Suivi socio-judiciaire : revirement de jurisprudence au sujet du défaut de délivrance des avertissements

Par un arrêt rendu le 20 mars 2024, la Haute juridiction opère un revirement de jurisprudence et retient que le défaut de délivrance des avertissements n’est plus susceptible d’emporter la nullité de la décision sur la peine.

L’arrêt commenté trouve son origine dans la reconnaissance de la culpabilité d’un individu par la cour d’assises et sa condamnation, pour tentative de meurtre, viols aggravés et vol en récidive, à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de vingt-deux ans, quinze ans de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, quinze ans d’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et cinq ans d’inéligibilité. La Haute juridiction a eu à statuer spécifiquement sur les modalités du prononcé du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins. Cette peine emporte l’obligation pour le condamné de se soumettre pour une durée déterminée à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive.

Il résulte de l’article 131-36-1 du code pénal qu’en cas de prononcé d’un suivi socio-judiciaire, il incombe à la juridiction de jugement de fixer, d’une part, la durée du suivi et, d’autre part, la durée maximum de l’emprisonnement encouru en cas d’inobservation par le condamné des obligations qui lui sont imposées. Il résulte par ailleurs de cette disposition que « le président de la juridiction, après le prononcé de la décision, avertit le condamné des obligations qui lui incombent et des conséquences qu’entraînerait leur inobservation ». L’article 131-36-4 du code pénal s’intéresse plus précisément à l’injonction de soins susceptible de constituer l’une des obligations du suivi socio-judiciaire prononcé. Dit autrement, ces dispositions imposent au président de la juridiction de jugement, après le prononcé de la condamnation, d’avertir le condamné quant aux obligations qui lui sont imposées et aux conséquences de leur inobservation.

Dans le cas d’espèce, la personne condamnée à une mesure de suivi socio-judiciaire a formé un pourvoi en cassation en soutenant qu’il ne résulte ni de l’arrêt criminel, ni du procès-verbal des débats que le président de la juridiction de jugement ait procédé à la communication des avertissements définis par les dispositions précédemment mentionnées. Il allègue ainsi l’absence d’information, d’une part, quant aux obligations résultant du suivi socio-judiciaire et des conséquences qu’entraînerait leur inobservation et, d’autre part, sur le fait qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement mais que, s’il refuse les soins qui lui seront proposés, l’emprisonnement prononcé à son encontre en vertu de l’article 131-36-1 pourra être mis à exécution, et enfin qu’il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de la peine de réclusion criminelle prononcée à son encontre. Le demandeur au pourvoi soulève en conséquence une violation par la cour d’assises des articles 131-36-1 et 131-36-4 du code pénal.

En considération de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, les arguments présentés par le demandeur au pourvoi étaient effectivement susceptibles d’emporter la conviction des juges en engendrant une cassation de l’arrêt. Néanmoins, par l’arrêt commenté, la Cour a opéré un revirement de sa jurisprudence.

Rappel du positionnement antérieur de la Haute juridiction

La Haute juridiction a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises en la matière, mettant ainsi en lumière la nécessaire information du condamné par le président de la juridiction de jugement et la cassation de l’arrêt d’une juridiction en ses dispositions portant sur les peines en cas de carence d’avertissement.

Une nécessaire information du condamné

Par un arrêt ancien du 16 mars 2005 (Crim. 16 mars 2005, n° 04-81.328 P, D. 2005. 1180  ; ibid. 2006. 1078, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon  ; AJ pénal 2005. 236, obs. M. Herzog-Evans  ; RSC 2005. 840, obs. G. Vermelle ), les juges de cassation avaient retenu que le visa, dans l’arrêt de condamnation de la cour d’assises, des articles 131-6-1 à 131-6-8 du code pénal suffisait à établir que, conformément aux prescriptions de ces textes, l’obligation de soins avait été imposée au vu d’une expertise médicale et que le président, après le prononcé de la décision, avait donné à l’accusé les divers avertissements prévus aux articles 131-36-1 et 131-36-4 du code pénal.

