Sort du délai de péremption d’instance en cas de suppression d’une juridiction

Lorsqu’une juridiction est supprimée, les procédures en cours sont transférées en l’état à la juridiction dans le ressort duquel est situé le siège de la juridiction supprimée. Il n’est alors pas nécessaire de renouveler les actes et formalités intervenus antérieurement, sauf les convocations, citations et assignations données aux parties et témoins qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée. Il en résulte que, à compter de ce transfert, en procédure orale, la direction de la procédure échappe aux parties qui n’ont, dès lors, plus de diligences à effectuer en vue d’interrompre le délai de péremption d’instance.

La péremption d’instance est à nouveau à l’honneur à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Après déjà plusieurs décisions remarquées au cours des derniers mois (v. not., Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-20.034, Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. C. Bléry et M. Bencimon ; D. 2024. 14 ; ibid. 507, chron. C. Bohnert, F. Jollec, X. Pradel, S. Ittah, C. Dudit et M. Labaune-Kiss ; RTD civ. 2024. 488, obs. N. Cayrol ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 65, note M. Plissonnier ; Procédures 2024. Comm. 28, note R. Laffly ; 21 déc. 2023, n° 17-13.454, Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. C. Bléry et M. Bencimon ; D. 2024. 507, chron. C. Bohnert, F. Jollec, X. Pradel, S. Ittah, C. Dudit et M. Labaune-Kiss ; RCJPP 2024, n° 01, p. 30, obs. S. Bernigaud ; RTD civ. 2024. 488, obs. N. Cayrol ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 65, note M. Plissonnier ; 21 déc. 2023, n° 21-23.816, Dalloz actualité, 24 janv. 2024, obs. C. Bléry ; D. 2024. 16 ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 65, note M. Plissonnier ; 7 mars 2024, n° 21-23.230, n° 21-19.475, n° 21-19.761 et n° 21-20.719, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860 , note M. Plissonnier ; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier ; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi ; RTD civ. 2024. 490, obs. N. Cayrol ; Procédures 2024. Comm. 110, note R. Laffly ; JCP 2024. Doctr. 673, spéc. n° 2, obs. L. Veyre ; ibid. Act. 484, note F. Roger ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 46, note S. Amrani-Mekki ; ibid. n° 22, p. 40, note N. Hoffschir ; Dr. fam. 2024. Comm. 80, note V. Égéa ; RLDC 2024, n° 227, p. 26, note M.-C. Lasserre ; 10 oct. 2024, n° 22-12.882, Dalloz actualité, 6 nov. 2024, obs. M. Plissonnier ; D. 2024. 1781 ), deux nouvelles viennent d’être prononcées.

La première décision a apporté une précision sur la date à compter de laquelle il est possible de déduire une connaissance, par les litigants, des diligences qu’ils ont à accomplir. La Cour de cassation a décidé qu’en l’absence de délai imparti aux parties pour accomplir les diligences mises à leur charge, le délai de péremption court à compter de la date à laquelle elles ont eu une connaissance effective de ces diligences. Dès lors, le délai de péremption suivant un jugement de radiation qui met à la charge d’une des parties des diligences à accomplir court à compter du prononcé de la décision, et non de sa notification, pourvu qu’il ressorte d’une note d’audience que la partie à qui les diligences incombaient était présente à l’audience (Civ. 2e, 14 nov. 2024, n° 22-23.185 P, Dalloz actualité, 29 nov. 2024, obs. M. Barba ; Gaz. Pal., note M. Plissonnier, à paraître).

La seconde décision, ici sous commentaire, porte différemment sur la question du sort du délai biennal de péremption d’instance dans l’hypothèse particulière de la suppression de la juridiction saisie.

Chacun se souvient de la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance pour créer les tribunaux judiciaires au 1er janvier 2020, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En revanche, l’on se souvient moins que, peu de temps auparavant, une réforme avait concerné les tribunaux d’instance parisiens. Autrefois répartis dans chaque arrondissement, les Tribunaux d’instance de Paris ont été supprimés en 2018 au profit d’un unique Tribunal d’instance de Paris situé dans les locaux du nouveau Tribunal de Paris (Batignolles, 17e arrondissement). C’est précisément la disparition de ces tribunaux d’instance, et le sort du délai de péremption d’instance des procédures pendantes, qui sont à l’origine de la présente affaire.

