Tant qu’elles ne sont pas remboursées les obligations remboursables en actions ne sont pas des actions
Les obligations remboursables en actions constituent, dans le patrimoine de leur souscripteur, jusqu’à leur remboursement, des obligations ayant la nature de créances et non pas des actions. Ce ne sont donc pas des biens professionnels au sens de l’ancien impôt de solidarité sur la fortune.
Cet arrêt se situe au carrefour du droit des sociétés et du droit fiscal. Il révèle, une nouvelle fois, que le droit fiscal, par la démarche de qualification rigoureuse qu’il impose, est révélateur du régime juridique applicable à certaines institutions, en l’occurrence les obligations remboursables en actions (ORA). Ces dernières obéissent depuis l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales à une catégorie juridique plus vaste, celle des valeurs mobilières donnant au capital (VMAC ; C. com., art. L. 228-92 s.). Bien que le litige en cause se rattache à un impôt aujourd’hui disparu – l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé, à compter du 1er janvier 2018, par la loi de finances pour 2018 (Loi n° 2017-1837 du 30 déc. 2017, art. 31) pour être remplacé par un impôt sur les fortunes immobilières (IFI) assis sur les seuls biens immobiliers non professionnels des contribuables personnes physiques – il n’en est pas moins intéressant, même s’il ne surprend pas, tant les décisions dans lesquelles il est question de ces titres hybrides que sont les VMAC sont rares en jurisprudence.
Les faits de l’espèce méritent d’être relatés. M. X. est associé de la société holding de droit belge Forest One, laquelle a souscrit des ORA émises par une société par actions simplifiée, la société X, dont M. X. est d’ailleurs le président. On croit deviner que M. X. a, dans sa déclaration d’ISF, qualifié les titres en cause de biens professionnels, avec pour conséquence l’exclusion de l’assiette de cet impôt (et in fine une économie d’ISF). Mais tel ne semble pas être l’avis de l’administration fiscale, qui a d’ailleurs adressé à M. et Mme X. une proposition de rectification portant rappel d’ISF et de contribution exceptionnelle sur la fortune, remettant en cause l’exonération, au titre des biens professionnels, de la valeur des titres de la société Forest One à concurrence de la valeur réelle de l’actif brut de cette société correspondant aux ORA qu’elle avait souscrites auprès de la société X. Après rejet de leur réclamation, les époux X. ont assigné l’administration fiscale aux fins d’obtenir la décharge des droits rappelés au titre de l’ISF pour les années 2009, 2010 et 2011.
Tant les premiers juges que la Cour d’appel de Paris rejettent leur demande. Cette dernière considère, en effet, que les ORA ne constituent pas des droits sociaux pouvant être qualifiés de biens professionnels. Les époux X. forment alors un pourvoi dans lequel ils invoquent notamment l’argument suivant : la nature juridique et financière particulière des ORA ne saurait être analysée comme des titres de créances chez leur détenteur, dès lors qu’elles constituent des fonds propres de l’entreprise à compter de leur émission, puisqu’elles seront transformées obligatoirement en actions. On peut d’ailleurs considérer les ORA comme des quasi-fonds propres, surtout si elles revêtent un caractère subordonné.
