Société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé : justes motifs au retrait judiciaire d’un associé

Les justes motifs autorisant le retrait judiciaire de l’associé d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé s’apprécient par la mise en balance des considérations liées à la situation personnelle de celui-ci et de l’intérêt collectif des associés restants au maintien de cette forme sociale d’offre touristique.

Quand les bronzés ne font plus de ski…

Nous avons tous en mémoire, cette scène culte du cinéma populaire français, dans laquelle un couple prend possession de son appartement en jouissance partagé à Val d’Isère et y remplace les cadres de manière peu civile. Ainsi dépeint au cinéma, le dispositif des sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé laissait déjà augurer bien des difficultés. En matière juridique, elles concernent notamment le temps où les associés n’ont plus la force de prendre des vacances et souhaiteraient se défaire de leurs titres. Déplaçons-nous de la vallée de la Tarentaise vers le massif du Beaufortain. Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur les justes motifs fondant le retrait d’associés en matière de société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé.

Dans cette affaire, des époux s’étaient portés acquéreurs de parts de société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé en 1997. Douze ans plus tard, ils ont demandé en justice l’autorisation de se retirer de la société pour justes motifs, en application de l’article 19-1 de la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986.

Le tribunal judiciaire les débouta de leur demande. La cour d’appel confirma le jugement. Elle constata que les époux ne pouvaient plus occuper le bien, notamment en raison de problèmes de santé les empêchant de s’y rendre. Mais elle considéra que ces circonstances personnelles étaient insuffisantes pour caractériser les justes motifs de retrait. Elle souligna notamment qu’ils n’apportaient pas la preuve qu’ils ne pouvaient plus utiliser leurs droits en les cédant ou en louant l’appartement.

Les époux ont formé un pourvoi en cassation.

Ils faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande arguant notamment que « l’impossibilité pour des associés, en raison, en particulier de motifs graves de santé, de pouvoir personnellement accéder à l’ensemble immobilier concerné ou occuper personnellement les biens en cause est de nature à constituer un juste motif de retrait sans que les associés soient également tenus de rapporter la preuve qu’ils ne peuvent céder leurs droits ou louer les biens en cause ».

La Cour de cassation devait donc déterminer les contours des justes motifs fondant le retrait des associés d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé et répondre à la question de savoir si l’impossibilité de jouir personnellement du bien peut constituer, à elle seule, un juste motif de retrait.

La Haute juridiction répond par la négative. Elle énonce que les justes motifs prévus dans l’article 19-1 de la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 autorisant le retrait judiciaire de l’associé d’une société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé s’apprécient par la mise en balance des considérations liées à la situation personnelle de celui-ci et l’intérêt collectif des associés restants au maintien de cette forme sociale d’offre touristique. Les époux ne démontrant pas la preuve de leur impossibilité à céder ou louer leurs droits, ils ne pouvaient faire valoir un juste motif de retrait.

Le retrait judiciaire de la société conditionné par de justes motifs

En droit des sociétés, les droits et obligations de l’associé de sortir de la société se traduisent tant par des règles relatives à la cession des droits sociaux parfois contrariée par une clause d’agrément que des règles relatives au retrait de l’associé. Ces dispositifs varient selon les formes sociales.

S’agissant des sociétés civiles de droit commun, l’article 1869, alinéa 1er, du code civil dispose en substance que, sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer dans les conditions prévues dans les statuts ou après décision unanime des associés. Le texte ajoute que « ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice ».

À propos de ce retrait en société civile de droit commun, la jurisprudence de la Cour de cassation semble énoncer que la notion de « justes motifs » s’apprécie de façon subjective, au regard de la situation de l’associé qui demande le retrait (Civ. 1re, 27 févr. 1985, n° 83-14.069 ; Civ. 3e, 1er déc. 2009, n° 08-14.937, AJDI 2010. 161 ). On notera ici que cette appréciation diffère de celle des justes motifs fondant la dissolution de l’article 1844-7 du code civil qui s’analysent au regard de la paralysie du fonctionnement de la société. Ainsi, en matière de retrait des sociétés civiles, la Cour de cassation exerce un contrôle sur l’appréciation subjective réalisée par les juges du fond et fait preuve d’une certaine souplesse, sans toutefois admettre les motifs de pure convenance personnelle (Com. 8 mars 2005, n° 02-17.448 ; Civ. 3e, 13 févr. 2008, n° 07-10.959).

Il faut souligner que le retrait de l’associé fait l’objet d’un texte de droit spécial en matière de société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé.

