Seule l’attribution définitive des actions gratuites constitue le fait générateur des cotisations
Le fait générateur des cotisations sociales dues au titre de l’avantage tiré de l’attribution gratuite d’actions correspond à la date de l’acquisition définitive des actions. Pour autant, à défaut de preuve suffisante, l’avantage soumis à cotisations sociales est le montant de l’avantage au moment de son attribution et non son acquisition définitive.
Attribution gratuite d’actions (AGA) et cotisations sociales : retour aux fondamentaux
Il est de principe que la qualification de l’avantage octroyé à un salarié ou à un dirigeant détermine le fait générateur des cotisations sociales. En matière de qualification juridique, l’article 12 du code de procédure civile dispose que le juge n’est pas tenu par la dénomination des actes proposée par les parties et doit restituer l’exacte qualification à l’acte litigieux. Dans un arrêt du 5 septembre 2024, la deuxième chambre civile retient que « l’octroi aux salariés bénéficiaires d’une option d’achat d’actions à prix zéro s’analyse en une attribution gratuite d’actions ». La distinction entre les deux opérations d’actionnariat salarié est essentielle. Même si l’opération sociétaire se ressemble avec une délibération de l’AGE et une autre de l’organe de direction, les deux dispositifs sont encadrés par des régimes distincts dans le code de commerce et le code de la sécurité sociale. Plus fondamentalement, c’est une différence de nature et d’esprit qui les distingue. Les stock-options donnent le droit à la souscription d’actions à un prix fixé le jour où les options ont été consenties ; les AGA sont attribuées sans contrepartie financière. Contractuellement, les options d’achat d’actions s’analysent en une promesse unilatérale de vente et imposent le versement d’une somme, même minime, lors de la levée de l’option (C. com., art. L. 225-177 s.) ; les actions gratuites sont des dons qui n’ont d’existence juridique qu’au moment de leur attribution définitive (C. com., art. L. 225-197-1).
Il s’ensuit que les dispositifs d’options d’achat d’actions dits « stock-options » et d’attribution gratuite d’actions dits « AGA » doivent être distingués notamment pour déterminer le fait générateur des cotisations sociales. Économiquement, les stock-options constituent une possibilité pour un bénéficiaire de devenir actionnaire à des conditions avantageuses avec l’espoir de réaliser une plus-value en cas de revente ; les AGA garantissent un gain certain à l’expiration de la période dite « d’acquisition ». Le caractère certain ou incertain de la réalisation d’un avantage pour son bénéficiaire entraîne un assujettissement de l’avantage temporellement différent. Par principe, l’objectif des dispositifs d’actionnariat poursuivi par le législateur est d’offrir un avantage aux salariés avec l’application d’un traitement social et fiscal de faveur.
Pour bénéficier d’un tel régime dérogatoire, il est impératif que le plan de stock-options ou d’AGA respecte les conditions légales du code de commerce. Le dispositif est alors considéré comme « qualifié » et l’avantage octroyé est exclu de l’assiette des cotisations sociales. En revanche, en présence d’un plan « non qualifié », l’avantage est intégré dans l’assiette des cotisations sociales définie à l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.
Dans l’affaire étudiée par la Cour de cassation le 5 septembre dernier, les plans mis en place par la société étaient non qualifiés notamment en raison du défaut de déclaration des bénéficiaires et du fait de l’impossibilité de démontrer l’existence d’une autorisation par un organe habilité de la société étrangère attribuant les actions. La société cotisante avait mis en place des plans dénommés « SMISS », « KISS » et « PSP 2010 A FR » pour lesquels se posait la question de la date du fait générateur des cotisations sociales. Les plans « KISS » et « PSP 2010 A FR » avaient été qualifiés comme des plans de stock-options par la société. Or, la deuxième chambre civile requalifie les dispositifs en plans d’actions gratuites pour confirmer la solution des juges du fond concernant le montant de l’avantage assujetti à cotisations sociales.
Date d’évaluation des cotisations
La Cour de cassation juge que « le fait générateur des cotisations sociales afférentes à l’avantage résultant d’attributions gratuites d’actions s’entend de l’attribution définitive des actions à leurs bénéficiaires au terme de la période d’acquisition », au visa des articles L. 242-1, alinéa 1er, et R. 243-6 du code de la sécurité sociale.