En l’espèce, par acte du 17 septembre 2015, les consorts Z. avaient assigné, devant le Tribunal d’instance de Paris du 2e arrondissement, une banque pour obtenir l’annulation de leur contrat de crédit affecté. Par acte du 31 mai 2017, ils ont ensuite assigné en intervention forcée une autre banque venant aux droits de la première.

Par un jugement du 19 novembre 2019, le Tribunal d’instance de Paris a constaté la péremption d’instance deux ans après l’assignation en intervention forcée, c’est-à-dire au 31 mai 2019. Sur l’appel des requérants, et par un arrêt du 24 mars 2022 (Paris, pôle 4 – ch. 9, 24 mars 2022, n° 20/03383), la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.

Devant la Cour de cassation, les requérants soutenaient en substance que la péremption n’était pas acquise dès lors que la suppression du Tribunal d’instance du 2e arrondissement de Paris avait laissé les requérants dans l’attente d’un audiencement au sein du nouveau Tribunal d’instance de Paris. Selon les demandeurs au pourvoi, la direction de la procédure leur avait alors échappé de sorte que le délai de péremption avait cessé de courir.

Dans son arrêt du 21 novembre 2024, la Cour de cassation prononce la cassation de l’arrêt d’appel. Pour ce faire, la deuxième chambre civile rappelle le raisonnement des juges du fond : les parties n’avaient accompli aucune diligence depuis l’assignation en intervention forcée du 31 mai 2017 et « la suppression du Tribunal d’instance de Paris 2e n’a[vait] pas eu d’effet sur le cours de la péremption » (§ 8). Or, selon la Cour, la direction de la procédure avait échappé aux parties à compter du transfert de la procédure au Tribunal d’instance de Paris, ce dernier ayant été créé à la date de l’entrée en vigueur du décret n° 2017-1643 du 30 novembre 2017, c’est-à-dire le 14 mai 2018. Dès lors, à compter de cette date, les parties n’étaient plus tenues d’accomplir la moindre diligence particulière et le délai de péremption avait cessé de courir (§ 9).

Cet arrêt emporte l’adhésion. La suppression d’une juridiction est un acte grave, subi par les justiciables, et qui met en jeu la continuité du service public. Il est alors logique que les parties ne subissent pas les conséquences du réaménagement induit par cette suppression. Toutefois, si au terme de cette solution les parties sont par principe protégées, reste à déterminer l’étendue de cette protection qui n’est pas sans limites.

Le principe de la protection

La disparition d’une juridiction n’est pas un évènement courant. Lorsqu’elle se produit, elle soulève légitimement des inquiétudes pour les praticiens. C’est pourquoi, par principe, les parties sont protégées des conséquences de cette suppression.

D’un point de vue organisationnel, la continuité du service public est assurée en distinguant deux situations : celle de la suppression d’une juridiction et celle de la création d’une juridiction de même rang (ou de la modification du ressort de la juridiction). Dans le second cas, la juridiction primitivement saisie, et qui entre en concurrence avec une nouvelle, demeure compétente pour trancher l’affaire. En revanche, dans le cas d’une suppression, la solution retenue en droit positif est différente. À l’entrée en vigueur du texte portant suppression, toutes les procédures en cours sont « transférées en l’état » à la juridiction qui se trouve dans le ressort de la juridiction supprimée. Les solutions sont identiques, qu’il s’agisse du tribunal judiciaire (COJ, art. R. 211-2), de la cour d’appel (COJ, art. R. 311-2) ou, anciennement, du tribunal d’instance (COJ, art. R. 221-2 anc.).

Il faut ensuite déterminer les incidences procédurales de la suppression.

La notion de « transfert en l’état » est inhabituelle en procédure civile. Elle laisse entendre que la suppression d’une juridiction déclenche, pour chaque dossier, une transmission de la procédure telle qu’elle est alors pendante devant la juridiction supprimée. Et en effet, le code de l’organisation judiciaire, visé par la Cour de cassation, prévoit qu’il n’est pas nécessaire de « renouveler les actes, formalités et jugements régulièrement intervenus antérieurement à [la date de la suppression de la juridiction] ». Autrement dit, les actes régulièrement accomplis avant l’entrée en vigueur du texte portant suppression ne sont pas privés d’effet.

Il s’agit là d’une première source de protection pour les parties : les actes déjà accomplis sont conservés de sorte que, pour ce qui intéresse la péremption d’instance, l’effet interruptif attaché à ces actes est lui-même préservé. Dans la présente affaire, l’assignation de la banque en intervention forcée du 31 mai 2017 avait donc valablement interrompu le délai de péremption.

