Travaux exécutés dans le cadre d’un marché de travaux publics : l’action en paiement direct relève du juge administratif
Les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître d’ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d’un marché de travaux publics, qui, ne concernant pas l’exécution d’une convention de droit privé unissant les parties, impliquent que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relèvent de la compétence du juge administratif, peu important que tant le sous-traitant que le maître d’ouvrage délégué soient deux sociétés de droit privé.
Selon la jurisprudence du Tribunal des conflits, le litige né de l’exécution d’un marché public de travaux et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé (T. confl. 24 nov. 1997, n° 3060, D. 1998. 363
, obs. P. Terneyre
; RDI 1998. 251, obs. F. Llorens et P. Terneyre
), quel que soit le fondement invoqué (Trib. confl. 28 mars 2011, n° 3773, AJDA 2011. 1518
). Cette solution s’applique aux recours exercés entre les titulaires de lots distincts, ceux-ci n’ayant pas de lien contractuel entre eux, y compris à l’action subrogatoire exercée par l’assureur de l’un d’entre eux (T. confl. 10 janv. 2022, n° 4331, Rev. CMP 2022. Comm. 94, obs. M. Ubaud-Bergeron).
La question de la compétence juridictionnelle se complexifie en cas de sous-traitance. Coexistent en effet deux contrats : d’une part le contrat principal, conclu entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal et d’autre part le sous-traité, dont l’objet est l’exécution de tout ou partie du contrat principal, conclu entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant. Le maître de l’ouvrage est un tiers au sous-traité mais la loi confère au sous-traitant un droit au paiement direct contre lui.
Selon les principes dégagés par la jurisprudence, les actions exercées dans le cadre de l’exécution du contrat principal conclu entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal relèvent du juge administratif. En revanche, dès lors que l’entrepreneur principal et le sous-traitant sont liés par un contrat de droit privé, le litige relatif à l’exécution du sous-traité relève de la compétence du juge judiciaire (T. confl. 19 févr. 1996, n° 2927 ; 16 nov. 2015, n° 4029, Dalloz actualité, 25 nov. 2015, obs. J.-M. Pastor ; Lebon
; AJDA 2015. 2237
; AJCT 2016. 223, obs. S. Hul
; comp., litige opposant les membres d’un groupement, hors de tout litige né de l’exécution d’un marché public de travaux, T. confl. 10 déc. 2018, n° 4144, RDI 2019. 399, obs. A. Galland
). Ainsi, la juridiction administrative est compétente pour connaître l’action dirigée par un entrepreneur contre le sous-traitant du maître d’œuvre, tandis que l’action dirigée par ce dernier contre l’assureur du sous-traitant relève du juge judiciaire car relative à l’exécution du contrat de droit privé liant assureur et assuré (T. confl. 15 févr. 1999, n° 3077, Lebon
; D. 1999. 108
; RDI 1999. 247, obs. F. Llorens
).
Qu’en est-il des litiges opposant le maître de l’ouvrage et le sous-traitant ? Les litigants n’étant pas unis par un contrat de droit privé, l’action en paiement direct exercée par le sous-traité à l’encontre du maître de l’ouvrage relève de l’ordre des juridictions administratives. Cette solution s’applique également lorsque le maître de l’ouvrage a confié à un mandataire de droit privé l’exercice de certaines attributions : le juge administratif est compétent pour statuer dès lors que le contrat principe est administratif (CE 18 sept. 2019, n° 425716, Dalloz actualité, 24 sept. 2019, obs. E. Maupin ; Lebon
; AJDA 2020. 355
, note Y. Simonnet
; ibid. 2019. 1838
; AJ contrat 2019. 496, obs. J.-D. Dreyfus
; 18 sept. 2019, n° 426120).
La Cour de cassation applique ce principe à propos d’une action en paiement direct exercé par un sous-traitant contre le maître d’ouvrage délégué, l’un et l’autre étant des personnes morales de droit privé.
Au cas particulier, la SNCF avait délégué à une entreprise de droit privé la maîtrise d’ouvrage d’un marché de travaux publics ayant pour objet la réalisation d’un péage rail-route. Le lot « VRD – gros œuvre – charpente métallique » faisait l’objet d’une sous-traitance agréée par le maître d’ouvrage déléguée. À la suite du placement en liquidation juridique de l’entreprise principale, le sous-traitant assigne en paiement le maître d’œuvre délégué. Celui-ci soulève l’incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif. La Cour d’appel de Versailles se déclare néanmoins compétente au motif, d’une part, qu’il n’existe pas de lien contractuel entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant et, d’autre part, que l’action oppose deux personnes de droit privé.
Après avoir visé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 2193-3, L. 2193-11, al. 1er, et L. 2422-6 du code de la commande publique, la Cour de cassation rappelle la position tribunal des conflits selon laquelle le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit son fondement juridique, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé et que le litige concerne l’exécution de ce contrat (T. confl. 10 janv. 2022, n° 4231, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon
; AJDA 2022. 17
). Elle en déduit que « les litiges relatifs au paiement direct au sous-traitant, par le maître d’ouvrage délégué, du prix des travaux exécutés dans le cadre d’un marché de travaux publics, qui, ne concernant pas l’exécution d’une convention de droit privé unissant les parties, impliquent que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relèvent de la compétence du juge administratif, peu important que tant le sous-traitant que le maître d’ouvrage délégué soient deux sociétés de droit privé ».
Or, le litige étant né de l’exécution d’un marché de travaux publics et ne concernant pas l’exécution d’un contrat de droit privé, la Cour de cassation déclare que la juridiction judiciaire est incompétente pour connaître de l’action en paiement directe formée par le sous-traitant.
Civ. 3e, 25 avr. 2024, FS-B, n° 22-22.912
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