Tarification AT-MP : précision sur la forclusion opposable à l’employeur

Le délai de forclusion de deux mois est opposable à la demande de retrait du coût d’un sinistre du compte employeur lorsqu’elle est formée, à l’occasion d’un litige, en contestation d’un taux de cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles devenu définitif. Il appartient, dès lors, à la juridiction de la tarification de rechercher si le taux de la cotisation en cause a été notifié et revêt un caractère définitif.

Dans son arrêt rendu le 17 octobre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation délimite les règles de la forclusion applicables au contentieux de la tarification. Pour rappel, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) est déterminé annuellement pour chaque catégorie de risques par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CSS, art. L. 242-5). L’organisme a l’obligation d’informer l’employeur du nouveau taux de la cotisation AT-MP à payer (CSS, art. D. 242-6-22).

L’employeur dispose d’un délai de recours préalable et d’un délai de recours contentieux de deux mois à compter de la réception de la décision notifiée pour adresser sa contestation sous peine d’irrecevabilité. À l’expiration de ce délai, le taux devient définitif et ne peut plus être remis en question au titre de l’exercice en cours (Soc. 31 mai 2001, n° 99-20.844 P, D. 2001. 1922 ; RDSS 2001. 792, obs. P.-Y. Verkindt ; RJS 8-9/2001, n° 1079).

Cependant si la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) n’a pas notifié sa décision, avec la mention des voies et délais de recours adéquats, la forclusion n’est pas opposable à l’employeur (CSS, art. R. 142-1-A, anc. R. 143-21, et R. 143-13-2). Dans cet arrêt, la Haute juridiction précise les contours de la forclusion sur la contestation des éléments nécessaires au calcul du taux de la cotisation AT-MP, en l’espèce, les dépenses engendrées par les maladies professionnelles inscrites au compte employeur, et sur le taux de cotisation annuel notifié par la CARSAT.

Après un recours gracieux du 2 juin 2021 auprès de la CARSAT de Bourgogne-Franche-Comté, l’employeur a saisi la juridiction de la tarification, le 7 septembre 2021, afin de réviser les taux de la cotisation AT-MP due, entre 2012 et 2020, au motif que les coûts engendrés par des maladies professionnelles déclarées par plusieurs de ses salariés devaient être retirées des comptes employeur 2010, 2013, 2014, 2015 et 2016 sur lesquels elles avaient été inscrites. La Cour d’appel d’Amiens a accueilli la demande de l’employeur le 30 juin 2022 et invité la Caisse à procéder à un nouveau calcul des taux en relevant que la forclusion de la contestation de l’inscription au compte employeur des coûts d’incapacité, ou de la demande d’inscription au compte spécial de ces coûts, était inopposable.

L’organisme de la sécurité sociale a formé un pourvoi en cassation pour obtenir l’annulation du retrait du coût moyen des maladies professionnelles des comptes employeur 2010, 2013, 2014, 2015 et 2016 au motif que les taux de cotisations de ces années avaient acquis un caractère définitif faute de recours dans le délai de deux mois à compter de leurs notifications.

La forclusion de la contestation des taux notifiés fait-elle obstacle à la recevabilité de la demande de retrait des coûts de maladies professionnelles inscrits au compte employeur ?

Si la Cour de cassation maintient sa jurisprudence antérieure relative à l’inopposabilité du délai de forclusion aux demandes de retrait du coût des sinistres au compte employeur pour les exercices à venir, elle précise que la forclusion est opposable dès lors que le taux de la cotisation a été notifié et revêt un caractère définitif. La Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens qui a soutenu la recevabilité des demandes réalisées pour les comptes des années précédentes dont le taux a été régulièrement notifié à l’employeur.

Le délai de forclusion inopposable pour les exercices à venir

L’imputation au compte employeur des conséquences pécuniaires d’une maladie professionnelle pour le calcul du taux individuel de la cotisation est réalisée sur trois années successives (CSS, art. D. 242-6-4). À l’expiration du délai de deux mois à compter de la réception de la notification régulière, ce taux annuel devient définitif mais seulement pour l’année en cours, sauf si une décision de justice ultérieure vient en modifier le calcul (Civ. 2e, 24 juin 2021, n° 20-14.904 F-B). La forclusion octroie à la décision notifiée l’autorité de la chose décidée. Il appartient aux organismes de sécurité sociale d’adresser leur décision avec la mention des voies et délais de recours obligatoires par tout moyen conférant date certaine afin que la forclusion soit opposable aux administrés (CSS, art. R. 142-1-A, III). En l’absence de notification régulière, la seule limite de temps de recours pour l’employeur réside dans la prescription de l’action.

