Transparence des rémunérations : de nouvelles exigences européennes à transposer d’ici le 7 juin 2026
Publiée au JOUE le 17 mai dernier, la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations tend à renforcer l’application du principe de l’égalité de rémunérations entre les femmes et les hommes, par une série de mesures dont le leitmotiv est l’information et la communication de données, lors de l’embauche et pendant toute la relation de travail. La France a 3 ans pour transposer ces mesures.
Le principe d’égalité de rémunérations entre les femmes et les hommes est consacré par le droit européen depuis de nombreuses années déjà, notamment par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 157) qui fait obligation à chaque État membre d’assurer l’application du principe de l’égalité de rémunérations entre hommes et femmes pour un même travail ou un travail de même valeur.
La directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 s’inscrit dans le droit fil de cette volonté européenne. Partant du constat que, faute de transparence, les femmes victimes de discrimination salariale ne disposaient pas d’informations suffisantes pour faire reconnaître leurs droits, elle établit des exigences minimales, par la transparence des rémunérations et le renforcement des mécanismes d’application du droit.
Par rémunération, il faut entendre « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal et tout autre avantage, payé directement ou indirectement, en espèces ou en nature (composantes variables ou complémentaires), par un employeur à un travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ». Cette définition européenne est très proche de celle donnée par le code du travail (C. trav., art. L. 3221-3).
N’étant pas d’effet direct, la directive doit, pour être applicable, être transposée en droit interne. La France a jusqu’au 7 juin 2026 pour le faire.
Rappelons que le droit français oblige déjà l’employeur à assurer, pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 3221-2).
Renforcement des droits individuels à l’information
Avant l’embauche
L’article 5 de la directive consacre le droit, pour les candidats à un emploi, de recevoir de l’employeur potentiel des informations sur la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale (sur la base de critères objectifs non sexistes) correspondante et, le cas échéant, les dispositions pertinentes de la convention collective (relatives à la rémunération) appliquées par l’employeur en rapport avec le poste.
Destinées à garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération, ces informations doivent être communiquées, par exemple, dans une offre d’emploi publiée avant l’entretien d’embauche ou d’une autre manière. Mais elles doivent l’être dans un format accessible aux personnes handicapées et qui tiennent compte de leurs besoins particuliers.
La directive laisse donc une marge de manœuvre sur la forme que doit prendre cette information. En pratique, de nombreuses offres d’emploi publiées indiquent une fourchette de rémunération. Si l’information n’est pas fournie dans l’offre d’emploi, l’employeur aura intérêt à se ménager des preuves quant à la remise de cette information au candidat.
Attention ! L’employeur ne peut pas demander au candidat son historique de rémunération, tant pour ses relations de travail antérieures que pour celles éventuellement en cours.
Au cours de l’exécution du contrat de travail
S’agissant des informations à fournir durant la relation de travail, deux mesures sont prises :
- d’une part, une obligation à la charge de l’employeur de communiquer sur la fixation des rémunérations et la politique de progression de la rémunération (art. 6) ; les employeurs doivent mettre à la disposition des travailleurs, de façon facilement accessible (y compris pour les travailleurs handicapés), les critères, qui doivent être objectifs et non sexistes, utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération des salariés ;
- d’autre part, un droit à l’information renforcé des travailleurs (art. 7) : pour le moment, cette information individuelle n’existe pas en droit français.
Avec ce droit à l’information renforcée, tout travailleur a le droit de demander et de recevoir par écrit, par l’intermédiaire de ses représentants ou d’un organisme pour l’égalité de traitement, des informations sur son niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail que lui ou un travail de même valeur que le sien.
Si les informations reçues sont inexactes ou incomplètes, le travailleur a le droit de demander, personnellement ou par l’intermédiaire de ses représentants, des précisions et détails raisonnables concernant toute donnée fournie et de recevoir une réponse circonstanciée.
L’employeur doit fournir les informations demandées dans un délai raisonnable et, au plus tard, dans un délai de deux mois à compter de la demande. Lorsqu’il s’agit d’un travailleur handicapé, ces informations doivent lui être fournies dans un format qui tient compte de ses besoins particuliers.
L’employeur peut exiger du salarié ayant obtenu des informations autres que celles concernant sa propre rémunération ou niveau de rémunération qu’il ne les utilise pas à des fins autres que l’exercice de son droit à l’égalité des rémunérations.
Il doit faire connaître ce droit et les mesures à prendre pour exercer ce droit dans une information à communiquer, tous les ans, aux travailleurs. Évidemment, les informations fournies dans le cadre de cette mesure impliquent le respect du RGPD.
Les clauses de secret salarial bientôt interdites
Les travailleurs ne devant pas être empêchés de divulguer leur rémunération aux fins de l’application du principe de l’égalité des rémunérations, les États membres de l’Union européenne devront mettre en place des mesures visant à interdire les clauses contractuelles empêchant cette divulgation.
Nouvelle obligation de communiquer des données sur l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes
Employeurs concernés et données communiquées
Des données sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes devront être communiquées régulièrement par les entreprises occupant au moins 100 salariés (art. 9).
La directive n’impose cette communication qu’aux entreprises d’au moins 100 salariés et laissent les autres entreprises libres de les communiquer ou non. Mais elle indique que les États membres pourront faire le choix, lors de la transposition de cette mesure en droit interne, d’imposer la communication d’informations sur les rémunérations aux entreprises de moins de 100 salariés.
Le droit français impose déjà la publication d’un index égalité aux entreprises de 50 salariés et plus (C. trav., art. D. 1142-2 s.).
Les données à communiquer sont récapitulées dans le tableau ci-après.
