Top départ pour le certificat de projet friches expérimental

Que faire des friches urbaines qui, en se multipliant ces dernières années, nuisent à l’image des villes ? Afin de hâter leur réhabilitation, le législateur de 2021 avait prévu un dispositif expérimental permettant d’accélérer et de sécuriser des procédures lourdes, longues et complexes : le certificat de projet « friches ». Un récent décret a explicité ses modalités de mise en œuvre, sans toutefois emporter l’adhésion des praticiens.

La préoccupation croissante de protection de l’environnement a conduit le législateur à s’intéresser à la question du recyclage des friches (D. Adam et S. Kerbarh, Rapp., La revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives », 27 janv. 2021, n° 3811). Qu’elles se situent en centre-ville ou au sein d’une vaste zone d’aménagement économique, les décideurs locaux se sont penchés sur les formes opérationnelles de la requalification de ces espaces vacants déjà artificialisés à l’heure de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), dans une perspective aménagiste territorialisée en raison de la grande disparité des taux d’artificialisation régionaux – qui s’étalent de 21 % en Île-de-France à 4 % en Corse (J.-B. Blanc, A.-C. Loisier et C. Redon-Sarrazy, Rapp., Objectif de ZAN à l’épreuve des territoires, 12 mai 2021, n° 584). Les solutions à y apporter – par le biais d’outils coercitifs (instruments fiscaux) et incitatifs (« fonds friches ») – diffèreront selon qu’il s’agit d’une vacance structurelle ou conjoncturelle. En centre-ville par exemple, on optera pour la composition urbaine, qui permet de redorer l’image de la ville tout en travaillant sur son épaisseur historique (P. Merlin et F. Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, PUF, 2016).

Aussi, la friche, qui avait jusqu’alors une connotation négative, prend une coloration positive en devenant une véritable opportunité de renouvellement urbain. Elle est l’une des nombreuses potentialités qui permettront d’atteindre l’objectif ZAN. Certains pensent qu’elle conduirait peut-être à inventer de nouveaux modèles d’aménagement urbain plus vertueux – même s’il faudra, pour ce faire, renoncer à toute visée spéculative. La récente multiplication des opérations sur friches urbaines, que les pouvoirs publics plébiscitent au nom de la sobriété foncière et du renouvellement urbain, a conduit le législateur à se préoccuper de trouver des instruments permettant d’accélérer des procédures souvent longues, coûteuses (en raison de la nécessaire dépollution de certaines friches, notamment industrielles et minières) et particulièrement complexes.

Le certificat de projet « friches » expérimental

Une nouvelle expérimentation a donc été instituée par l’article 212 de la loi Climat et résilience (v. not., R. Noguellou, La loi Climat et résilience et le droit de l’urbanisme : le zéro artificialisation nette, AJDA 2022. 160 ). Cette longue disposition prévoit que le préfet peut établir, à la demande du porteur d’un projet intégralement situé sur une friche (définie à l’art. 222 de la même loi ; C. urb., art. L. 111-26) et dont la réalisation est soumise à une ou plusieurs autorisations au titre du code de l’urbanisme, du code de l’environnement, du code de la construction et de l’habitation, du code rural et de la pêche maritime, du code forestier, du code du patrimoine, du code de commerce et du code minier, un certificat de projet. Des demandes de certificat d’urbanisme (C. urb., art. L. 410-1) et d’examen au cas par cas au titre de l’autorisation environnementale, prévu par le code de l’environnement, peuvent être assorties à la demande de certificat de projet. Lorsque la demande de certificat de projet fait mention d’une autorisation d’urbanisme, et que cette dernière fait l’objet d’une demande dans les dix-huit mois de la délivrance du certificat, cette demande est instruite, par principe, au regard des dispositions d’urbanisme telles qu’elles existaient à la date de délivrance du certificat (à l’exception des dispositions ayant pour objet la préservation de la sécurité, de la santé ou de la salubrité publiques).

