Transposition de la CSRD : les derniers détails sont désormais fixés
À propos de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales et du décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023 pris en application de l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023.
 
                            Près d’un an après l’adoption de la directive « CSRD » (Dir. [UE] 2022/2464 du 14 déc. 2022, relative à la publication d’informations en matière de durabilité), le législateur français a procédé à sa transposition par voie d’ordonnance comme le prévoyait l’habilitation octroyée par la loi DDADUE n° 2023-171 du 9 mars 2023. La France est ainsi le premier État membre de l’Union européenne à adapter son droit interne aux exigences nouvelles de reporting.
Transposition des nouvelles obligations de reporting
La directive CSRD opère une refonte du reporting extra-financier : les entreprises assujetties seront dès 2025 (pour celles qui étaient déjà assujetties à la directive Barnier de 2014 « NFRD ») tenues de publier un rapport de durabilité en tenant compte des normes européennes standardisées, les « ESRS » (European sustainability reporting standards) publiées le 31 juillet 2023, et dont le contenu sera obligatoirement contrôlé par un tiers indépendant. Logiquement, l’ordonnance opère une modification d’ampleur des dispositions existantes relatives à la publication d’informations extra-financières.
L’ordonnance confirme d’abord que seront concernées les sociétés commerciales, incluant les sociétés par actions simplifiées. Près de 6 000 sociétés seront ainsi progressivement soumises à la CSRD.
Comme prévu par la CSRD, le rapport de durabilité se substitue à la « déclaration de performance extra-financière » (DPEF) prévue anciennement aux articles L. 225-102-1 et L. 22-10-36 du code de commerce. Le nouvel article L. 232-6-3, I, du code de commerce prévoit que : « Toute société qui est une grande entreprise au sens de l’article L. 230-1, inclut des informations en matière de durabilité au sein d’une section distincte de son rapport de gestion. Ces informations permettent de comprendre les incidences de l’activité de la société sur les enjeux de durabilité, ainsi que la manière dont ces enjeux influent sur l’évolution de ses affaires, de ses résultats et de sa situation. Les enjeux de durabilité comprennent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernement d’entreprise. » L’ordonnance consacre ici le principe de double matérialité qui différencie l’approche européenne d’autres référentiels, au premier rang desquels celui de l’International Accounting Standards Board (IASB).
Les choix opérés par le législateur français concernant la certification du rapport de durabilité
La directive CSRD exige que les informations de durabilité soient certifiées, à l’image de l’audit des informations financières, alors que le contenu de la DPEF ne faisait pas l’objet d’une vérification de son exactitude et de son caractère suffisant. Cette certification a pour but, rappelons-le, de « garantir la fiabilité des données, et prévenir l’écoblanchiment et la double comptabilisation » (CSRD, consid. 13 et 60). Il revenait donc au législateur français de fixer les conditions du contrôle de l’évaluation des informations ESG. C’est chose faite, avec un niveau important de détails, au sein des articles 11 à 19 de l’ordonnance.
Comme le rappelle le rapport au président, l’audit du rapport de durabilité doit être effectué, dans un premier temps, selon une norme « d’assurance limitée » – par opposition à une assurance raisonnable applicable pour la certification des états financiers – c’est-à-dire portant sur l’absence d’anomalie significative. Cette notion d’assurance limitée sera définie par un acte délégué de la Commission européenne avant le 1er octobre 2026 et s’imposera directement aux États membres. En attendant, la directive prévoit que les États membres appliquent leurs normes nationales. L’article L. 821-59 du code de commerce, nouvellement créé par l’ordonnance, précise ainsi que la certification des informations en matière de durabilité est effectuée conformément à la future norme d’assurance européenne et que dans cette attente, une norme d’exercice professionnel adoptée par la Haute autorité de l’audit pourra définir la norme d’assurance selon laquelle la certification sera effectuée.
Par ailleurs, l’ordonnance du 6 décembre 2023 lève l’incertitude tenant à la possibilité, pour des professionnels autres que des commissaires aux comptes, de certifier le rapport de durabilité. En effet, la directive CSRD donnait l’option aux États membres de permettre à des « prestataires de services d’assurance indépendants » (PSAI) d’effectuer l’audit des informations en matière de durabilité, à condition, d’une part, d’être accrédités par les États membres et, d’autre part, de respecter des exigences équivalentes à celles énoncées dans la directive « Audit » pour les commissaires aux comptes. Cette option est levée par le législateur français : l’article L. 232-6-3, III, du code de commerce prévoit en effet que les informations en matière de durabilité doivent être certifiées par un commissaire aux comptes ou par un « organisme tiers indépendant » inscrit sur « la liste mentionnée au I de l’article L. 822-3 ». Comme le précise le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance, « cela doit permettre de conserver un marché de l’audit ouvert, stimulant une diversification de l’offre, et contribuer à améliorer la qualité du service ». Une résolution adoptée par le Conseil national des barreaux le 11 mai 2023 appelait à ce que les avocats puissent assurer cette mission de certification (A. Stevignon et F. de Cambiaire, La directive CSRD pour de nouvelles missions de certification de l’avocat ?, Dalloz actualité, 12 juin 2023). Ils pourront exercer ce contrôle en tant qu’organisme tiers indépendant (OTI) sous réserve d’être accrédité comme tel par le Comité français d’accréditation (COFRAC).
