Surendettement des particuliers et prescription extinctive
Dans un arrêt rendu le 8 février 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se penche sur les conséquences au regard de la prescription extinctive de la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation du surendettement du débiteur.
Le 8 février 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un certain nombre de décisions intéressant le droit du surendettement. La première concerne une question d’application de la loi dans le temps s’agissant de la prise en compte des dettes professionnelles pour le traitement du surendettement des particuliers (Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 22-14.528, nos obs. à paraître). La deuxième a trait aux modes de saisine du juge (Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 21-21.719, nos obs. à paraître). La troisième décision se démarque, quant à elle, par son lien avec la prescription extinctive en rappelant des constantes utiles pour les créanciers du débiteur sollicitant la mesure.
Les faits à l’origine de l’affaire examinée par la deuxième chambre civile sont classiques. Une banque décide de conclure, par acte notarié du 20 mai 2009, un prêt avec une société dont une personne physique se porte caution solidaire. Le 28 janvier 2014, une commission de surendettement déclare recevable la demande de la caution tendant au traitement de sa situation de surendettement. Par jugement du 30 septembre 2015, le tribunal homologue les mesures préconisées par la commission lesquelles prévoient un moratoire de paiement des dettes pendant deux ans afin de vendre un immeuble. Le 12 novembre 2018, la banque fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière. Le 26 février 2019, la même caution sollicite de nouveau le traitement de sa situation de surendettement. Par jugement du 13 mai 2020, le tribunal judiciaire compétent déclare recevable sa demande. Mais voici que le même tribunal est saisi d’une contestation de l’état du passif du particulier concerné. Un jugement du 8 décembre 2021 décide que l’action de la banque, au titre de sa créance, est prescrite. L’établissement prêteur de deniers s’est pourvu en cassation par deux pourvois contre ce jugement. Après quelques heurts concernant la recevabilité, il est jugé qu’eu égard à une erreur dans les mentions de l’acte de notification du jugement quant à la voie de recours ouverte, le pourvoi n° 23-17.744 est recevable tandis que le n° 22-14.528 ne l’est pas en raison de l’indivisibilité de l’objet de celui-ci en l’état du désistement partiel de la banque contre une société et contre l’URSSAF.
Nous allons analyser pourquoi la cassation du jugement frappé du pourvoi s’est imposée dans l’arrêt du 8 février 2024.
De l’impossibilité de diligenter une voie d’exécution pour interrompre la prescription
Le jugement avait considéré qu’eu égard à la déchéance du terme du prêt, intervenue en janvier 2013, la prescription quinquennale était consommée en janvier 2018. Il avait considéré qu’aucun acte interruptif ne se déduisait de la procédure de surendettement. Il y a, en premier lieu, une difficulté avec ce raisonnement à la lecture de l’article L. 331-3-1 du code de la consommation applicable au litige puisque cet article prévoyait déjà la suspension et l’interdiction de toutes procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur. Il en résulte alors que le créancier ne peut plus interrompre la prescription en diligentant un acte d’exécution forcée au sens de l’article 2244 du code civil.
Par conséquent, c’est assez logiquement que l’on peut lire dans la décision du 8 février, au point n° 25, que « le créancier qui recherche l’exécution d’un titre notarié ne peut, à compter de la décision de recevabilité du débiteur au bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers, interrompre la prescription en diligentant une procédure d’exécution » (nous soulignons). Cela vient, évidemment, réduire très fortement les possibilités pour interrompre la prescription extinctive.
En ce sens, sans le dire, l’arrêt analysé vient rappeler que la recevabilité de la demande de traitement d’une situation de surendettement vient créer un cas dans lequel le créancier ne peut légalement pas empêcher la prescription de courir. Par conséquent, la loi l’empêchant de diligenter une voie d’exécution, on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir interrompu ledit délai de prescription de la sorte puisque ceci n’était tout simplement pas permis par la loi (v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 491, n° 453 y voyant un cas de suspension de la prescription). La motivation employée par le jugement prêtait nécessairement le flanc à la critique en ce sens, en notant l’absence de fait interruptif. La décision tend à spécialiser toujours davantage cette procédure enfermée dans le code de la consommation.