La performativité de l’article était subordonnée à la publication de deux textes réglementaires, l’un sur l’identification d’une friche au sens de l’article L. 111-26 du code de l’urbanisme, l’autre sur les modalités d’application de cette disposition, et notamment celles relatives à la constitution du dossier de demande de certificat de projet. Le premier est intervenu à la fin de l’année 2023, sous une forme dédoublée (Décr. n° 2023-1259 du 26 déc. 2023 précisant les modalités d’application de la définition de la friche dans le code de l’urbanisme ; Décr. n° 2023-1311 du 27 déc. 2023 pris pour l’application de l’art. L. 121-12-1 du code de l’urbanisme). Le second, dont la publication était initialement envisagée pour janvier 2022, est finalement paru à la fin du mois de mai 2024 (ici commenté), soit presque trois ans après la disposition de loi qu’il explicite. Il lance la période d’expérimentation, qui a donc débuté le 1er juin 2024 (date d’entrée en vigueur du décret) et devrait se poursuivre jusqu’au 31 mai 2027 (Décr. n° 2024-452, art. 9).

Un dispositif condensé, en guichet unique

Comme l’indique clairement sa notice, le décret du 21 mai 2024 précise les modalités de dépôt et le contenu de la demande de certificat (Décr. n° 2024-452, art. 1er), ainsi que les modalités d’instruction et de délivrance du certificat en préfecture du département dans lequel est situé le projet – ou la plus grande partie du projet, en cas de dépassement sur d’autres départements (Décr. n° 2024-452, art. 2).

La demande, adressée par voie électronique ou par recommandé avec accusé de réception en quatre exemplaires, comporte l’identité du demandeur, la localisation, la nature et les caractéristiques principales du projet – portant nécessairement sur une friche, sans quoi la demande sera jugée irrecevable – ainsi qu’une description succincte de l’état initial des espaces concernés par le projet et ses effets potentiels sur l’environnement. Outre quelques informations déjà visées dans l’article 212 (reprises quasiment in extenso dans le décret), la décision comportera en annexe, le cas échéant, les résultats de l’examen au cas par cas ou de l’avis de cadrage, et le certificat d’urbanisme de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme. Le décret précise également que le certificat de projet est notifié au demandeur dans un délai de quatre mois, éventuellement prolongé d’un mois sur décision motivée du préfet, suivant la date à laquelle il a été accusé réception du dossier complet de la demande. Le défaut de notification du certificat de projet dans le délai de quatre mois vaut décision implicite de rejet.

Le récent décret prévoit enfin l’articulation de ce dispositif avec les dispositions relatives à l’évaluation environnementale, à l’archéologie préventive, ainsi qu’avec la délivrance du certificat d’urbanisme.

Dans le cas de dépôt concomitant d’une demande d’examen au cas par cas, le préfet en transmet sans délai le formulaire à l’autorité compétente. Dans le cas où elle rend une décision motivée sur la nécessité ou non de réaliser une évaluation environnementale, cette dernière est annexée au certificat de projet. Dans le cas contraire, le certificat indique la date à laquelle une décision tacite soumettant le projet envisagé à évaluation environnementale est née ou est susceptible de se former. Si un avis sur le champ et le degré de précision des informations à fournir dans l’étude d’impact environnementale a été demandé, le certificat de projet comporte les éléments de réponse à cette demande.

Dès son dépôt, le préfet du département transmet la demande de certificat de projet au préfet de région afin que celui-ci détermine, dans un délai de deux mois, la situation du projet envisagé au regard des dispositions relatives à l’archéologie préventive, compte tenu des informations archéologiques disponibles sur le territoire concerné. L’indication selon laquelle le projet ne donnera pas lieu à des prescriptions archéologiques (ou le silence gardé par le préfet) vaudra en principe renonciation de l’administration à prescrire un diagnostic d’archéologie préventive pendant une durée de cinq ans, sauf si le projet initial est modifié de manière substantielle ou si l’évolution des connaissances archéologiques fait apparaître la nécessité de réaliser ce diagnostic.

Enfin, lorsqu’une demande de certificat d’urbanisme est jointe à la demande de certificat de projet, elle est conduite en conformité avec les dispositions idoines du code de l’urbanisme. Le certificat d’urbanisme exprès est joint au certificat de projet. Les effets du certificat d’urbanisme tacitement obtenu, mentionné au sein du certificat de projet, y sont également indiqués.

