Travaux d’électricité puis sinistre : application de la présomption de responsabilité décennale
Si le maître d’ouvrage prouve qu’il ne peut être exclu qu’au regard de leur nature ou de leur siège, les désordres sont en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché, l’imputabilité est établie et la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue.
Par l’arrêt sous étude, la Cour de cassation rappelle que l’entrepreneur ne peut s’exempter de sa responsabilité qu’en démontrant que les défectuosités découlent d’une cause étrangère.
Indétermination de la cause exacte du dommage : refus d’établissement de la responsabilité décennale en appel
Des travaux d’électricité pour les besoins de la construction d’une maison d’habitation ont été confiés à un entrepreneur assuré auprès de la société Groupama, puis réceptionnés en juillet 2014. Le maître d’ouvrage a souscrit un contrat d’assurance multirisque-habitation. Un incendie a détruit la maison en décembre 2014, entraînant, après expertise judiciaire, l’assignation de l’entrepreneur et de son assureur par le maître d’ouvrage et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale.
Ces derniers reprochent à la cour d’appel de refuser l’engagement de la responsabilité décennale de l’entrepreneur, alors que « l’électricien est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, du sinistre ayant une origine électrique, quand bien même sa cause exacte serait indéterminée, sauf si ce constructeur démontre que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».
Ainsi, les juges d’appel auraient enfreint l’article 1792 du code civil en infirmant la décision de première instance qui retenait bien la responsabilité de plein droit de l’entrepreneur au motif que le sinistre provenait de manière certaine du tableau électrique, sans possibilité d’établir l’existence d’une cause étrangère exonératoire (Toulouse, 7 nov. 2023, n° 21/04055).
Lien manifeste des désordres avec la sphère d’intervention de l’entrepreneur
Il se dégage desdites dispositions de l’article 1792 du code civil qu’une présomption de responsabilité pèse sur l’entrepreneur. La Haute juridiction rappelle que celle-ci est caractérisée par la gravité des désordres, abstraction faite de leur cause (Civ. 3e, 1er déc. 1999, n° 98-13.252, RDI 2000. 56, obs. P. Malinvaud
). S’appuyant derechef sur sa jurisprudence antérieure, elle ajoute que cette présomption est écartée si les défectuosités n’émanent pas des travaux mis en œuvre par le constructeur (Civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-13.271, Dalloz actualité, 1er juill. 2015, obs. F. Garcia ; RDI 2015. 420, obs. P. Malinvaud
).
La présomption de responsabilité ne peut alors être imputée aux entrepreneurs dont il est écarté de manière certaine que les vices sont en lien avec leur sphère d’intervention, ce, au regard de leur nature ou de leur siège. Dès lors, le maître d’ouvrage doit successivement établir deux choses :
- le lien d’imputabilité, en prouvant qu’au regard de leur nature ou de leur siège, les désordres sont incontestablement en lien avec la sphère d’intervention du constructeur ;
- l’impossibilité d’écarter la présomption de responsabilité décennale en raison de l’origine incertaine ou inconnue des désordres : l’entrepreneur ne pouvant s’en exonérer qu’en démontrant qu’ils proviennent d’une cause tierce.
Il s’agit donc, dans la décision rapportée, d’étudier les circonstances qui donnent lieu à l’exclusion du jeu de la présomption de responsabilité. Celle-ci peut-elle être évincée en cas d’indétermination de la cause exacte des désordres ?
Origine imprécise du sinistre et application de la garantie décennale au regard de l’appréciation du lien d’imputabilité
En l’espèce, les juges du second degré ont refusé d’engager la responsabilité décennale de l’électricien, relevant que, si le sinistre est bien né du tableau électrique, il n’est pas établi de manière certaine qu’il est lié à un vice de construction ou une non-conformité affectant cet élément. Ils mentionnent l’insuffisance des constatations techniques de l’expert qui ne pouvait être catégorique au regard de l’état de dégradation du tableau : constatations basées uniquement sur l’exclusion des hypothèses telles que l’acte de malveillance ou le défaut d’alimentation électrique externe.
En en déduisant l’absence de démonstration de l’imputabilité évidente du sinistre aux travaux électriques, écartant alors la charge du constructeur de prouver une cause étrangère, la cour d’appel a violé l’article 1792 susmentionné. Censurant l’arrêt, la troisième chambre civile relève que les motifs étaient « impropres à exclure un lien d’imputabilité entre les dommages et les travaux de l’entrepreneur ».
Appréciation jurisprudentielle large du lien d’imputabilité : régime favorable au maître d’ouvrage
Le juge du droit opère généralement une appréciation souple du lien d’imputabilité en reconnaissant la liaison entre les désordres et les missions de l’entrepreneur en elles-mêmes. Il va, en faveur du maître d’ouvrage, au-delà de la faute du constructeur pour retenir plus simplement l’origine du dommage (Civ. 3e, 27 janv. 2015, n° 13-21.945 ; 30 sept. 2015, n° 14-16.257, RDI 2015. 589, obs. P. Malinvaud
). La charge de la preuve incombe à ce dernier qui doit même démontrer l’absence de lien entre les défectuosités et son intervention (Civ. 3e, 14 mai 2020, n° 19-12.988, AJDI 2020. 691
; ibid. 691
; 23 sept. 2020, n° 19-20.374). La Cour semble faire preuve de sévérité à l’égard du constructeur lorsqu’il s’agit d’admettre une cause étrangère.
Par conséquent, le maître d’ouvrage bénéficie d’une dispense : il n’a pas à établir la preuve de la faute de son constructeur, ce qui peut être complexe, mais seulement l’imputabilité (Civ. 3e, 14 janv. 2009, n° 07-19.084, RDI 2009. 186, obs. L. Karila
). La jurisprudence vient protéger ses intérêts.
Preuve de l’absence de lien d’imputabilité entre ses travaux et le dommage comme possibilité d’exonération de l’entrepreneur
On notera toutefois que la responsabilité décennale ne peut être engagée sans l’imputabilité des dommages aux travaux mis en œuvre, ce qui encourage donc à étudier ce lien ainsi que le champ d’action de l’entrepreneur dès l’expertise (Civ. 3e, 13 juin 2019, n° 18-16.725).
Civ. 3e, 11 sept. 2025, FS-B, n° 24-10.139
par Camille Selighini Grevilliot, Juriste en droit immobilier
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