Au cours des prochaines assemblées générales, les sociétés assujetties devront nommer leur OTI ou commissaire aux comptes, en charge de certifier leur rapport de durabilité. Cette nomination est d’une durée de six ans, même si la durée du premier mandat pourra être raccourcie, comme le précise l’article 38 de l’ordonnance.
L’ordonnance créé un régime applicable à l’exercice de cette activité applicable aux commissaires aux comptes comme aux auditeurs d’informations en matière de durabilité exerçant au sein d’un OTI. Le régime d’exercice de la profession de commissaire aux comptes est donc remodelé en ce qui concerne les règles relatives à l’autorisation d’exercice de l’audit des informations en matière de durabilité, les règles relatives à la déontologie, à l’indépendance et au secret professionnel, et celles applicables à la désignation et à la révocation des commissaires aux comptes.
Dans cette logique, l’ordonnance prévoit également que l’ensemble des professionnels procédant à la certification du rapport de durabilité seront supervisés par une même autorité, la Haute autorité de l’audit (H2A), qui remplace la H3C et dont les missions évoluent (Ord., art. 14).
Les sanctions prévues
La CSRD exigeait que les sanctions – applicables tant aux entreprises qu’aux professionnels qui certifient les rapports – soient « effectives, proportionnées et dissuasives », laissant une importante marge de manœuvre aux États membres en la matière. L’ordonnance prévoit ainsi plusieurs types de sanctions.
Les sociétés qui ne satisfont pas à leur obligation de publier un rapport de durabilité encourent l’exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession (CCP, art. L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1, mod. par l’art. 27 de l’ord.). Ce dispositif existait déjà pour les sociétés soumises à la loi relative au devoir de vigilance du 27 mars 2017 depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021, il est étendu à l’absence de publication d’informations de durabilité. La commande publique participe ainsi « à l’atteinte des objectifs de développement durable » (CCP, art. L. 3.1). La règle sera applicable aux marchés publics et aux contrats de concession pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est émis à compter du 1er janvier 2026.
De surcroît, l’article L. 238-1 révisé du code de commerce permet à toute personne de demander en référé d’enjoindre sous astreinte soit la production, la communication ou la transmission des documents ou informations en matière de durabilité, soit la désignation d’un mandataire chargé de procéder à cette communication (Ord., art. 10). Le législateur a eu l’ambition d’« unifier et d’harmoniser ce dispositif concernant les obligations de reporting RSE et d’en renforcer l’effectivité en l’ouvrant à "toute personne" » (Rapport au président de la République). Comme une commentatrice l’a souligné, « la question peut se poser de savoir si une simple "injonction de publication" prévue par le code de commerce constitue une sanction "effective, proportionnée et dissuasive" au sens du droit européen » (M. Tirel, RSE et droit des sociétés, Dr. sociétés, 2024, n°1, comm. 13, p. 34 à 36)
Enfin, le fait de ne pas faire auditer les informations de durabilité est passible d’une amende de 30 000 € et de deux ans d’emprisonnement et en cas d’entrave à l’audit, les peines peuvent atteindre jusqu’à 75 000 € et cinq ans de prison, comme le prévoit l’article L. 821-6 du code de commerce modifié par l’article 15 de l’ordonnance.
L’harmonisation du cadre des obligations en matière de RSE
L’ordonnance opère également une harmonisation du cadre des obligations en matière de RSE, notamment au sein du code de commerce, conformément aux recommandations formulées par le Haut comité juridique de la place de Paris (HCJP) dans un rapport commandé par le ministère de la Justice (rapp. du HCJP sur les dispositifs de transparence extra-financière, sept. 2022). Le rapport au président souligne en effet que le « manque d’articulation entre les différents dispositifs apparaît doublement préjudiciable : d’abord pour les entreprises assujetties, en entrainant un manque de lisibilité, des coûts administratifs importants et une perte d’efficacité économique ; ensuite pour les personnes bénéficiaires de ces dispositifs qui y voient un manque de lisibilité et, in fine, une difficulté à appréhender les risques liés aux dimensions non financières de l’activité de l’entreprise. »
Les différents dispositifs de publication d’informations qui visent les sociétés commerciales sont rassemblés au sein d’un nouveau chapitre intitulé « Des comptes sociaux et des informations en matière de durabilité » qui régit les articles L. 232-1 et suivants du code de commerce. L’ordonnance prévoit notamment que « lorsqu’elles communiquent leur plan de vigilance et rendent compte de sa mise en œuvre, les sociétés peuvent renvoyer aux informations en matière de durabilité prévues par la directive CSRD », ce que l’on peut regretter du point de vue de l’impératif de clarté du plan de vigilance, même si des interactions entre les deux exercices sont appelées à être nombreuses.