Toutefois, ce principe trouve, selon la lettre du texte, « exception » pour les : « […] convocations, citations et assignations données aux parties et aux témoins qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée ». L’article R. 221-2 ancien du code de l’organisation judiciaire imposait ainsi que soient renouvelés certains actes en particulier.

Qu’advient-il, dans ce cas, du délai de péremption à compter de la date de suppression de la juridiction ? C’est sur ce point qu’apparaît la divergence d’appréciation entre la cour d’appel et la Cour de cassation.

En l’espèce, par courrier du Tribunal d’instance du 2e arrondissement de Paris du 4 avril 2018, les parties avaient été convoquées à l’audience du 16 novembre 2018. Toutefois, entre la convocation et l’audience, le texte prévoyant la suppression du tribunal primitivement saisi était entré en vigueur. En effet, le décret n° 2017-1643 du 30 novembre 2017 relatif à la création du Tribunal d’instance de Paris et à la suppression des vingt tribunaux d’instance d’arrondissement, entré en vigueur le 14 mai 2018, prévoyait en son article 5 une création à cette date du Tribunal d’instance de Paris et un transfert des procédures en cours devant le Tribunal d’instance du 2e arrondissement le 2 juin 2018.

Selon la cour d’appel, l’entrée en vigueur du décret n’avait pas eu d’effet sur le cours de la péremption d’instance. Non seulement la suppression d’une juridiction ne constituait pas une cause d’interruption du cours de la péremption au sens de l’article 392 du code de procédure civile (le moyen avait été soulevé en appel et n’a pas été examiné devant la Cour de cassation ; la Cour de cassation ayant malheureusement cessé de reproduire les moyens non examinés par elle, on ne peut que supposer qu’il s’agissait de la 1re branche du moyen des requérants), mais de surcroît cette suppression n’avait pas soustrait aux parties la direction de la procédure. Dès lors, selon les juges du fond, une simple demande de renvoi adressée au Tribunal d’instance de Paris le 15 novembre 2018 n’avait pu interrompre le délai de péremption (la solution est constante, Civ. 2e, 3 mars 1988, n° 86-15.785 P ; 1er mars 2018, n° 16-27.853).

Pour la Cour de cassation, au contraire, la suppression du tribunal et le transfert de la procédure en cours au Tribunal d’instance de Paris avaient bien fait perdre aux parties la direction de la procédure. Dès lors, le délai de péremption ne courait plus, faute pour les parties d’être tenues d’accomplir des diligences particulières.

La solution est juridiquement logique. Devant le tribunal d’instance, la procédure était orale et, au cas présent, le transfert en l’état était intervenu après une convocation des parties à l’audience, mais avant la tenue effective de cette audience. En application de l’article R. 221-2 ancien du code de l’organisation judiciaire, il revenait alors au tribunal de convoquer les parties à une nouvelle audience, faute pour la précédente d’avoir pu se tenir avant la suppression de la juridiction. En conséquence, puisqu’il revenait au tribunal d’agir, les parties avaient perdu la direction de la procédure et ne pouvaient se voir opposer la nécessité d’accomplir des diligences particulières.

L’étendue de la protection

La décision protège les parties de la péremption d’instance : avant la suppression de la juridiction, en préservant les actes accomplis ; après la suppression, en considérant que les parties perdent la direction de la procédure. Le délai de péremption d’instance est donc interrompu par le dernier acte accompli et ne court plus à compter du transfert de la procédure à une autre juridiction.

Cependant, plusieurs éléments invitent à préciser l’étendue de cette protection et même, dans une certaine mesure, à la relativiser. Les termes de l’arrêt ne protègent en effet les parties que dans la mesure du texte tirant les conséquences de la suppression d’une juridiction.

