Sur l’appel des décisions du bâtonnier statuant sur le règlement des différends entre avocats
En matière de procédure sans représentation obligatoire, y compris lorsque les parties ont choisi d’être assistées ou représentées par avocat, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement. Il n’est pas dérogé à ce principe de solution s’agissant du recours formé contre la décision du bâtonnier statuant sur le règlement des différends entre avocats, régi par les articles 562 et 933 du code de procédure civile.
La Cour de cassation persiste opportunément dans la ligne de fracture dessinée par ses soins en procédure d’appel. Il y a, d’un côté, la procédure avec représentation obligatoire, d’autant plus rigoureuse que les parties sont obligatoirement représentées par avocat. Il y a, d’un autre côté, la procédure sans représentation obligatoire, dont la rigueur procédurale est nécessairement moindre. Et elle l’est même si les parties décident librement d’être représentées par avocat et même si les parties sont elles-mêmes avocates. La deuxième chambre civile le redit après la première chambre civile au moyen du présent arrêt.
Un différend naît entre avocats dans le cadre de leur exercice professionnel. Un collaborateur d’un cabinet saisit alors le bâtonnier, lequel rend sa décision, jugeant que la rupture du contrat de collaboration est nulle et discriminatoire et condamnant le cabinet à verser au collaborateur certaines sommes. La société d’avocats succombante forme un recours devant la cour d’appel.
La déclaration d’appel n’indique pas les chefs du « jugement » critiqués, ce que la cour d’appel ne manque pas de relever. Celle-ci n’ignore pas que la procédure d’appel sans représentation obligatoire est applicable au cas présent ; elle n’ignore pas davantage qu’ordinairement, en la matière, la déclaration d’appel dépourvue de l’indication des chefs de jugement critiqués opère pleine dévolution, contrairement à ce qui vaut en procédure d’appel avec représentation obligatoire.
La cour d’appel retient néanmoins que ce principe de solution n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’un recours contre une décision du bâtonnier statuant pour régler un différend entre avocats, en ce que, précisément, les litigants sont avocats de leur état, i.e. des professionnels du droit avisés et normalement diligents. La cour d’appel estime qu’il n’est pas excessif d’attendre d’eux qu’ils indiquent les chefs de jugement critiqués dans leur déclaration d’appel à peine de défaut d’effet dévolutif.
Pourvoi est sobrement formé et excellemment formé.
La Cour de cassation confirme, tout d’abord, que le recours contre une décision du bâtonnier statuant en matière de règlement des différends entre avocats obéit à la procédure d’appel sans représentation obligatoire, ce qui ne faisait pas difficulté. Elle rappelle, ensuite, que dans le contexte d’une telle procédure, la déclaration d’appel vide de chefs de jugement critiqués opère ordinairement pleine dévolution malgré tout. Implicitement, elle retient, enfin, qu’il n’est pas fait exception à ce principe de solution s’agissant du recours contre une décision du bâtonnier statuant en matière de règlement des différends entre avocats, même si la procédure se déroule effectivement entre avocats par définition.
La cassation est acquise sur ces motifs.
Voici un arrêt qui emporte pleine approbation sous l’empire des textes antérieurs à la réforme de la procédure d’appel du 29 décembre 2023. Sa pérennité semble du reste assurée à l’aune des nouveaux textes issus de cette réforme.
Nul n’ignore qu’en procédure d’appel avec représentation obligatoire, l’indication des chefs de jugement critiqués est obligatoire dans la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 901), à défaut de quoi l’effet dévolutif n’opère pas (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288
; ibid. 576, obs. N. Fricero
; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon
; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry
; ibid. 458, obs. N. Cayrol
). En contrepoint, la deuxième chambre civile a retenu qu’en procédure sans représentation obligatoire, l’indication des chefs de jugement critiqués demeure obligatoire dans la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 933) mais aucune sanction n’est encourue à défaut (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1680
; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier
; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero
; AJ fam. 2021. 516, obs. F. Eudier
; RTD civ. 2022. 445, obs. N. Cayrol
). Plus précisément, l’effet dévolutif joue pour le tout en ce cas : l’appel est total (ou général). La même chambre a ajouté qu’il en est ainsi y compris au cas où les parties choisissent d’être représentées malgré tout (Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-23.456, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 1756
; AJ fam. 2022. 550, obs. F. Eudier
). La ligne de fracture est entre la procédure avec représentation obligatoire et sans représentation obligatoire ; la différence de régime ne tient pas à la représentation effective des parties.
Chose méconnue : la première chambre civile a repris cette analyse au cas où l’appelant est lui-même avocat de son état (Civ. 1re, 23 nov. 2022, n° 21-13.748). Il est certes un professionnel du droit mais cette circonstance ne suffit pas à le priver de la souplesse de la procédure d’appel sans représentation obligatoire.
Au présent cas, la cour d’appel entendait pourtant déduire de cette circonstance – l’appelant est une société d’avocats – que la déclaration d’appel dépourvue de chefs de jugement critiqués n’opérait pas dévolution. Elle est sèchement rappelée à l’ordre par la Cour de cassation, dans des termes qui peuvent être approuvés.
La réforme de la procédure d’appel change-t-elle quelque chose ? Certainement pas, bien au contraire. L’article 933 du code de procédure civile impose toujours à l’appelant d’indiquer les chefs de jugement critiqués dans la déclaration d’appel en procédure sans représentation obligatoire. En revanche, aucune nullité textuelle n’est prévue. En outre et surtout, il y est disposé qu’à défaut d’indication des chefs de jugement critiqués, « la cour est réputée saisie de l’ensemble des chefs du dispositif du jugement » (C. pr. civ., art. 933, 6°). La jurisprudence de la deuxième chambre civile est donc entérinée pour les appels postérieurs au 1er septembre 2024, donnant une nouvelle vie à l’appel général en procédure sans représentation obligatoire.
De plus, là où le décret ne distingue pas, il n’y a nulle raison de distinguer : rien ne laisse à penser que l’appelant, avocat de son état – ou autre –, est privé du bénéfice de cette disposition. De sorte que, aujourd’hui comme hier, en procédure sans représentation obligatoire, l’appelant qui néglige d’indiquer les chefs de jugement critiqués dans sa déclaration d’appel relève appel total de la décision déférée, fût-il avocat.
Ce principe de solution est digne d’approbation sous deux rapports. D’une part, il a le mérite de la simplicité et de la lisibilité : la distinction est entre la procédure avec représentation obligatoire et la procédure sans représentation obligatoire, et nulle part ailleurs. D’autre part et c’est lié, il eût été périlleux de distinguer selon que l’appelant est averti ou profane en droit processuel, et de soumettre ainsi les gens de justice – et non pas seulement l’avocat – aux rigueurs de la procédure d’appel avec représentation obligatoire dans une procédure sans représentation obligatoire. C’est donc bien jugé.
Civ. 2e, 12 déc. 2024, F-B, n° 22-17.581
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