Un décret déjà critiqué

Tel que prévu dans l’article 212, le dispositif permettait, à l’instar du certificat d’urbanisme opérationnel (C. urb., art. L. 410-1), de sécuriser l’opération grâce à l’apparente cristallisation des règles d’urbanisme pendant un délai de dix-huit mois qui garantit le projet contre une éventuelle évolution défavorable des règles en cours de validité du certificat. Deux autres points positifs pouvaient également mis en avant : d’une part, la centralisation en préfecture des premières diligences du porteur de projet sur friche ; d’autre part, le caractère informationnel très poussé de ce certificat, qui lui conférerait presque une nature de rescrit administratif. Certains praticiens semblaient alors avoir accueilli avec enthousiaste le dispositif, soulignant son caractère de « prime réglementaire à la friche » (F. Lévy, Une friche est-elle un déchet comme les autres ?, AJDI 2023. 13 ). Car, en donnant ainsi à l’opérateur la possibilité de connaitre, à l’avance, l’état des lieux des normes et des sujétions auxquelles son projet pourrait être soumis, les informations délivrées au sein du certificat pourraient bien accélérer l’instruction du dossier grâce à la levée de quelques incertitudes.

À l’analyse pourtant, ce certificat de projet « friche », résurrection ciblée du certificat de projet en matière d’autorisation environnementale (C. envir., art. L. 181-6) – créé expérimentalement en 2014 (Ord. n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet), un temps pérennisé (Ord. n° 2017-80 du 26 janv. 2017 relative à l’autorisation environnementale) avant d’être définitivement supprimé (Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables) – pourrait bien connaître le même sort funeste que son défunt prédécesseur. Pour mieux s’en convaincre, il suffit de lire quelques-unes des contributions déposées sur internet au cours de la consultation publique sur le projet initial de décret (qui s’étalait du 11 oct. 2022 au 5 nov. 2022), dont certaines appréhendent avec une grande justesse les écueils présumés du futur dispositif.

La prétendue cristallisation des règles de droit polarise presque toutes les crispations. D’aucuns pensent qu’elle est largement cosmétique, tant il est vrai qu’elle est soumise à d’innombrables exigences. Elle dépend en grande partie de la contenance initiale de la demande déposée par le porteur de projet et de la volonté de l’administration d’aiguiller le pétitionnaire puisque l’article 212 prévoit que le certificat indique la marche juridique à suivre (régimes des autorisations et délais prévisibles) pour la délivrance des autorisations nécessaires au projet, « en fonction de la demande présentée et au regard des informations fournies par le demandeur ». Le législateur a, du reste, réservé la possibilité (et non l’obligation) pour les services préfectoraux d’indiquer « les difficultés de nature technique ou juridique identifiées qui seraient susceptibles de faire obstacle à la réalisation du projet » (art. 212, II, in fine).

Les conditions pour la fixation dans le temps du droit applicable semblent ensuite (trop ?) nombreuses. Parmi elles, l’exclusion expresse de certaines dispositions de la cristallisation – outre l’exclusion classique des dispositions relatives à la sécurité, salubrité et santé publiques, sont visées celles « dont l’application est nécessaire au respect des engagements internationaux de la France, notamment du droit de l’Union européenne » – interroge sur les intentions réelles du pouvoir réglementaire, tant les projets de réhabilitation d’anciennes friches (en particulier industrielles) seront incontestablement concernées par toutes ces dispositions. De même, la condition de présentation de la demande d’autorisation d’urbanisme dans un délai de dix-huit mois à compter de la délivrance du certificat invite à réflexion car elle oblige le pétitionnaire à une grande proactivité au regard, entre autres, de la particulière complexité que peut revêtir une opération de réhabilitation d’une friche industrielle polluée.

Reste néanmoins qu’il faudra certainement attendre la restitution du rapport d’évaluation, dont les modalités sont prévues par l’article 7 du décret, pour connaître le sort réservé à cette énième expérimentation.

 

Décr. n° 2024-452, 21 mai 2024, JO 22 mai

© Lefebvre Dalloz