Travail dissimulé : entrée en vigueur de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1827

Les dispositions de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale et les textes réglementaires pris pour son application ne régissent que les contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 et n’ayant pas fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé au 27 septembre 2017.

L’article 24 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 réorganisa la section 1 du chapitre III du titre III du livre I du code de la sécurité sociale en remaniant la procédure de contrôle du travail dissimulé. L’article L. 133-1 du code, intégralement modifié pour l’occasion, prévoyait dans sa rédaction issue de la loi nouvelle, que lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé est établi, « l’inspecteur du recouvrement remet à la personne contrôlée un document constatant cette situation et comportant l’évaluation du montant des cotisations et contributions éludées, des majorations (…) ains que du montant des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales dont a pu bénéficier le débiteur annulées ». L’article 24 s’achevait en prévoyant expressément que ces nouvelles dispositions s’appliquaient « aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 ». Quelques mois plus tard, le pouvoir règlementaire intervenait et complétait la liste des informations devant être transmises par l’URSSAF. L’article 1er du décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017 relatif à l’amélioration des outils de recouvrement en matière de travail dissimulé créa l’article R. 133-1 du code de la sécurité sociale, lequel prévoyait – et prévoit encore – que, « outre les mentions prévues au I de l’article L. 133-1, le document prévu au même article mentionne la période concernée, les faits constatés et (…) l’auteur du constat ». Il ajoutait également un article R. 133-1-1 afférent aux garanties que la personne contrôlée doit constituer en vue de couvrir le montant évalué. Quant à l’article 5 du décret, il décidait que « les dispositions de l’article 1er sont applicables aux contrôles n’ayant pas fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé à la date de publication du présent décret », soit le 27 septembre 2017.

Le 19 octobre 2016, une société fit l’objet d’un contrôle et, à la suite de celui-ci, fut dressé un procès-verbal de travail dissimulé le 31 août 2017 puis émise une lettre d’observations le 6 septembre 2017, avant que la mise en demeure ne soit adressée le 13 février 2018. Pour contester le redressement, la société fit valoir que l’URSSAF n’avait pas respecté les nouvelles prescriptions de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale et ajoutait que l’URSSAF ne pouvait écarter l’argument en invoquant le fait que, lors de l’envoi de la lettre d’observations, ce texte n’était pas entré en vigueur, faute pour le pouvoir règlementaire d’avoir pris les dispositions nécessaires à son application. Le raisonnement fut écarté par la cour d’appel à la suite d’une démonstration laconique (Amiens, 13 déc. 2022, n° 20/01482) puis par la Cour de cassation qui, dans une formulation qui ne rend pas compte des subtilités du sujet, décide que « les dispositions de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale et les textes réglementaires pris pour son application ne régissent que les contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 et n’ayant pas fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé au 27 septembre 2017 ». La solution est exacte mais mérite d’être complétée.

La société soutenait que les dispositions de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale lui était applicable, motif pris du fait que le procès-verbal avait été dressé postérieurement au 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la nouvelle disposition légale. L’affirmation supposait deux choses. La première, c’est que l’évènement de référence à prendre compte pour décider de l’application de la loi était non pas le contrôle – lequel était intervenu en octobre 2016 – mais le constat fait par l’URSSAF, matérialisé en l’espèce par le procès-verbal adressé, lui, quelques semaines avant la publication du décret d’application et la création de l’article R. 133-1 du code de la sécurité sociale. La seconde, c’est que la publication de ces actes réglementaires n’étaient pas nécessaires à l’application de la loi.

Inapplication de l’article L. 133-1 du code aux contrôles engagés antérieurement au 1er janvier 2017

Le premier argument se heurtait à la lettre de l’article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Celui-ci prévoyait, comme indiqué, que les nouvelles dispositions régissaient les « contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 ». Certes, la société requérante espérait convaincre les juges que l’engagement du contrôle devait être matérialisé par le procès-verbal – soit en septembre 2017 – mais l’argument avait peu de chance de prospérer dès lors que les opérations de contrôle proprement dites avaient été réalisées en 2016. La Cour de cassation tue l’espoir dans l’œuf en distinguant bien dans le temps, quoiqu’implicitement, le moment de l’engament du contrôle de celui du constat de l’infraction. À ce stade, il était donc acquis par principe que la loi nouvelle ne régissait pas la situation et le reste de l’argumentation de la société était d’ores et déjà inutile.

