Temps partiel modulé : l’invalidité de l’accord collectif n’entraîne pas nécessairement la requalification du contrat de travail

La Cour de cassation se prononce sur les effets de l’invalidité de l’accord collectif autorisant le recours à la modulation du temps de travail sur la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein en rappelant le droit du salarié à la prévisibilité de ses horaires dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel modulé.

Brefs rappels sur la modulation du temps du temps partiel

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation du dialogue social et réforme du temps de travail a supprimé le temps partiel modulé en tant que modalité d’aménagement du temps de travail. Nonobstant cette abrogation, les conventions ou accords collectifs relatifs au temps partiel modulé conclus antérieurement à cette loi continuent à s’appliquer jusqu’à leur terme, ou leur révision ou dénonciation.

Dans sa version en vigueur antérieurement à la loi du 20 août 2008, l’article L. 3123-25 du code du travail vise les mentions obligatoires de l’accord collectif sur la modulation du temps de travail, conditionnant sa validité. Les mentions obligations sont les suivantes :

  • 1° les catégories de salariés concernés ;
  • 2° les modalités selon lesquelles la durée du travail est décomptée ;
  • 3° la durée minimale de travail hebdomadaire ou mensuelle ;
  • 4° la durée minimale de travail pendant les jours travaillés. Une convention de branche ou un accord professionnel étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir plus d’une interruption d’activité ou une interruption supérieure à deux heures ;
  • 5° les limites à l’intérieur desquelles la durée du travail peut varier, l’écart entre chacune de ces limites et la durée stipulée au contrat de travail ne pouvant excéder le tiers de cette durée. La durée du travail du salarié ne peut être portée à un niveau égal ou supérieur à la durée légale hebdomadaire ;
  • 6° les modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié ;
  • 7° les conditions et les délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié ;
  • 8° les modalités et les délais selon lesquels ces horaires peuvent être modifiés, cette modification ne pouvant intervenir moins de sept jours après la date à laquelle le salarié en a été informé. Ce délai peut être ramené à trois jours par convention ou accord collectif de branche étendu ou convention ou accord d’entreprise ou d’établissement ».

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 a abrogé l’ensemble des dispositions antérieures encadrant le mécanisme de modulation dont l’exigence de préciser dans l’accord le programme indicatif de la répartition de la durée du travail à transmettre au salarié.

La loi a substitué ces dispositions par la possibilité de recourir au temps partiel modulé par accord collectif dont le contenu doit impérativement prévoir d’une part, les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d’horaire de travail et, d’autre part, les modalités de communication et de modification de la répartition de la durée et des horaires de travail (C. trav., art. L. 3122-2, dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008).

Ainsi, le mécanisme de la modulation du temps de travail permet de faire varier la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail sur tout ou partie de l’année, à condition que sur un an la durée hebdomadaire ou mensuelle n’excède pas en moyenne la durée prévue au contrat de travail (C. trav., art. L. 3123-1).

Dans la présente affaire, la salariée a été recrutée suivant un contrat de travail à durée déterminée à compter du 3 janvier 2008, puis le 1er mars 2008, la relation de travail s’est poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel. La durée hebdomadaire moyenne de travail a été fixée à vingt-quatre heures cinquante réparties sur l’ensemble de l’année pour un nombre total d’heures de travail de 1 274 heures. En 2015, la salariée saisit le conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. Déboutée en appel, elle se pourvoit en cassation considérant que l’accord collectif portant sur la modulation du temps de travail serait illicite et que, pour cette raison, son contrat de travail à temps partiel devrait être requalifié de manière automatique en contrat de travail à temps complet.

La question, sans précédent, posée aux hauts magistrats est de savoir si l’invalidité de l’accord collectif autorisant le recours à la modulation du temps de travail emporte requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein ou seulement le retour aux règles de calcul de la durée du travail de droit commun applicable dans l’entreprise.

Sur les effets de l’irrégularité de l’accord de modulation

En l’espèce, la salariée met en cause l’accord du 3 avril 2001 de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale en ce qu’il ne prévoit pas de disposition spécifique sur les modalités de communication écrite du programme indicatif de répartition de la durée du travail au salarié, ni les conditions et délais de communication écrite des horaires de travail, en vertu de l’article L. 3123-25 du code du travail.

