Tarification des actes et prestations de soins : continuer inlassablement de faire la police ou changer résolument d’approche ?
La tarification est un exercice ardu à l’occasion duquel trop d’erreurs ou de fraudes sont commises. Cherchant à maximiser l’allocation de ses ressources, un groupement hospitalier universitaire est pris en faute.
En l’espèce, un groupement hospitalier universitaire (GHU) fait l’objet d’un contrôle de tarification. Des anomalies sont détectées par une agence régionale de santé ; un indu de près de 97 000 € est notifié. Le GHU conteste devoir quoi que ce soit et saisit une juridiction de sécurité sociale.
Au principal – et c’est ce qui retiendra l’attention, un moyen incident tentant vainement de discuter le point de départ de l’intérêt légal –, la question est posée de savoir si le GHU est fondé à facturer à la caisse des actes de sismothérapie, qui sont réalisés sous anesthésie générale en dehors du service de psychiatrie dans lequel les patients concernés sont hospitalisés ou bien si lesdits actes sont couverts par la dotation annuelle de financement au sens de l’article L. 174-1 du code de la sécurité sociale.
Saisie, la Cour de cassation est invitée à se prononcer sur les actes et prestations inclus dans ladite dotation de fonctionnement, et partant (en négatif) à autoriser ou non le paiement de la centaine de milliers d’euros au titre de la tarification à l’activité (CSS, art. L. 160-20-1).
Enjeux de la valorisation des actes médicaux
Les enjeux en termes de dépenses d’assurance maladie sont bien compris. Autoriser le cumul, c’est inévitablement renchérir le coût de la prise en charge psychiatrique des patients et ajouter une variable dans le calcul de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Interdire le cumul, c’est possiblement ravaler les thérapeutiques déployées pour prendre en charge les malades mais assurer le pilotage de la consommation de soins et de biens médicaux.
Présenter la problématique en ces termes, dans un contexte d’aggravation sans précédent de la dette sociale (plus de 300 milliards d’euros de dette), c’est passer sous silence une considération impérieuse, à savoir le rétablissement du patient et son droit fondamental à la protection de la santé (CSP, art. L. 1110-1), autrement dit son droit à la meilleure prise en charge thérapeutique qui soit (CSP, art. L. 1110-5). Et voilà que ce ne sont plus simplement des règles techniques prescrites par le code de la sécurité sociale qu’il s’agit d’articuler mais un curseur qu’il importe de fixer entre le droit de la sécurité sociale (qui assure le financement) et le droit de la santé (qui organise le rétablissement).
La Cour de cassation ne s’aventure toutefois pas sur cette pente faute d’avoir été invitée à le faire dans aucun des moyens formulés devant elle. Aussi s’applique-t-elle à rechercher une définition de la notion de dotation annuelle de fonctionnement à la lumière des seules dispositions du code de la sécurité sociale.
Définition de la dotation annuelle de fonctionnement
Considérant que ladite dotation couvre l’ensemble des actes et prestations en lien avec les activités de soins en psychiatrie et qu’aucun texte ne renseigne de pratiques exclusives du forfait (i.e. qui seraient éligibles à une tarification à l’activité) elle conclut en soutenant que la tarification pratiquée est constitutive d’un enrichissement injustifié du GHU et rejette le pourvoi principal (mais entre en voie de cassation relativement à l’augmentation de la dette augmentée des intérêts au taux légal). L’erreur de tarification aurait pu être évitée.
Modalités de prévention des erreurs de tarification
Pour ce faire, il aurait fallu que l’établissement de santé prenne attache avec la caisse pour vérifier l’éligibilité du protocole de soins à la tarification à l’acte, quitte à discuter un refus éventuel (CSS, art. L. 315-2, II). En disant cela, et à bien y réfléchir, une autre erreur est à l’origine de cette débauche de moyens. Elle est le fait des tutelles. À l’heure où les architectures de collecte des données de santé laissent entrevoir les bénéfices escomptés (J. Bourdoiseau, L’intelligence artificielle, les infrastructures de collecte des données de santé et les biais de conceptualisation, Dalloz actualité, Le droit en débats, 19 févr. 2025) et tandis que l’ordonnance électronique peut être aisément employée (CSP, art. R. 4071-1 s.), l’Assurance maladie n’a toujours pas pris la main sur la cotation des actes médicaux, qui est le fait des professionnels de santé, qu’ils exercent en qualité de travailleurs indépendants ou au sein d’une structure de santé. L’arrêt est typique à cet égard. Où l’on constate que l’une des clefs du redressement des comptes sociaux réside dans le déploiement (massif) des outils numériques (Rapport des Hauts conseils – HCAAM, HCFEA et HCFIPS –, remis à Monsieur le Premier Ministre, Pour un redressement durable de la sécurité sociale, 2 juill. 2025, p. 6 ; v. not. sur le sujet, J. Bourdoiseau, Mon espace santé : socle d’une maîtrise renouvelée du prix de l’assurance maladie, L’Argus de l’assurance, 7 mai 2025).
Civ. 2e, 5 juin 2025, FB, n° 22-24.787
par Julien Bourdoiseau, Professeur des Universités et avocat (assurance/distribution – santé – sécurité sociale)
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