L’argument, au passage, peine à convaincre, à tout le moins au regard du droit des sociétés. En effet, en matière de VMAC en général et d’ORA en particulier, l’augmentation de capital est une augmentation de capital différée : elle n’a pas lieu lors de l’émission des VMAC, mais ultérieurement, lors de la levée de l’option (de remboursement en cas d’ORA) par le porteur du titre (il est en réalité autrement seulement dans l’hypothèse de l’obligation échangeable en actions : ici les actions sont en principe émises en même temps que les obligations contre lesquelles elles ont échangées, et non pas lors de l’échange). Tant que cette option n’est pas levée, la protection des porteurs de ces titres est assurée, comme pour les porteurs d’obligations ordinaires, au sein d’une masse dotée de la personnalité morale, dont l’objet est la défense des intérêts communs des porteurs de VMAC (C. com., art. L. 228-103). La jurisprudence l’avait précisément admis avant la réforme de 2004 à propos des ORA : la Cour de cassation avait jugé, dans une affaire Métrologie qui avait suscité à l’époque moult controverses doctrinales, que ce sont de véritables obligations, de sorte que leurs porteurs sont valablement réunis en une masse (Com. 13 juin 1995, n° 94-21.003, Rev. sociétés 1995. 736, note P. Didier
). Malgré tout, la jurisprudence paraît, dans certaines circonstances particulières, reconnaître aux porteurs d’ORA certaines prérogatives liées à la qualité d’actionnaire, notamment en cas d’opération accordéon, par laquelle une société réduit son capital social, pour cause de pertes, puis l’augmente dans la foulée afin de reconstituer ses fonds propres. Il a ainsi été jugé que l’opération de réduction du capital d’une société à zéro, parce qu’elle entraîne l’annulation des ORA émise par cette société, requiert, à peine de nullité, l’autorisation préalable de la masse des titulaires d’ORA, alors même que la loi ne prévoit pas explicitement l’intervention de la masse dans cette hypothèse (Com. 10 juill. 2012, n° 11-22.898, Dalloz actualité, 25 juill. 2012, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 1953, et les obs.
; Rev. sociétés 2012. 536, obs. L. C. Henry
; ibid. 2013. 99, note H. Le Nabasque
). Mais cette jurisprudence ne doit nullement conduire à remettre en cause la qualité d’obligataire – donc de simple créancier de la société émettrice – du porteur d’ORA tant que le remboursement des obligations en actions n’a pas eu lieu. Certes, une fois l’option pour le remboursement en actions levée, le porteur devient actionnaire, mais ce n’était pas encore le cas au moment où le contribuable a déposé ses déclarations d’ISF. Il faut même ajouter que, en matière d’ORA, contrairement aux autres VMAC, cette levée d’option est très aléatoire, car la décision de remboursement des obligations en actions est prise par la société émettrice et non pas par les porteurs.
La Cour de cassation rejette ici – une nouvelle fois – et de manière très explicite la qualification d’action des ORA dans une formulation qui se veut de principe : « Les ORA constituent, dans le patrimoine de leur souscripteur, jusqu’à leur remboursement, des obligations ayant la nature de créances, peu important qu’elles soient inscrites, dans la comptabilité de la société émettrice, dans la catégorie des fonds propres et non dans celle des dettes » (pt 7).
Les ORA ne sont donc pas des biens professionnels au sens de l’ISF. S’agissant des titres émis par les sociétés, seuls pouvaient être considérés comme tels, en application de l’ancien article 885 O bis du code général des impôts, les « parts et actions soumises à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option » (la qualification de ces titres en biens professionnels supposait également que leur titulaire exerce des fonctions dirigeantes au sein de la société émettrice, mais ce point ne portait pas à controverse dans l’arrêt commenté).
La Cour de cassation évoque également l’hypothèse de la participation « indirecte » : étaient considérés comme des biens professionnels les actions et parts sociales émises par une société relevant de l’IS lorsque le dirigeant de cette société (A) était actionnaire d’une société (B), B, société holding, étant actionnaire de A. Ne le sont pas davantage, en toute logique, les ORA émises par la société A. C’est ce qu’admet la Haute juridiction : « Ne constitue a fortiori pas une participation, au sens de l’article 885 O bis, 2°, du code général des impôts, la détention d’ORA émises par une société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions, de sorte que la valeur des titres de la société détentrice de ces ORA, qui sont la propriété personnelle du redevable, ne saurait être exonérée à concurrence de la valeur réelle de l’actif brut de cette société correspondant à la valeur desdites ORA » (pt 9).
Com. 14 févr. 2024, F-B, n° 22-16.954
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