Sursis probatoire : il ne peut être interdit de quitter le territoire

Doit être cassé l’arrêt qui, sur le fondement de l’article 132-45, 9°, du code pénal, a prononcé à l’encontre du condamné une peine d’interdiction de quitter le territoire national. Cette peine n’est en effet pas prévue par la loi, puisqu’elle ne figure pas parmi la liste exhaustive que dresse l’article 132-45 quant aux obligations dont la juridiction de condamnation peut imposer spécialement le respect à la personne condamnée à une peine assortie du sursis probatoire.

Il est des principes qui paraissent tellement évidents qu’on aurait tendance à les oublier. Tel est le cas du principe de légalité des peines qui pourtant n’est pas toujours strictement respecté, comme le démontre l’arrêt de la chambre criminelle du 31 janvier 2024.

En l’espèce, un individu avait été condamné, en 2008, à verser une contribution pour l’éducation de son enfant, à hauteur de 300 € par mois. Faute de paiement de cette contribution, il avait été poursuivi et condamné, en 2020, à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire pour abandon de famille.

À la suite d’un appel interjeté par le prévenu et le ministère public, la cour d’appel avait confirmé la décision de culpabilité du chef d’abandon de famille, pour la période du 30 juin 2014 au 30 juin 2020, et ordonné à l’encontre de l’individu, sur le fondement de l’article 132-45, 9°, du code pénal, une interdiction de quitter le territoire national pendant la durée d’exécution de sa peine.

La juridiction du fond l’avait également condamné à payer à la partie civile la somme de 42 300 € en réparation du préjudice financier de cette dernière. Pour arriver à cette somme, les juges avaient relevé que le condamné devait à la partie civile, depuis 2008, une somme totale de 42 300 € à laquelle ils avaient ajouté 21 600 € au titre de la prévention.

Le pourvoi en cassation critiquait le prononcé de la mesure d’interdiction de quitter le territoire et le calcul de la réparation allouée à la partie civile.

Il ne peut être prononcé une interdiction de quitter le territoire dans le cadre du sursis probatoire

S’agissant du moyen critiquant le prononcé de l’interdiction de quitter le territoire, la Cour de cassation y répond au visa des articles 111-3 et 132-45 du code pénal.

Elle rappelle que selon le premier de ces textes, nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit.

Elle ajoute que le second dresse la liste exhaustive des obligations dont la juridiction de condamnation peut imposer spécialement le respect à la personne condamnée à une peine assortie du sursis probatoire. Elle souligne que parmi celles-ci figure l’obligation de s’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés, mais ne figure pas l’interdiction de quitter le territoire national.

Elle conclut ainsi qu’en interdisant au condamné de quitter le territoire national, sur le fondement de l’article 132-45, 9°, du code pénal, alors que ladite peine n’est pas prévue par la loi, la cour d’appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé. C’est donc sans grande surprise que l’arrêt est cassé sur ce point.

L’interdiction de quitter le territoire peut être prononcée dans le cadre d’une condamnation pour abandon de famille, mais dans ce cas elle doit l’être en tant que peine complémentaire prévue à l’article 227-29 du code pénal. Elle ne peut être prononcée sur le fondement de l’article 132-45, 9°, relatif à l’obligation probatoire de s’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés.

En effet, l’article 132-45, 9°, permet à la juridiction de condamnation ou au juge de l’application des peines, dans le cadre d’un sursis probatoire, d’imposer spécialement au condamné de s’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone, spécialement désignés. Cette mesure ne s’assimile pas à une interdiction de quitter le territoire qui est une peine complémentaire. La nature des mesures n’est pas la même : l’une est une obligation de probation, l’autre une peine complémentaire. Leur contenu est également différent : d’un côté, c’est la parution en un lieu qui est prohibée, de l’autre c’est le fait de quitter un territoire.

Comme le rappelle la Cour de cassation, le principe de légalité des peines interdit au juge de conjuguer des mesures existantes pour en créer de nouvelles. En matière de peine, il ne peut être fait que ce que la loi permet explicitement.

S’il s’agissait là du principal apport de l’arrêt, la réponse de la Cour au moyen critiquant l’indemnité accordée à la partie civile doit également être soulignée.

La plainte en abandon de famille n’a pas pour objet le règlement des sommes dues au titre de la pension alimentaire 

Le demandeur au pourvoi reprochait aux juges du fond d’avoir fondé l’évaluation du dommage financier de la victime sur les sommes que le condamné lui devait depuis 2008, date de sa condamnation au versement d’une contribution à l’éducation de son enfant, au lieu de s’être fondés sur le préjudice né de la commission de l’infraction d’abandon de famille par non-paiement d’une pension alimentaire dont la prévention s’étendait sur la période du 30 juin 2014 au 30 juin 2020. Dès lors, il estimait qu’une partie au moins du dommage financier accordé à la partie civile ne découlait pas de l’infraction dont il avait été déclaré coupable.

En d’autres termes, il reprochait à la cour d’appel d’avoir calculé la réparation de la partie civile au regard des sommes dues au titre de la pension alimentaire et non au regard du préjudice qui découlait de l’infraction d’abandon de famille.

La Cour de cassation ne va pas être indifférente à cette argumentation.

Au visa des articles 3 et 593 du code de procédure pénale, elle estime qu’en se prononçant ainsi, sans préciser la nature et le montant du préjudice subi par la partie civile qu’elle a entendu réparer, et alors que la plainte en abandon de famille n’a pas pour objet le règlement des sommes dues au titre de la pension alimentaire, mais l’obtention de dommages et intérêts à la suite du défaut de paiement, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

La Cour casse ainsi l’arrêt par une formulation riche de deux enseignements :

  • d’une part, la juridiction du fond est tenue de préciser la nature et le montant du préjudice subi par la partie civile qu’elle a entendu réparer – il s’agit là d’une exigence de motivation destinée à assurer la bonne compréhension de la décision ;
  • d’autre part, la plainte en abandon de famille n’a pas pour objet le règlement des sommes dues au titre de la pension alimentaire, mais l’obtention de dommages et intérêts à la suite du défaut de paiement.

En effet, comme le souligne la Haute juridiction, il résulte de l’article 3 du code de procédure pénale que l’action civile, lorsqu’elle est exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction, n’est recevable que pour les chefs de dommages qui découlent des faits objet de la poursuite.

Ainsi, la plainte en abandon de famille a pour objet l’obtention de dommages et intérêts à la suite du défaut de paiement. Elle n’a pas pour objet de réparer ce défaut en lui-même, mais le préjudice né de l’infraction qui en résulte. L’action civile est une action visant à réparer le tort causé par les faits objets de la poursuite. Or, en l’espèce, l’individu avait été reconnu coupable d’abandon de famille, pour la période du 30 juin 2014 au 30 juin 2020. Les paiements dus entre 2008 et 2014 ne pouvaient pas être pris en compte : antérieurs aux faits objets de la poursuite, ils ne pouvaient en découler.

Cet arrêt rappelle ainsi l’importance du respect du principe de légalité des peines et de la nature de l’action civile qui vise uniquement à réparer le dommage découlant des faits objets de la poursuite. 

 

Crim. 31 janv. 2024, F-B, n° 23-81.704

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