L’exactitude des informations est confirmée par la direction de l’entreprise, après consultation des représentants des travailleurs qui ont accès aux méthodes appliquées par l’employeur. Le traitement des données communiquées implique évidemment le respect du RGPD.
Les travailleurs, les représentants des travailleurs, les inspections du travail et les organismes pour l’égalité de traitement ont le droit de demander aux entreprises des éclaircissements et des précisions supplémentaires sur toutes les données communiquées, y compris des explications concernant toute différence de rémunération constatée entre les femmes et les hommes. Les employeurs doivent répondre à ces demandes dans un délai raisonnable en fournissant une réponse circonstanciée. Lorsque la différence de rémunération entre les femmes et les hommes n’est pas justifiée par des critères objectifs non sexistes, les employeurs doivent remédier à la situation dans un délai raisonnable, en étroite coopération avec les représentants des travailleurs, l’inspection du travail et/ou l’organisme pour l’égalité de traitement.
Les entreprises françaises ont déjà l’obligation de publier des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération. L’Index égalité devra probablement évoluer pour tenir compte des dispositions européennes. Il devra notamment tenir compte des écarts de rémunération concernant les composants variables ou complémentaires ; aujourd’hui, il ne tient compte que de la rémunération d’ensemble.
L’entrée en vigueur et la périodicité de cette communication obligatoire varient selon l’effectif de l’entreprise. Ainsi :
- les employeurs de 250 salariés et plus devront fournir les données concernant l’année civile précédente, au plus tard le 7 juin 2027 puis chaque année ;
- les employeurs de 150 à 249 salariés devront fournir les données concernant l’année civile précédente, au plus tard le 7 juin 2027 puis tous les trois ans ;
- les employeurs de 100 à 149 salariés devront fournir les données concernant l’année civile précédente, au plus tard le 7 juin 2031 puis tous les trois ans.
En France, l’Index égalité doit être publié chaque année, avant le 1er mars, dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
Évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants des salariés en cas d’écart de rémunération moyen d’au moins 5 %
Les entreprises soumises à l’obligation de communication susvisée doivent procéder à une évaluation conjointe des rémunérations en coopération avec les représentants du personnel lorsque (art. 10) :
- les données communiquées révèlent une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5 % entre les femmes et les hommes, quelle que soit la catégorie de travailleurs ;
- l’employeur n’a pas justifié cette différence de niveau par des critères objectifs non sexistes ;
- l’employeur n’a pas remédié à cette différence injustifiée de niveau de rémunération moyen dans un délai de six mois à compter de la date de communication des données sur les rémunérations : l’entreprise a donc six mois pour résoudre le problème avant d’engager une évaluation conjointe avec les représentants du personnel.
Ces conditions sont cumulatives.
L’évaluation conjointe des rémunérations est faite pour recenser, corriger et prévenir les différences de rémunérations femmes/hommes qui ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes. Elle doit comporter un certain nombre d’éléments récapitulés dans le tableau ci-après.
L’évaluation doit être mise à la disposition du personnel et de ses représentants, de l’inspecteur du travail et de l’organisme pour l’égalité de traitement. Elle doit également être communiquée à l’autorité chargée de compiler les données.
À la suite de l’évaluation, l’employeur doit remédier, dans un délai raisonnable, aux différences de rémunérations, en étroite collaboration avec les représentants des travailleurs. L’inspection du travail et l’organisme pour l’égalité de traitement peuvent être invités à participer au processus.
Un soutien à organiser en faveur des entreprises de moins de 250 salariés
Pour faciliter le respect des mesures présentées ci-avant, les États membres devront apporter leur soutien aux entreprises de moins de 250 salariés, sous forme d’une assistance technique et d’une formation.
Mesures relatives aux voies de recours et à l’application du droit
La directive européenne comporte également un volet consacré aux voies de recours et à l’application du droit.
Pour l’essentiel, il s’agit de garantir aux travailleurs un accès facile au juge pour faire valoir leurs droits (art. 14) et obtenir une indemnisation ou une réparation intégrale effective du dommage en cas d’atteinte au principe d’égalité des rémunérations (art. 16).
L’indemnisation ou la réparation doit comprendre le recouvrement intégral des arriérés de salaire et des primes ou paiements en nature qui y sont liés, une indemnisation pour les opportunités manquées, le préjudice moral, tout préjudice causé par d’autres facteurs pertinents, dont peut notamment faire partie la discrimination intersectionnelle (discrimination fondée sur le sexe et sur un ou plusieurs autres motifs de discriminations prohibés), ainsi que des intérêts de retard. Elle ne peut pas être plafonnée (ce qui est déjà le cas en droit français).
Les associations ou organismes ayant un intérêt légitime à garantir cette égalité pourront également engager toute procédure administrative ou judiciaire au nom ou à l’appui des travailleurs, avec leur approbation (art. 15).
Le droit français prévoit déjà une action collective en matière de discrimination.
La directive prévoit également des dispositions en matière de charge et d’accès à la preuve. Ainsi :
- les juridictions et autorités nationales doivent être en mesure d’ordonner à l’employeur de produire toute preuve pertinente se trouvant en sa possession, y compris des informations confidentielles ;
- dès lors qu’un travailleur s’estime lésé par un défaut d’application, à son égard, du principe de l’égalité des rémunérations et établit des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération (renversement de la charge de la preuve) ;
- lorsque l’employeur n’a pas rempli ces obligations d’information individuelle et de communication des données susvisées, il lui incombe de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination (sauf discrimination mineure ou non intentionnelle).
Des dispositions relatives au délai de prescription d’un recours lié à l’égalité des rémunérations sont également prévues.
A priori, les mesures relatives aux voies de recours ne devraient affecter que marginalement le droit français, la majorité des obligations européennes étant déjà respectées en droit interne.
© Lefebvre Dalloz