L’article L. 242-1 du code la sécurité sociale, dans sa version applicable au cas d’espèce, prévoit que l’avantage tiré de l’attribution gratuites d’actions est exclu de l’assiette des cotisations sociales sous réserve de respecter les conditions édictées par l’article L. 225-197-1 du code de commerce. L’entreprise est ainsi tenue de déclarer l’identité des bénéficiaires au cours de l’année civile précédente, le nombre et la valeur des actions attribuées.
En application des dispositions de l’article R. 243-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur, les cotisations sont dues à raison des rémunérations payées. Le fait générateur des cotisations sociales est le jour du versement de la rémunération ; relevons que, depuis 2018, le fait générateur des cotisations n’est plus la date de versement de la rémunération mais la période d’activité au titre de laquelle la rémunération est due.
Compte tenu de ces principes, la date d’attribution définitive des actions gratuites est assimilée à la date de versement de la rémunération et constitue le fait générateur des cotisations sociales. Ce raisonnement conduit la deuxième chambre civile à juger que « l’avantage doit être évalué à la date de cette acquisition en fonction de l’économie réalisée par le bénéficiaire ». Cette période d’acquisition, à l’issue de laquelle l’attribution est définitive, figure parmi les conditions imposées par l’article L. 225-197-1 du code de commerce pour que le plan d’AGA soit « qualifié ». L’attribution des actions aux bénéficiaires devient définitive au terme de la période d’acquisition, d’une durée minimale d’un an. Dit autrement, le bénéficiaire du dispositif d’actionnariat ne devient propriétaire des actions gratuites qu’à l’expiration de la période d’acquisition. Avant l’expiration de ladite période, le salarié ne dispose d’aucun droit personnel ; la promesse de don n’a aucune valeur juridique jusqu’à ce que la dépossession soit réalisée (Cass., req., 23 juin 1947, D. 1947. 63).
L’avantage n’est définitivement octroyé au salarié qu’à compter de cette date, laquelle constitue alors le fait générateur des cotisations. Telle est d’ailleurs la solution retenue par les juges du fond reprise par la Cour de cassation en ces termes : « l’organisme de recouvrement a procédé à juste titre à la réintégration dans l’assiette des cotisations de la valeur des actions attribuées aux salariés à l’expiration de la période d’acquisition, qui correspond à la date à laquelle ils en sont devenus propriétaires en 2012 » (Amiens, 12 mai 2022, n° 20/05168).
Contestant cette solution dans son pourvoi, la société cotisante a soutenu un argument original tiré du droit fiscal : le fait générateur des cotisations serait la cession des actions postérieurement à leur acquisition au moment de réalisation d’une plus-value de cession. L’employeur souligne que l’impôt sur l’avantage correspondant à la valeur des actions gratuites à leur d’acquisition est dû au titre de l’année au cours de laquelle le bénéficiaire a cédé ses actions. En l’occurrence, aucune cession n’étant intervenue au cours de l’année 2012, la société considère qu’aucun redressement ne pouvait être opéré au titre des actions définitivement acquises la même année. Cette thèse s’inspire des termes de l’article 80 quaterdecies du code général des impôts selon lesquels « l’impôt est dû au titre de l’année au cours de laquelle le bénéficiaire a disposé de ses actions, les a cédées, converties au porteur ou mises en location ». En se référant à l’article 80 quaterdecies, la société cotisante cherchait à transposer la logique fiscaliste, focalisée sur l’imposition du salarié bénéficiaire, consistant à considérer que le fait générateur est la date de cession des actions gratuites et non la date d’acquisition.
Ce raisonnement ne pouvait convaincre la deuxième chambre civile compte tenu des règles spécifiques en matière de cotisations : « la cour d’appel a exactement déduit que le fait générateur des cotisations sociales n’était pas la cession des actions attribuées gratuitement aux salariés, mais l’attribution définitive de celles-ci au terme de la période d’acquisition ». Il ne pouvait en aller autrement. Alors que, juridiquement, l’avantage est certain lors de son acquisition ; il n’en est pas de même de la cession postérieure qui ne dépend que de la volonté du salarié et est donc aléatoire.
Au-delà de la date du fait générateur des cotisations sociales tiré de l’avantage des actions gratuites, s’est posée la question du montant de l’avantage entrant dans l’assiette des cotisations sociales.