Dans cet arrêt, l’employeur a demandé le 2 juin 2021, auprès de la CARSAT, le retrait du coût des maladies professionnelles déclarées par ses salariés sur son compte employeur 2010, 2013, 2014, 2015 et 2016 qui ont servi de base de calcul pour les taux de cotisations AT-MP de 2012 à 2020. Or, reconnaitre l’absence d’imputabilité à l’employeur de ces sinistres obligerait la CARSAT à réviser les taux de cotisations des exercices précédents sur lesquels ces coûts ont été imputés. Saisie le 7 septembre 2021, la Cour d’appel d’Amiens a accueilli la demande de l’employeur et a ainsi ouvert la possibilité de remettre en cause les taux des cotisations AT-MP notifiés régulièrement par la Caisse.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation reprend, dans un premier temps, sa solution de principe publiée au Bulletin le 7 avril 2022 : la forclusion de la contestation du dernier taux de la cotisation AT-MP notifié n’empêche pas l’employeur de contester l’imputation des conséquences d’une maladie professionnelle à son compte (ou l’inscription sur le compte spécial), pour les deux années suivantes (Civ. 2e, 7 avr. 2022, n° 20-18.310 F-B, JCP S 2022. 1134, obs. E. Jeansen ; RJS 6/2022, n° 335). L’employeur peut remettre en cause les éléments de calcul nécessaires à la détermination du taux de la cotisation AT-MP due au titre des exercices à venir avant même que la décision de la CARSAT ne soit notifiée. La recevabilité de la demande de retrait du coût du sinistre du compte employeur n’a donc pas d’impact sur le taux définitif de l’exercice antérieur.

Au regard du cas d’espèce, la Haute juridiction ajoute, dans un deuxième temps, que le délai de forclusion est opposable à l’employeur lorsque sa contestation amène la CARSAT à modifier les taux de cotisations notifiés lors des exercices précédents et devenus définitifs à l’expiration du délai de recours de deux mois. La Cour d’appel d’Amiens doit rechercher si le taux de la cotisation AT-MP, remis en cause par la demande de l’employeur de retrait des sinistres, a bien été notifié par l’organisme de sécurité sociale et revêt un caractère définitif.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la juridiction de la tarification qui n’a pas déclaré irrecevable les demandes de l’employeur.

Le délai de forclusion opposable en présence d’un taux définitif

Il revient à la juridiction de la tarification de rechercher si la forclusion résultant de l’expiration du délai de contestation du taux de cotisation AT-MP est opposable à l’employeur. L’imputabilité des dépenses engendrées par les maladies professionnelles servant de base de calcul au taux de cotisation, elle ne peut pas être traitée de manière autonome à la détermination du taux annuel de la cotisation en cause. La forclusion n’est opposable qu’à la condition d’avoir fait l’objet d’une information préalable avec les voies de recours auprès du requérant. En matière de tarification AT-MP, la CARSAT peut adresser la notification de sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception mais également par notification électronique. La Cour de cassation a récemment reconnu que la décision relative au taux de la cotisation AT-MP est réputée notifiée à la date de sa première consultation par une personne habilitée, peu important la date à laquelle a été adressé à l’employeur l’avis de dépôt l’informant qu’une décision est mise à sa disposition, dès lors que la décision n’a pas été consultée plus de quinze jours à compter de sa mise à disposition (Civ. 2e, 5 oct. 2023, n° 23-70.009 B).

En l’absence de notification régulière, l’employeur peut exercer son recours dans la limite du délai de prescription quinquennale de droit commun (CSS, art. R. 142-1-A, III). Si le Conseil d’État consacre la notion de « délai raisonnable » du recours contre les décisions administratives irrégulièrement notifiées, appréciée généralement au terme d’une année, la jurisprudence de la Cour de cassation n’instaure pas de limite de temps face à l’inopposabilité de la forclusion (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763, Dalloz actualité, 19 juill. 2016, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2016. 1479 ; ibid. 1629 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; AJFP 2016. 356, et les obs. ; AJCT 2016. 572 , obs. M.-C. Rouault ; RDT 2016. 718, obs. L. Crusoé ; RFDA 2016. 927, concl. O. Henrard ; RTD com. 2016. 715, obs. F. Lombard ).

Au sein de deux décisions rendues le 8 mars 2024, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a refusé explicitement de transposer dans l’ordre judiciaire la règle du délai raisonnable de recours afin d’éviter la création d’un délai de forclusion « subsidiaire » par le juge (Cass., ass. plén., 8 mars 2024, nos 21-12.560 et 21-21.230 B+R, AJDA 2024. 527 ; ibid. 1210 , chron. A. Goin et L. Cadin ; AJCT 2024. 435, obs. C. Otero ; RCJPP 2024. 25, obs. S. Pierre-Maurice ; RTD civ. 2024. 494, obs. N. Cayrol ; ibid. 620, obs. P. Deumier ; JCP 2024. 557, note C. Froger). La Haute juridiction opère une application littérale des textes et considère que les règles de la prescription extinctive permettent de limiter le délai de recours et de préserver le principe de sécurité juridique.

Le principe de sécurité juridique implique que les situations consolidées dans le temps ne puissent pas être remises en cause indéfiniment. Dans cet arrêt, la CARSAT a notifié sa décision relative au taux de cotisation AT-MP chaque année avec la mention des voies et délais de recours. La question du délai de prescription extinctive de l’action ne se posait pas. L’employeur ne pouvant pas remettre en cause les taux de cotisations notifiés entre 2012 et 2020, par ses demandes introduites le 2 juin 2021, le délai de forclusion était opposable à la demande de retrait du compte employeur du coût des maladies professionnelles.

 

Civ. 2e, 17 oct. 2024, F-B, n° 22-20.692

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