Cependant, comme le relève l’avocat général référendaire, lorsque le vice affecte seulement la légalité de l’accord de modulation, notamment lorsqu’il ne comporte pas ce programme indicatif, celui-ci est déclaré inopposable au salarié (Soc. 24 mai 2023, n° 21-24.350 ; 8 avr. 2021, n° 19-20.389) sans emporter de plein droit la requalification du contrat de travail à temps partiel modulé conclu dans ce cadre.

Par conséquent, il a été jugé que « l’invalidité de l’accord collectif prévue à l’article L. 3123-25 du code du travail qui est une condition de recours, non au travail à temps partiel mais à la modulation de la durée du travail, n’emporte pas la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ».

Les juges dissocient ainsi le régime de la sanction applicable en fonction de la nature de l’irrégularité, considérant que la sanction pour irrégularité de l’accord et non de son exécution, n’entraîne pas une requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

Sur la sanction du vice affectant l’exécution de l’accord de modulation

En revanche, lorsque le vice affecte l’exécution de l’accord de modulation, le contrat est présumé à temps complet et l’employeur doit alors démontrer que le salarié n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition (Soc. 29 sept. 2021, n° 19-16.544 ; 15 mars 2017, n° 15-28.142). La preuve par l’employeur des conditions de renversement de la présomption réfragable de temps complet est alors soumise au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Soc. 26 janv. 2022, n° 19-24.257, D. 2022. 218 ).

Dans ce cadre, la Cour de cassation se limite à un contrôle léger afin de relever les manquements possibles de l’employeur à ses obligations (Soc. 19 juin 2019, n° 17-17.122). À cet égard, l’avocat général référendaire rappelle judicieusement que le juge doit rechercher « si les conditions d’application de l’accord sont réunies et si le salarié est soumis à l’organisation du temps de travail en découlant » (Soc. 13 avr. 2022, nos 19-24.920 et 20-16.224), si l’employeur a communiqué au salarié les programmes indicatifs de la répartition de la durée du travail (Soc. 16 nov. 2022, n° 21-20.035 ; 1er déc. 2016, n° 15-21.996) et à défaut si le salarié a eu connaissance de ses horaires de travail de sorte qu’il n’était plus placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il ne se trouvait plus dans l’obligation de se tenir constamment à la disposition de l’employeur (Soc. 19 juin 2019, n° 17-17.122, préc.) ». Autrement dit, le rôle du juge est de déterminer si le salarié n’est pas privé de son droit à la prévisibilité de ses horaires de travail, propre à l’esprit de cette modalité d’aménagement du travail.

Dans la présente affaire, les juges d’appel rejetaient la demande de requalification formulée par la salariée au motif que l’employeur démontrait « que l’intéressée travaillait en parallèle pour le compte de particuliers à hauteur de six heures hebdomadaires depuis le mois d’août 2007 et qu’au cours de la période du 1er septembre 2014 au 28 février 2015, elle avait travaillé pour trois autres employeurs ». La cour d’appel en concluait que « la salariée n’était pas placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition ».

Sur ce, l’avocat général référendaire estime que la cour d’appel « a fait, dans l’exercice souverain d’appréciation, une exacte application du mécanisme de renversement de la présomption simple de contrat à temps complet pesant sur l’employeur en cas d’exécution irrégulière d’un accord de modulation légal » et sollicite à ce titre le rejet.

Toutefois, les juges considèrent que les éléments produits « ne suffisent pas à caractériser que l’employeur faisait la preuve de ce que la salariée n’avait pas été placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle ne devait pas se tenir constamment à la disposition de l’employeur ».

Par conséquent, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel notamment en ce qu’il déboute la salariée de ses demandes en requalification de contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet.

Par cette décision remarquée, les juges rappellent la force de l’obligation d’information qui incombe à l’employeur et l’importance de prendre en compte la situation de fait dans laquelle se trouve le salarié afin de préserver son droit à la prévisibilité de ses horaires dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel modulé.

 

Soc. 24 avr. 2024, FS-B, n° 22-15.967

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