Montant d’évaluation
L’autre apport de l’arrêt est la validation par la Cour de cassation de la requalification opérée par les juges du fond concernant les dispositifs mis en œuvre dénommés « KISS » et « PSP 2010 A FR ».
À la différence du plan « SMISS », la société cotisante ne contestait pas le caractère « non qualifié » de ces plans qui étaient attribués mais considérait qu’il s’agit de stock-options. Constatant qu’ils permettaient aux salariés de bénéficier d’une option d’achat d’actions à prix zéro, la deuxième chambre civile a validé la solution retenue par les juges du fond selon laquelle ce dispositif d’actionnariat s’analyse en une attribution gratuite d’actions.
On relèvera que la Cour d’appel d’Amiens avait expressément relevé que « le principe de l’attribution d’options d’achats d’actions (stock-options) n’est pas d’acquérir les actions gratuitement lors de la levée d’option mais d’avoir la possibilité de les acquérir à la date de la levée d’option pour leur valeur fixée à la date d’attribution de l’option […] ».
Au cas d’espèce, le fait de bénéficier d’une option d’achat d’actions à prix zéro ne constitue pas une possibilité d’acquisition mais une acquisition certaine des actions. Or, dans le cadre d’un dispositif d’actions gratuites, le montant de l’avantage doit être évalué à la date d’acquisition définitive des actions.
La société cotisante produisait un tableau retraçant la valeur des actions à la date de la levée d’option. Relevant que ce tableau n’est ni certifié, ni signé, les juges du fond ont considéré que la société ne produisait pas d’élément objectif permettant de vérifier la valeur des actions à la date de leur acquisition. De prime abord, cette décision est contraire au principe général du droit de la preuve selon lequel, « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen » (C. civ., art. 1358). Il s’agit d’ailleurs de l’argument soutenu par la société cotisante. Aucune disposition des articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce n’impose que la valeur de l’action au moment de son acquisition définitive soit établie par un mode preuve spécifique.
Cependant, l’argument ne pouvait pas prospérer pour deux raisons. D’une part, nul ne peut se constituer de preuve à lui-même (C. civ., art. 1363 ; Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-20.149), même si cette règle ne joue que pour les actes juridiques, et non les faits juridiques. D’autre part, la valeur probante d’un moyen de preuve est soumise à l’appréciation souverain des juges du fond (sauf dénaturation) qui vont sonder la légitimité de l’acte. Or, dans la présente affaire, le tableau établi par la société cotisante n’était pas signé ou certifié par un organe extérieur ce qui faisait douter de sa pertinence. La Cour de cassation ne pouvait donc pas remettre en cause la position des juges du fond qui ont écarté ce tableau. Par conséquent, la société ne pouvait contester le montant de l’évaluation retenue par l’URSSAF « en fonction des informations obtenues lors du contrôle ». En l’occurrence, il s’agissait de la « valeur refacturée par la société mère des actions attribuées par la société cotisante ». En l’espèce, il est intéressant de relever que le dispositif d’actionnariat avait une dimension internationale ; l’avantage tiré de ces plans non qualifiés dénommés « KISS » et « PSP 2010 A FR », intégré dans l’assiette des cotisations sociales, est évalué en fonction de la valeur refacturée par la société mère étrangère à la société cotisante française.
D’un point de vue probatoire, dans le cadre d’un plan « qualifié », la société cotisante aurait pu transmettre des éléments de preuve objectifs pour évaluer la valeur de l’action au moment de son attribution définitive. En effet, l’article L. 225-197-4 du code de commerce prévoit qu’un rapport spécial est établi afin d’informer chaque année l’assemblée générale ordinaire des opérations réalisées en vertu des attributions d’actions gratuites. Le dernier alinéa précise que ce rapport rend notamment compte de la valeur des actions qui, durant l’année, ont été attribuées gratuitement par une société mère à l’ensemble des salariés bénéficiaires de la filiale. Dit autrement, au moment du contrôle par l’URSSAF, la société cotisante aurait dû transmettre à l’URSSAF ce rapport spécial établi par le conseil d’administration, évitant ainsi un rejet de l’élément de preuve, par les juges du fond, établi par un organe extérieur.
Soc. 5 sept. 2024, F-B, n° 22-18.293
© Lefebvre Dalloz