu’une servitude d’utilité publique ne peut être établie, à défaut de convention, qu’en suivant la procédure prévue au code de l’énergie.
Censure de la Cour de cassation
La Haute Cour censure l’arrêt d’appel qui avait retenu la responsabilité exclusive de l’exploitant agricole sans examiner si la canalisation bénéficiait d’une servitude établie dans le respect des formalités légales. Elle s’appuie sur les dispositions des articles 650, alinéa 2, du code civil et des articles L. 433-5 et suivants et R. 433-5 et suivants du code de l’énergie. Sauf à ce qu’elle soit conventionnellement prévue entre les parties, une servitude de passage de canalisation de distribution de gaz sur une propriété privée implique, au regard des dispositions des articles du code de l’énergie cités, une déclaration d’utilité publique préalable et un arrêté préfectoral qui en détermine les modalités d’établissement.
La Cour de cassation ajoute que l’ancienneté de la canalisation litigieuse ne suffit pas à démontrer l’acceptation tacite du propriétaire pour cet empiètement en rappelant les termes de l’article 545 du code civil selon lequel « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». L’acceptation tacite est écartée, à juste titre, s’agissant d’un ouvrage enterré dont le propriétaire de la parcelle n’a peut-être pas eu connaissance au moment de sa mise en œuvre. Mais la Cour de cassation semble donc admettre, a contrario, qu’une acceptation tacite peut suffire pour la constitution d’une servitude de passage pour une canalisation de distribution de gaz sur une propriété privée, ce qu’elle avait déjà admis à propos de lignes électriques, ouvrages aériens visibles (Civ. 3e, 19 déc. 2012, n° 11-21.616, Dalloz actualité, 14 janv. 20113, obs. R. Grand ; AJDA 2013. 11
; ibid. 744
, note P. Sablière
; D. 2013. 83
; AJDI 2013. 223
).
La cour d’appel ne pouvait donc déclarer le centre équestre comme seul responsable du dommage sans s’interroger tant sur l’existence d’un accord, même tacite, ou sur le respect des formalités d’établissement de la servitude.
Civ. 3e, 28 nov. 2024, FS-B, n° 21-21.303
© Lefebvre Dalloz