Introduit en 2009, l’article 19-1 de la loi du 6 janvier 1986 énonce désormais que « Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice, notamment lorsque l’associé est bénéficiaire des minima sociaux ou perçoit une rémunération inférieure au salaire minimum interprofessionnel de croissance, ou lorsque l’associé ne peut plus jouir du lot qui lui a été attribué du fait de la fermeture ou de l’inaccessibilité de la station ou de l’ensemble immobilier concerné ». La formulation actuelle de l’article résulte de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). La précision du texte et son évolution dans le temps s’expliquent en raison des caractéristiques de ces parts et, en particulier, des difficultés financières que pouvaient connaître les associés (chutes de revenus, impossibilité de pouvoir céder leurs parts, inexistence d’un marché à la revente …). Plusieurs rapports parlementaires avaient mis en lumière que les associés se trouvaient en quelque sorte prisonniers de leurs titres. La question était toutefois de savoir si les motifs énoncés par l’article étaient limitatifs ou s’il restait un pouvoir d’appréciation du juge, qui aurait pu être favorable par exemple à la situation d’associés connaissant des problèmes de santé.

Sur ce cas particulier, en réponse à la question écrite n° 5074 (Rép. min. n° 5074, JO Sénat, 27 sept. 2018), le ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales avait répondu que le retrait doit demeurer « exceptionnel, notamment afin de ne pas léser les intérêts des associés restants qui seront également amenés, après mise en œuvre de ce mécanisme, à supporter les charges des associés sortants ». Cette mention rappelait que le retrait ne saurait se fonder sur l’existence de simples convenances personnelles. Dans la réponse, le ministre se montrait, en même temps, favorable à une lecture non limitative des motifs de l’article en énonçant que « Le juge peut (…) apprécier au cas par cas chaque situation, en tenant compte le cas échéant d’éléments de nature personnelle en fonction de leur gravité (par ex., état de santé d’un associé le privant de la jouissance ses droits), même si la possibilité de retrait doit demeurer très encadrée ».

Plusieurs cours d’appel ont pu se prononcer sur la question des justes motifs fondant le droit de retrait des associés de société d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé. Elles ont souvent refusé le retrait judiciaire à un associé en soulignant que ce retrait devait rester exceptionnel car il ne devait pas léser les intérêts des associés restants. Elles ont aussi établi que l’impossibilité d’user personnellement du bien devait s’entendre non seulement par l’inaptitude à pouvoir se rendre physiquement sur les lieux et à occuper effectivement le bien, mais encore par l’incapacité à pouvoir mettre le bien en location ou à céder ses droits (Orléans, 10 juill. 2023, n° 23/01195 ; Douai, 14 sept. 2023, n° 20/01738).

La mise en balance de l’intérêt personnel du candidat au retrait et de l’intérêt collectif des associés

Dans cette affaire également, la Cour d’appel de Chambéry le 3 janvier 2023 avait choisi de prendre en considération tous les intérêts en présence et de limiter les justes motifs à des situations exceptionnelles. Tout en retenant que les justes motifs pouvaient se fonder sur des considérations personnelles, elle soulignait qu’ils ne pouvaient pas être de pure convenance et qu’il convenait donc de les apprécier avec une certaine rigueur, notamment au regard des conséquences que le retrait faisait peser sur les associés restants.

La Cour de cassation fut sans doute sensible à ces arguments puisqu’elle invite finalement à réaliser une analyse rigoureuse de la situation économique de l’opération tant du point de vue du candidat au retrait que des associés restants.

Elle invite à ne pas négliger la situation des associés restants qui auront à porter de nouvelles charges et à analyser avec rigueur la situation tant personnelle que pécuniaire et patrimoniale de l’associé candidat au retrait. La possibilité de louer le bien et de céder le titre ne compromet pas totalement sa situation économique. Comparativement, les associés restants supportent immédiatement les conséquences financières du retrait de l’un d’eux. La circonstance exceptionnelle autorisant le retrait semble donc exiger l’impossibilité conjuguée de jouir personnellement du bien et d’en retirer un gain économique.

Que l’on fonde les justes motifs sur des considérations plus économiques qu’humaines en droit des sociétés est de bon aloi au regard de la matière considérée. La décision est de bon sens tant au regard du droit commun des sociétés qu’au regard du cas particulier des sociétés d’attribution. Une société, même patrimoniale, n’est pas qu’une technique, un outil d’ingénierie patrimoniale, servant des intérêts individuels. Tous les intérêts doivent être préservés et notamment l’intérêt collectif des associés. Dans cette affaire, la Cour de cassation a donc fait une application rigoureuse du droit, rappelant pédagogiquement ce qui doit guider la décision des juges du fond : il s’agit de mettre en balance l’intérêt de l’associé candidat au retrait et l’intérêt collectif de ceux qui resteront en place et auront à supporter les conséquences du retrait.

La méthode (D. Ponsot, Une politique prétorienne pour le droit des sociétés ?, in C. Coupet [dir.], Le droit français des sociétés : bilan et perspectives, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2025, p. 91 s.) démontre un souci d’écoute des juridictions du fond. La haute cour se rallie aux arguments majoritairement retenus sur ce sujet relativement à l’application de l’article 19-1 précité. L’examen de cette question juridique en formation de section marque sa volonté de coordonner sa réflexion et de donner une portée à sa décision, ce qui est attesté par la publication au Bulletin. Tant sur la méthode que sur le fond, cet arrêt a donc une portée et une valeur certaines.

 

Civ. 3e, 21 nov. 2024, FS-B, n° 23-16.857

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