Doit-on toutefois imposer au créancier d’introduire une action au fond pour éviter que la prescription se referme contre lui ?
De l’impossibilité de reprocher au créancier de ne pas avoir assigné au fond
L’arrêt du 8 février 2024 entend rappeler une position qu’elle a déjà pu poser dans un arrêt du 29 juin 2023, rendu en formation restreinte mais publié et accessible sur le site de la Cour de cassation. On pouvait lire dans cet arrêt qu’« en statuant ainsi, alors qu’il ne saurait être imposé au créancier qui recherche l’exécution du titre exécutoire notarié dont il dispose déjà, d’introduire une action au fond, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Civ. 2e, 29 juin 2023, n° 21-23.440, AJDI 2023. 610
; v. égal., dans des termes similaires, Civ. 2e, 28 juin 2018, n° 17-17.481, Dalloz actualité, 30 juill. 2018, obs. L. Camensuli-Feuillard ; D. 2018. 1436
; RTD civ. 2018. 669, obs. H. Barbier
). La partie que nous soulignons se retrouve de manière quasiment identique dans le paragraphe n° 25 de la décision étudiée aujourd’hui. On peut donc évoquer à ce sujet une jurisprudence qui tend à devenir constante.
La solution est, en effet, empreinte d’une certaine logique concernant tant le droit du surendettement que celui de la prescription extinctive. Comme nous l’avons examiné précédemment, le code de la consommation organise à l’ancien article L. 331-1, désormais repris à l’article L. 722-2 nouveau depuis l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une suspension et une interdiction des procédures d’exécution. On ne saurait, dans un tel contexte, imposer que le créancier agisse au fond contre son débiteur et ce d’autant plus qu’il dispose déjà de son titre exécutoire en vertu de l’acte notarié (pt n° 3 de l’arrêt s’agissant du crédit de l’espèce).
La première procédure de surendettement a commencé en 2014, postérieurement à la déchéance du terme survenue en 2013, avec un jugement homologuant les mesures au 30 septembre 2015. La seconde procédure de surendettement a débuté par une demande déposée le 26 février 2019 et jugée recevable par décision du tribunal judiciaire du 13 mai 2020. Le Tribunal judiciaire de renvoi de Montpellier devra examiner si le délai quinquennal a pu s’écouler complètement entre ces deux mesures, ce qui semble assez délicat avec ce commandement de payer valant saisie immobilière du 12 novembre 2018 délivré par le créancier. Difficile d’en dire plus sans davantage d’éléments du dossier.
Il existe, de plus, une différence assez notable entre l’interruption de la prescription pour une mesure d’exécution forcée et pour une demande en justice. La demande en justice a pour principale vertu l’obtention du titre exécutoire que le créancier pourra utiliser contre son débiteur. Or, en l’espèce, en plus d’en avoir déjà un, le créancier ne pourra pas se servir dudit jugement pour diligenter une exécution forcée… interdite pendant toute la durée de la procédure, ce qui explique que le commandement de payer n’a été délivré qu’au 12 novembre 2018, après les vingt-quatre mois des mesures préconisées par la commission et homologuées par le jugement du 30 septembre 2015.
Voici donc un arrêt particulièrement intéressant en ce qu’il croise le droit du surendettement avec le droit de la prescription extinctive. La pratique saura utilement s’en saisir en ce que la décision rappelle des solutions connues mais particulièrement favorables aux créanciers qui ont dû faire preuve de patience avec la procédure de traitement de la situation de surendettement de leur débiteur.
Civ. 2e, 8 févr. 2024, F-B, n° 23-17.744
© Lefebvre Dalloz