Application de l’article L. 133-1 du code aux contrôles engagés postérieurement au 1er janvier 2017

Le second argument – finalement inopérant au regard des faits de l’espèce – mérite toutefois d’être évoqué, ne serait-ce qu’en raison de son intérêt juridique de principe et de l’ambiguïté de la proposition formulée par la Cour de cassation à son propos. La question est la suivante : le contrôle engagé par l’URSSAF après le 1er janvier 2017 et ayant donné lieu à un procès-verbal pour travail dissimulé avant le 27 septembre 2017 (date de publication du décret) est-il soumis aux dispositions du nouvel article L. 133-1 du code de la sécurité sociale ? La solution en la matière est connue de longue date. Il convient de distinguer selon que la loi se suffit à elle-même ou que les mesures d’application sont indispensables à son application. Dans le premier cas, les dispositions légales trouvent à s’appliquer dès le lendemain de leur publication ou, lorsque la loi le prévoit expressément comme en l’espèce, à la date qu’elle prévoit (C. civ., art. 1er ; Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 22-18.080, Dalloz actualité, 14 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 260 ; RCJPP 2024, n° 04, p. 42, chron. V. Valette ) peu important l’absence de publication des règlements d’application quand bien même la loi prévoirait expressément une telle publication (v. p. ex., en matière de sécurité sociale, Civ. 2e, 12 juin 2012, n° 11-20.578, Dalloz actualité, 7 sept. 2012, obs. C. Dechristé ; D. 2012. 1747 ; RDSS 2012. 954, obs. T. Tauran ). Dans le second cas – lorsque la loi est insuffisante –, l’entrée en vigueur de la loi est reportée à la date d’entrée en vigueur des décrets d’applications, soit le lendemain de la date de publication au journal officiel ou la date prévue par le règlement (Soc. 5 nov. 1981, n° 79-42.515 ; 10 oct. 2018, n° 17-10.248, D. 2018. 2026 ; ibid. 2019. 326, chron. F. Salomon et A. David ). Au demeurant, de façon que l’acte législatif ne demeure pas inapplicable ad vitam aeternam, l’autorité administrative est tenue de publier dans un délai raisonnable les règlements nécessaires à l’application de la loi (CE 12 déc. 2003, n° 243430, Lebon ; AJDA 2004. 442 , note H. M. ; D. 2004. 541 ).

Demeure à décider si, à l’époque, les dispositions du nouvel article L. 133-1 du code de la sécurité se suffisaient à elle-même. L’hésitation est permise, quoiqu’il faille préférer une réponse positive. Le paragraphe ayant donné lieu à la présente affaire est tout à fait clair sur les éléments que l’URSSAF doit communiquer à la personne contrôlée, et évoque tout aussi clairement la finalité desdits documents. Du reste, l’article R. 133-1 du code créé en septembre 2017 ne « précise » pas les dispositions légales à proprement parler : il ajoute des informations à communiquer. En ce sens, il ne fait nul doute que le texte règlementaire n’était matériellement pas indispensable à l’application de la loi nouvelle. A contrario les alinéas suivants de l’article L. 133-1 du code qui fixent la procédure suivant la remise de l’information à la personne contrôlée appellent expressément l’intervention du pouvoir règlementaire, notamment pour déterminer les conditions dans lesquelles le débiteur communique les garanties dont il dispose à l’URSSAF. C’est peu, semble-t-il, pour repousser l’entrée en vigueur de la loi.

Synthèse

In fine, il faut comprendre que, d’abord, les contrôles engagés avant le 1er janvier 2017 échappent aux dispositions des articles L. 133-1 et R. 133-1 du code de la sécurité sociale ; ensuite, que les contrôles engagés après le 1er janvier 2017 et ayant donné lieu à un procès-verbal de travail dissimulé antérieurement au 27 septembre 2017 sont soumis aux seules dispositions de l’article L. 133-1 ; enfin, que les contrôles engagés postérieurement au 1er janvier 2017 et n’ayant pas donné lieu à un procès-verbal antérieurement au 27 septembre 2017, sont soumis aux dispositions des articles L. 133-1 et R. 133-1 du code de la sécurité sociale.

 

Civ. 2e, 4 sept. 2025, F-B, n° 23-11.796

par Vincent Roulet, Avocat, Edgar avocats

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