Par la suite, la Cour a par la suite infléchi son positionnement en exigeant un avertissement non discutable. La Haute juridiction a ainsi censuré à plusieurs reprises les arrêts des juges du fond qui, en méconnaissance des dispositions de l’article 131-36-1 du code pénal, ont prononcé une mesure de suivi socio-judiciaire sans qu’il ne résulte ni de l’arrêt, ni du procès-verbal des débats que le président de la juridiction a averti le condamné des obligations en résultant et des conséquences qu’entraînerait leur inobservation (Crim. 10 nov. 2021, n° 20-86.292 ; 16 févr. 2022, n° 21-81.312).

Les conséquences de l’absence d’information du condamné

Il résulte d’un arrêt de la Cour de cassation de 2018 (Crim. 24 mai 2018, n° 16-85.310 P) qu’une mise à exécution de l’emprisonnement fixé en application de l’article 131-36-1 du code pénal ne pourrait intervenir, en raison du refus, par le condamné, de commencer ou de poursuivre le traitement proposé dans le cadre d’une injonction de soins, sans que l’avertissement omis par le président de la juridiction de jugement lui ait été préalablement notifié par le juge de l’application des peines.

La Cour de cassation a par ailleurs jugé que le défaut de délivrance de l’avertissement prévu par l’article 131-36-1 du code pénal par la juridiction prononçant un suivi socio-judiciaire devait conduire à la cassation de l’arrêt d’une juridiction en ses dispositions portant sur les peines (Crim. 17 mars 2021, n° 20-83.916 ; 23 juin 2021, n° 20-82.998 ; 16 févr. 2022, n° 21-81.312, préc.).

L’exigence d’information et les conséquences du défaut de délivrance dudit avertissement faisaient ainsi l’objet d’une jurisprudence constante. D’ailleurs, cette question, du fait sûrement de cette constance, n’a jusqu’alors que peu fait l’objet de développements doctrinaux.

Il résulte néanmoins de l’arrêt commenté que « cette jurisprudence doit être abandonnée ».

L’abandon de son positionnement antérieur par la Haute juridiction

Portée de l’arrêt commenté

La Cour de cassation retient que le défaut de délivrance des avertissements requis par les articles 131-36-1 et 131-36-4 du code pénal n’est plus susceptible d’emporter la nullité de la décision sur la peine.

Néanmoins, le contenu de la motivation de l’arrêt laisse supposer que l’exigence d’information par le président de la juridiction de jugement en elle-même est remise en cause et non pas seulement l’étendue des conséquences de cette carence.

Une motivation critiquable de la Cour

La Haute juridiction justifie son revirement de jurisprudence par le fait que les dispositions du code pénal ne prévoient pas que la délivrance des avertissements qu’elles prescrivent est exigée à peine de nullité de la décision sur la peine. Le code pénal impose toutefois au président de la juridiction de jugement d’avertir le condamné quant aux obligations qui lui sont imposées et aux conséquences de leur inobservation. Or, dans le cas d’espèce, ni l’arrêt d’assises ni le procès-verbal des débats ne font mention d’une information donnée par le président sur les conséquences du non-respect des obligations ou du refus d’accepter des soins. Ce qui implique qu’il n’est pas établi que l’information a effectivement été communiquée.

Les juges de cassation font également état du contrôle et de la supervision opérée par le juge de l’application des peines garantissant la connaissance et la compréhension par la personne concernée des obligations qui lui sont imposées. Sur le fondement des articles R. 61 à R. 61-6 du code de procédure pénale, la Haute juridiction indique ainsi que le juge de l’application des peines est chargé de rappeler à la personne concernée les obligations auxquelles elle est soumise en vertu de la décision de condamnation et la durée maximale de l’emprisonnement encourue en cas d’inobservation, mais également qu’il a pouvoir pour notifier des obligations complémentaires.

Par cet arrêt, la Cour semble méconnaître les dispositions du code pénal en ce qu’en définitive, la charge de l’information incombe désormais au juge de l’application des peines et non plus au président de la juridiction de jugement. Ce positionnement pose question dans la mesure où, d’une part, au stade du passage devant le juge de l’application des peines, la décision sur la peine est définitive et donc, de fait, plus contestable par l’individu. Et d’autre part, en ce que la compréhension par le condamné de la peine prononcée constitue l’un des fondements de la procédure pénale française. Compte tenu de la portée du revirement, il est à regretter que la Cour de cassation n’ait pas davantage motivé sa décision.

 

Crim. 20 mars 2024, FS-B, n° 23-80.886

© Lefebvre Dalloz