Travailler pendant un arrêt maladie ou un congé maternité : un préjudice nécessaire
Le seul constat du manquement de l’employeur en ce qu’il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie (n° 23-15.944) ou pendant son congé maternité (n° 22-16.129) ouvre droit à réparation.
La suspension du contrat de travail, que la cause soit un arrêt de travail pour maladie ou encore un congé maternité, a pour première conséquence de suspendre l’obligation du salarié d’exécuter sa prestation de travail. Aussi a-t-il été jugé, dans ce contexte, que travailler pendant un arrêt maladie n’est pas en soi un manquement à l’obligation de loyauté (Soc. 12 oct. 2011, n° 10-16.649, Dalloz actualité, 10 nov. 2011, obs. J. Siro ; D. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
; RDT 2011. 698, obs. S. Maillard-Pinon
). Mais qu’advient-il si l’employeur, faisant fi de cette suspension, sollicite du salarié une prestation de travail ? Force est d’admettre qu’il vient ipso facto à manquer à son obligation de suspendre la relation de travail. Le salarié placé dans cette situation doit-il alors faire la démonstration d’un préjudice subi du fait de l’exécution de la prestation en dépit de la suspension du contrat pour bénéficier de l’allocation de dommages-intérêts ? La chambre sociale de la Cour de cassation apporte, par deux arrêts rendus le 4 septembre 2024, une réponse négative, en reconnaissant un préjudice nécessaire en pareille situation.
Un préjudice nécessaire en cas de travail pendant un arrêt maladie
Au visa des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-4 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, le second dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, interprétés à la lumière des articles 5 et 6 de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, la chambre sociale de la Cour de cassation va, en rappelant que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés et qu’il lui appartient de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, affirmer que le seul constat du manquement consistant à faire travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation.
Au soutien de cette affirmation, l’éminente juridiction va en effet préciser que lorsqu’il confie des tâches à un travailleur, l’employeur doit prendre en considération les capacités de ce travailleur en matière de sécurité et de santé. Or, force sera d’admettre que si le salarié s’est vu attribuer un arrêt de travail pour maladie par un professionnel de santé, il devient incontestable pour l’employeur que le salarié n’est pas en mesure d’assurer son travail sans altération de sa santé, sauf à considérer une fraude ou une mauvaise appréciation du médecin, qu’il ne lui appartient, en tout état de cause, pas de juger lui-même.
Dans l’un des arrêts (n° 23-15.944, D. 2024. 1529
), bien que l’employeur ait manqué à ses obligations en faisant venir la salariée trois fois pendant son arrêt maladie pour accomplir ponctuellement et sur une durée limitée une tâche professionnelle, la salariée s’était vu débouter par la cour d’appel de ses demandes de dommages-intérêts au motif qu’elle ne démontrait aucun préjudice spécifique en découlant et se contentait d’indiquer que le manquement de l’employeur occasionnait nécessairement un préjudice.
Désaveu des hauts magistrats, qui pose désormais un principe clair selon lequel existe un nécessaire préjudice dès lors qu’est constatée la réalisation d’un travail – à la demande de l’employeur – pendant l’arrêt de travail pour maladie du salarié.
Un préjudice nécessaire en cas de travail pendant un congé maternité
Le raisonnement tenu par la chambre sociale la conduit à étendre le raisonnement en matière de suspension pour congé maternité, au visa cette fois des articles L. 1225-17, alinéa 1er, et L. 1225-29 du code du travail, interprétés à la lumière de l’article 8 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Dans la seconde espèce (n° 22-16.129, D. 2024. 1528
) en effet, une salariée avait bénéficié d’un congé de maternité puis d’un congé parental, et avait dû exécuter une prestation de travail pendant ledit congé. La Cour de cassation va ici, une fois encore, considérer que le seul constat de ce manquement ouvrait droit à réparation, sans que l’intéressée n’ait à démontrer la réalité d’un préjudice.
La structure du raisonnement tenu par les hauts magistrats et le fait qu’elle s’adosse à des fondements européens nous conduit à penser que cette solution pourra – à notre sens – être extrapolée aux différents cas de suspension du contrat de travail, au-delà de la seule maladie ou de la maternité s’il est possible de les rattacher à un principe de poids, tel que la protection de la sécurité et/ou de la santé au travail.
Elle traduit indéniablement une volonté de faciliter l’indemnisation du salarié et envoie un message sans ambages aux employeurs tentés par l’idée de faire exécuter une prestation de travail, fût-ce marginale, à un salarié en arrêt ou en congé maternité.
Mais quid du salarié qui, spontanément et sans demande aucune de l’employeur, prend l’initiative de poursuivre, fût-ce partiellement, certaines de ses tâches, au moyen, le cas échéant, d’outils informatiques ? La chambre sociale ne se prononce pas sur cette question dans ces deux espèces. L’arrêt (n° 23-15.944, préc.) évoque toutefois le manquement consistant à « faire travailler » le salarié, laissant supposer la caractérisation d’un élément moral (une conscience et une volonté de l’employeur de maintenir une activité de travail du salarié) chez l’employeur. Force sera toutefois d’admettre qu’il serait difficile pour l’employeur de plaider qu’il n’a pas eu connaissance du travail exécuté par son salarié en situation de suspension de contrat pour s’exonérer de tout risque contentieux. L’employeur, apprenant que son salarié exécute sur sa propre initiative un travail dans cette situation devrait, à notre sens, adresser à son salarié un rappel de la nécessité de respecter la suspension de la prestation de travail et, idéalement, couper à ce dernier tout moyen matériel d’exécuter une prestation pour son compte.
Soc. 4 sept. 2024, FS-B, n° 23-15.944
Soc. 4 sept. 2024, FS-B, n° 22-16.129
© Lefebvre Dalloz