Tour de France/Tour de X
L’opposition du titulaire des marques « TOUR DE FRANCE » et « LE TOUR DE FRANCE » à l’enregistrement de la marque « TOUR DU X » est rejetée pour absence de risque de confusion et absence d’atteinte à la renommée des marques antérieures.
Le 12 juin 2024, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé le rejet d’une opposition formée par le titulaire de différentes marques (verbales et figuratives) de la célèbre course cycliste « TOUR DE FRANCE » contre la demande d’enregistrement de la marque figurative « TOUR DU X » pour des produits et services identiques ou similaires, notamment en classe 41 (entre autres pour des activités sportives).
Cette décision s’inscrit dans une longue série d’actions menées, avec plus ou moins de succès, par la célèbre compétition sportive pour protéger ses marques.
Deux moyens étaient principalement invoqués pour s’opposer à l’enregistrement : premièrement, l’article 8, § 1, b) du règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne qui nécessite d’établir l’existence d’un risque de confusion. Deuxièmement, l’article 8, § 5, du même règlement qui nécessite d’établir un risque d’atteinte à une marque renommée.
Pas de risque de confusion
Classiquement, le Tribunal rappelle que le risque de confusion s’apprécie globalement, selon la perception que le public pertinent (en l’espèce : le grand public) a des signes et des produits ou des services en cause, et en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
D’abord, à l’instar de la chambre des recours, le Tribunal considère qu’il n’existe aucun élément ni dominant, ni particulièrement distinctif (voire inexistant), dans les marques antérieures « TOUR DE FRANCE » ou « LE TOUR DE FRANCE », non sans souligner au passage que l’utilisation du terme « tour de » est très courante pour désigner des compétitions cyclistes.
À l’inverse, dans la marque postérieure, la lettre « X », utilisée sans une forme stylisée et en couleurs, est dominante et présente selon le Tribunal un degré de distinctivité moyen.
Ensuite, tenant compte de ces éléments d’appréciation sur le caractère dominant plus ou moins distinctif des signes en cause, et prenant soin de bien séparer – presque hermétiquement – l’élément commun « TOUR DE » du reste, le Tribunal en déduit que, sur le plan visuel et phonétique, la marque postérieure présente un très faible degré de similitude avec les marques antérieures.
Sur le plan conceptuel, le Tribunal retient pour l’essentiel que, s’il existe bien une référence commune à la notion de compétition, ces compétitions sont de natures différentes, de sorte qu’il est également exclu de conclure à une similitude conceptuelle.
En outre, sans remettre en question la distinctivité moyenne à élevée, acquise par l’usage, des marques antérieures « TOUR DE FRANCE », le Tribunal relève que, sur l’élément commun « TOUR », seul pertinent, la distinctivité est très faible ou quasi inexistante.
Enfin, le Tribunal rappelle que lorsque la marque antérieure et le signe dont l’enregistrement est demandé coïncident dans un élément de caractère faiblement distinctif au regard des produits en cause, l’appréciation globale du risque de confusion n’aboutit fréquemment pas au constat de l’existence de ce risque (CJUE 18 juin 2020, Primart c/ EUIPO, aff. C-702/18, pt 53, RTD com. 2020. 842, obs. J. Passa
; v. égal., CJUE 12 juin 2019, Hansson, aff. C‑705/17, pt 55, RTD com. 2019. 886, obs. J. Passa
).
Tenant compte de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal considère que la chambre des recours n’a commis aucune erreur en concluant à l’absence de risque de confusion.
Pas d’atteinte à la renommée
Comme le rappelle le Tribunal, la protection des marques renommées nécessite que plusieurs conditions cumulatives soient remplies, dont notamment un usage sans juste motif de la marque demandée conduisant au risque qu’un profit puisse être indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’un préjudice puisse être porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure.
Ce critère du « lien », création prétorienne, conduit à chercher si le public opère un rapprochement injustifié entre une marque et un signe, sans pour autant les confondre (CJCE 14 sept. 1999, General Motors, aff. C-375/97, pt 23, D. 2001. 473, et les obs.
, obs. S. Durrande
; RTD com. 2000. 87, obs. J.-C. Galloux
; ibid. 530, obs. M. Luby
; RTD eur. 2000. 134, obs. G. Bonet
).
En l’absence d’un tel lien dans l’esprit du public, l’usage de la marque postérieure n’est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice.
Dans l’arrêt Intel, la CJCE est venue préciser les critères pertinents à prendre en compte globalement pour déterminer l’existence de ce lien (CJCE 27 nov. 2008, aff. C-252/07, D. 2010. 851, obs. S. Durrande
; RTD com. 2009. 117, obs. J. Azéma
) : le degré de similitude entre les signes, la nature des produits ou services, l’intensité de la renommée et le degré du caractère distinctif de la marque antérieure, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent.
Toutefois, malgré cette volonté de fixer une méthode lisible pour rendre des décisions plus objectives, la jurisprudence en la matière reste bien souvent imprévisible.
Cette nouvelle affaire Tour de France en est une nouvelle illustration.
En effet, dans l’appréciation de l’éventuelle atteinte à la renommée, le Tribunal se contente pour l’essentiel d’opérer des renvois aux développements consacrés à l’absence du risque de confusion.
S’il ne faut pas nier que la méthode pour apprécier le risque de confusion recoupe en partie les critères permettant d’apprécier le lien, des différences doivent subsister dans l’approche, sans quoi, l’absence de risque de confusion conduira nécessairement à retenir l’absence de lien.
Ainsi, le Tribunal aurait pu considérer, dans une approche plus souple que celle du risque de confusion, que l’analyse du lien nécessitait d’appréhender les marques « TOUR DE FRANCE » dans leur globalité, sans se limiter à la comparaison du seul élément commun « TOUR DE ».
À cet égard, la chambre des recours avait jugé que « l’opposante n’a pas fait valoir, et en tout état de cause n’a pas prouvé, que le caractère distinctif accru et la renommée des éléments « TOUR DE FRANCE » et/ou « LE TOUR DE FRANCE » s’étendent à l’élément « TOUR DE » seul ».
Cette approche plus souple aurait peut-être abouti à la même solution.
En effet, dans un arrêt du 5 juillet 2023, la Cour d’appel de Paris confirmait le rejet d’une opposition du tour cycliste contre l’enregistrement de la marque « TOUR DE FRANCE À LA RAME », alors même que, cette fois-ci, la marque postérieure reprenait intégralement la marque antérieure, Paris, 5 juill. 2023, n° 21/11290, D. 2024. 515, obs. S. Chatry, J. Douillard et A. Mendoza-Caminade
).
Là encore, la distinctivité insuffisante de la marque « TOUR DE FRANCE » avait été un point central du rejet de l’opposition pour retenir l’absence de lien, et à titre surabondant, qu’il n’y avait ni exploitation indue de la marque, ni risque de dilution.
Trib. UE, 12 juin 2024, aff. T-604/22
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