Transition environnementale : « les entreprises ont besoin de signaux clairs »
Complexité technique, évolutions réglementaires très rapides, incertitudes sur la taxe carbone, manque de vision systémique et à long terme… Les défis auxquels sont confrontées les entreprises à l’heure de la transition environnementale sont multiples. Éclairage.
« La priorité numéro 1 des entreprises, c’est d’être accompagnées dans la transition écologique », a expliqué la directrice générale du MEDEF, Garance Pineau, au cours de la journée d’échanges sur « les entreprises face à la transition environnementale » organisée par l’Ordre des avocats au Barreau de Paris le 22 mai dernier. Sur ce terrain, « il y a un équilibre à trouver entre les enjeux de transition, d’acceptabilité sociale et d’écart de compétitivité qui se creusent avec d’autres zones du monde – il faut que nous restions dans le jeu global ».
Ajouter un volet investissement au Pacte vert européen
Or, « l’approche européenne, qui est essentiellement fondée sur la norme et sur la règle, est très différente d’autres approches et notamment celle des États-Unis, dont la politique industrielle est massivement basée sur les subventions », a-t-elle rappelé. « Il faut poursuivre la politique industrielle mise en œuvre au niveau européen avec le Pacte vert. La pause réglementaire à laquelle nous [le MEDEF] avons appelé vise à attendre la mise en œuvre effective et complète des nouvelles règles avant de légiférer de nouveau. Après le volet réglementaire, il faut maintenant ajouter un volet investissement et un volet simplification. »
Qui va payer ? Comment rentabiliser les actions de transition ?
Selon l’économiste Christian Gollier, directeur de Toulouse School of Economics et coauteur d’un des rapports du GIEC, « le vrai problème, aujourd’hui, c’est que beaucoup de gens ont l’impression que l’on peut réaliser la transformation de la société sans faire de sacrifices ». Mais, « qui va payer ? Il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’État, il n’y a pas de cavernes d’Ali Baba dans les entreprises pour financer les coûts de production des produits décarbonés, le consommateur ne veut pas payer plus cher et les épargnants ne veulent pas baisser la rentabilité de leur portefeuille en achetant des actifs mois rentables… Le problème fondamental dans une société et une économie de marché, c’est comment rentabiliser les actions de transition énergétique ? »
« Il faut un signal prix » pour savoir qui sera pénalisé ou pas
Pour organiser la transition énergétique, « il faut un signal prix », a poursuivi l’économiste. « Ce signal prix, c’est la taxe carbone et les marchés d’émission de CO2, qui permettraient de rentabiliser ces actions de transition », selon le principe pollueur-payeur. « Pour les chefs d’entreprises se pose la question de savoir dans quel monde de pénalisation des émissions de CO2 nous serons dans cinq, dix ou vingt ans, et c’est pourquoi il faudrait que la politique s’engage aujourd’hui sur un prix du carbone dans cinq ou dix ans – 250 € la tonne en 2030, c’est le prix proposé par France Stratégie, et probablement 500 € la tonne en 2040 et 1 000 € en 2050. Les entreprises ont besoin de savoir si, en 2030 ou 2035, les mauvais élèves de la transition énergétique seront effectivement pénalisés par rapport aux bons élèves qui auront accepté de supporter les coûts de la transition alors que leurs concurrents ne l’auront pas fait. » Une question qui interroge aussi « le monde de la finance, les investisseurs, les épargnants qui font le pari d’investir dans des actifs verts ou qui vont devenir verts ».
Le manque de vision systémique et les limites de la comptabilité carbone
Directrice du Centre de mathématiques appliquées de Mines ParisTech et coauteure du 6e rapport du GIEC, Nadia Maïzi a souligné « la difficulté des entreprises de se positionner dans ce nouveau contexte du fait de sa complexité et du manque de vision systémique, à long terme, de la question climatique ». Au niveau des entreprises, « j’ai l’impression que les questions climatiques ont tendance à être réduites à une question d’indicateurs, de comptabilité, concentrés sur le carbone et la décarbonation. Il ne faut pas minimiser ce problème mais il me semble que c’est un prisme partiel et partial, qui fait que l’on va oublier énormément d’autres choses. (…) Oui, il y a des enjeux de décarbonation, mais il y a aussi des enjeux liés à l’adaptation, dont la comptabilité carbone rend moins bien compte (…). Quand j’ai fait mon bilan carbone, je fais quoi ? Quelles sont les mesures que je vais prendre ? Et est-ce que c’est pour les actionnaires ou pour modifier mon cœur de métier par rapport à l’enjeu climatique ? »
Réduire l’incertitude pour favoriser les investissements de long terme
Cette complexité et ce contexte d’incertitude constituent un véritable frein dans la mesure où l’essentiel des efforts de transition impliquent des investissements de long terme. « Pour les entreprises, il faut des signaux clairs pour prendre des décisions d’investissements à long terme, on ne peut pas avoir des signaux qui changent tous les cinq ans, sinon on va rater la transition », a expliqué Aurélien Hamelle, directeur général Strategy & Sustainability de TotalEnergies. Ces signaux, « c’est le prix du carbone, qui est un signal fondamental », et « ce sont les signaux réglementaires qui donnent un cap – comme la réglementation sur le moteur thermique en Europe, par exemple ».
Coopérer pour entraîner tout le monde
Reste la question de l’universalité de cette problématique : la transition environnementale doit être mondiale pour produire ses effets. « Comment fait-on dans un monde qui va dans des directions très différentes ? Comment fait-on avec une zone asiatique qui augmente encore sa consommation, de même que l’Amérique du Sud, avec l’Amérique du Nord qui décarbone un peu mais qui a une consommation énergétique par habitant colossale… ? » a interrogé le représentant de TotalEnergies. « La coopération est absolument essentielle pour entraîner tout le monde. Il faut que l’on fasse avec l’Inde, avec la Chine, avec l’ASEAN et le Moyen-Orient… Ce sont des enjeux de mode de vie, et je crois vraiment à la logique de coopération. On peut y arriver. »
© Lefebvre Dalloz