Premièrement, le cas d’espèce entrait exactement dans l’exception prévue par l’article R. 221-2 ancien du code de l’organisation judiciaire : la suppression de la juridiction était intervenue entre la convocation à l’audience et la tenue de cette audience. Comme l’indiquait le moyen, les parties étaient « dans l’attente de l’audiencement au sein du nouveau tribunal ». Mais qu’adviendrait-il si la suppression de la juridiction était intervenue avant toute convocation à une audience ou, au contraire, après la tenue de cette audience ? Ces deux hypothèses n’étant plus celles du texte, il conviendrait sans doute de faire application du droit commun. Dans ce cas, en matière de procédure orale, on sait que la péremption d’instance s’applique normalement pourvu que la progression de l’instance n’incombe pas uniquement au greffe ou à la juridiction (Soc. 20 févr. 1986, n° 83-40.895 et n° 84-40.581 ; 3 oct. 1989, n° 88-12.797). Alors, les parties « n’ont pas d’autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l’affaire » (Civ. 2e, 30 avr. 2009, n° 07-16.467 ; 2 juin 2016, n° 15-17.354, Dalloz actualité, 21 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2017. 422, obs. N. Fricero ; 2 juill. 2020, n° 19-12.850). En ce sens, l’alinéa 5 de l’article R. 221-2 ancien du code de l’organisation judiciaire disposait que, en cas de comparution des parties devant le tribunal d’instance, « il leur appart[enait] d’accomplir les actes de la procédure devant le tribunal d’instance auquel la procédure a été transférée ». Cet alinéa étant identiquement repris par les textes qui concernent les autres juridictions (v. supra), il n’y pas de raison d’établir un diagnostic différent. Les parties ne seraient donc pas nécessairement protégées contre l’écoulement du délai de péremption d’instance si la suppression intervenait avant la convocation à une audience ou après la tenue de cette audience.

Deuxièmement, peut-on considérer que les parties perdraient la direction de la procédure et seraient préservées de l’écoulement du délai de péremption si la juridiction supprimée leur indiquait, avant sa suppression, à quelle audience elles seraient convoquées devant la juridiction où les procédures seront transférées ? La question se pose car la circulaire du 14 décembre 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-1643 du 30 novembre 2017 (Circ. 14 déc. 2017, NOR : JUSB1732599C) prévoyait une telle possibilité. Elle indiquait qu’il serait « possible et utile pour les parties » qu’elles soient avisées des dates d’audience en amont de la suppression des tribunaux d’arrondissement. Au cas particulier, le calendrier des audiences était connu dès le 15 décembre 2017 avant la prise de l’ordonnance de roulement. Au demeurant, cette possibilité était elle-même prévue par l’article R. 221-2, alinéa 3, du code de l’organisation judiciaire. En pareille hypothèse, les parties devraient néanmoins pouvoir bénéficier de la protection décidée par la Cour de cassation. En effet, le code de l’organisation judiciaire oblige à réitérer les convocations en l’absence de « comparution » des parties. Délivrer une information sur la date de l’audience devant la juridiction devant laquelle les procédures seront transférées n’est qu’une précision informelle, donnée à titre « purement indicatif » (Circ. préc. 14 déc. 2017, p. 3). Elle ne devrait donc pas, à elle seule, permettre au délai de péremption de courir.

Troisièmement, l’article R. 221-2 ancien du code de l’organisation judiciaire vise parmi les exceptions les « convocations, citations et assignations données aux parties et aux témoins qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée ». Si la solution de la deuxième chambre civile a sans doute vocation à s’appliquer à toutes les convocations (lesquelles sont toujours délivrées par la juridiction oralement à l’audience ou par tout moyen), il n’en va pas nécessairement de même des citations et assignations. Les citations peuvent en effet être adressées par voie d’huissier et les assignations le sont nécessairement. Dès lors, si la réitération concerne un acte d’huissier, c’est qu’il reviendrait aux parties de les réitérer, et non à la juridiction. Dans ce cas, on peut douter que les parties (ou au moins l’une d’entre elles) perdent la direction de la procédure.

Quatrièmement, la suppression concernait en l’espèce un tribunal d’instance devant lequel la procédure était orale. Cependant, rappelons que la lettre du texte est identique en cas de suppression d’un tribunal judiciaire ou d’une cour d’appel. Le même texte a donc vocation à s’appliquer, y compris dans le cas d’une procédure écrite. À nouveau, en telle situation, le droit commun de la péremption d’instance reprendrait ses droits et les parties ne seraient dispensées d’accomplir des diligences que dans le cas où la direction de la procédure leur échapperait.

En définitive, si l’arrêt du 21 novembre 2024 apporte une protection réelle aux parties qui subissent la suppression de la juridiction devant laquelle leur affaire est pendante, cette protection n’est pas sans limite. Prudence donc, au praticien confronté à cette situation. Il convient de déterminer le champ de cette protection. En tout état de cause, et comme toujours en matière de péremption, le doute commande l’action.

 

Civ. 2e, 21 nov. 2024, F-B, n° 22-16.808

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