Précisions sur le contenu du rapport de durabilité opérées par décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023
Le texte apporte d’abord des précisions concernant les seuils d’application et les modalités de calcul de chacun de ceux-ci permettant de désigner les entreprises assujetties (Décr., art. 22 ; C. com., art. D. 230-1 s., pris pour l’application des art. L. 230-1 s.). Sont visés :
- pour l’exercice qui court à compter du 1er janvier 2024, les émetteurs qui sont des grandes entreprises ou les sociétés consolidantes d’un grand groupe au sens des articles L. 230-1 et L. 230-2 du code de commerce, dont le nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice est supérieur à 500 salariés et de plus de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires (et/ou de plus de 20 millions de total de bilan). Autrement dit, les entreprises déjà soumises à l’obligation de publier une DPEF ;
- pour l’exercice qui court à compter du 1er janvier 2025, les émetteurs qui sont des grandes entreprises ou les sociétés consolidantes d’un grand groupe au sens des articles L. 230-1 et L. 230-2 du code de commerce : autrement dit, les autres grandes entreprises de plus de 250 salariés et de plus de 40 millions d’euros de chiffres d’affaires (et/ou de plus de 20 millions d’euros de total de bilan) ;
- pour l’exercice qui court à compter du 1er janvier 2026, les petites et moyennes entreprises cotées au sens de l’article L. 230-1 du code de commerce (sauf micro-entreprises : entreprises de moins de dix salariés dont le total du bilan ne dépasse pas 350 000 € ou dont le montant net du chiffre d’affaires ne dépasse pas 700 000 €) ainsi que les établissements de crédit de petite taille et non complexes, avec une option de décaler le reporting de deux ans.
- pour l’exercice qui court à compter du 1er janvier 2028, les sociétés étrangères ayant une succursale, visées à l’article L. 232-6-4 du code de commerce, dépassant le seuil de chiffre d’affaires net qui est fixé à 150 millions d’euros par le décret (C. com., art. D. 232-8-7).
Le décret du 30 décembre 2023 détaille ensuite les informations en matière de durabilité qui doivent figurer au sein du rapport de gestion des sociétés entrant dans le champ d’application de l’ordonnance. L’article L. 232-6-3 du code de commerce renvoyait en effet à un décret pour apporter des précisions sur les éléments décrits par ces informations, les mentions à l’appui de celles-ci et leurs modalités de présentation. Ces précisions sont apportées par les articles R. 232-8-4 et suivants du code de commerce nouvellement créés (Décr., art. 5). Ces dispositions reprennent en substance les informations requises par la directive CSRD et notamment la description du modèle commercial et de la stratégie de la société, les objectifs assortis d’échéances que s’est fixés la société en matière de durabilité et les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs, le rôle des organes de direction, d’administration ou de surveillance concernant les enjeux de durabilité, les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité, les incitations liées aux enjeux de durabilité octroyées par la société aux membres des organes de direction, d’administration ou de surveillance…
L’article R. 232-8-6 du code de commerce renvoie aussi aux textes européens pour préciser le format attendu du rapport de durabilité : « les sociétés soumises à l’article L. 232-6-3 établissent leur rapport de gestion dans le format d’information électronique précisé à l’article 3 du règlement délégué (UE) 2019/815 de la Commission européenne et balisent les informations en matière de durabilité ainsi que les informations exigées par l’article 8 du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil conformément à ce même format ».
Le décret modifie également le code de commerce pour adapter ses dispositions notamment pour ce qui concerne la Haute autorité de l’audit, la profession de commissaire aux comptes et les organismes tiers indépendants et auditeurs des informations en matière de durabilité (Décr., art. 9 à 11).
Enfin, les dispositions du décret sont complétées par deux arrêtés (Arr. du 28 déc. 2023 portant modification du titre II du livre VIII du c. com et Arr. du 28 déc. 2023 pris en application de l’art. 37 de l’ord. n° 2023-1142 du 6 déc. 2023).
Le législateur, dont la marge de manœuvre était assez restreinte au regard du niveau de détails de la législation européenne, a donc fait sa part pour permettre la mise en œuvre des nouvelles obligations de reporting dès cet exercice. Restent à clarifier certains détails d’importance pratique, comme la liste définitive des points de données élaborée par l’European financial reporting advisory group (EFRAG) que les sociétés pourraient avoir à renseigner dans leur rapport de durabilité et les contours de la norme d’assurance limitée qui sera retenue pour la certification. En attendant, un site internet est mis à disposition pour aider les entreprises dans leur démarche (M. Tirel, RSE et droit des sociétés, Dr. sociétés 2024, n° 1, comm. 13, p. 34 à 36).
© Lefebvre Dalloz