Triple cassation portant sur des peines de confiscation, privation de droits et publication

Pour l’application de la confiscation « étendue », il doit ressortir des motifs de l’arrêt d’appel que le prévenu ou le propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée a été mis en mesure de s’expliquer sur les biens et n’a pu en justifier l’origine. La peine d’interdiction des droits est une peine facultative qui doit être motivée. Tout comme la peine de publication et d’affichage attachée à la fraude fiscale après que le Conseil constitutionnel a censuré, en 2010, son caractère obligatoire.

Un prévenu a été condamné pour des faits de fraude fiscale s’étalant de 2010 à 2017, sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts, et s’est vu infliger plusieurs peines dans des conditions insatisfaisantes pour la chambre criminelle, la conduisant à faire droit à trois moyens du pourvoi.

L’illégale confiscation dite « étendue » lorsque la personne condamnée n’a pas été mise en mesure de s’expliquer sur l’origine des biens

Issu de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, l’alinéa 5 de l’article 131-21 du code pénal permet, dans l’hypothèse d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation des biens « lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’ont pu en justifier l’origine ». Comme le relève la doctrine, la condamnation ne repose pas sur la preuve que le bien confisqué se trouve être le produit direct ou indirect de l’infraction, mais se fonde sur l’impossibilité pour le condamné de justifier de son origine licite (S. Detraz, Le profit présumé délictueux en droit pénal de fond, Gaz. Pal. 11-13 mai 2014, p. 133).

Reposant sur une inversion de la charge de la preuve, ce texte de droit pénal substantiel renferme une exigence procédurale que les juges du fond doivent s’attacher à respecter. Il doit en effet ressortir de la procédure que le mis en cause et/ou le propriétaire a/ont été invité(s) à s’expliquer sur ce point. Tel n’avait pas été le cas en l’espèce, où plusieurs immeubles avaient été confisqués sur ce fondement et qu’il ressortait seulement des motifs que les profits issus de la commission répétée de fraudes fiscales pendant des années avaient « manifestement contribué, si ce n’est à la constitution, à tout le moins à la conservation de son patrimoine principalement immobilier ». Le moyen soulignait en outre qu’il ressortait des conclusions qu’au contraire, le prévenu disait pouvoir justifier de l’acquisition de ces biens grâce à des emprunts et que ce point n’avait jamais été contesté. La cassation est donc prononcée pour violation de l’alinéa 5 de l’article 131-21 du code pénal.

La nécessaire motivation de la privation des droits civiques, civils et de famille

Au visa de l’article 1741 du code général des impôts qui constituait ici le fondement de la déclaration de culpabilité, et des articles 485-1 et 593 du code de procédure pénale relatifs à la motivation des décisions, la chambre criminelle rappelle le principe général d’individualisation de la peine au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, avec comme double exception la peine obligatoire et la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction. Et l’obligation corrélative de motivation de la peine, en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.

L’article 1741 du code général des impôts dispose en son 4e alinéa que « toute personne condamnée en application des dispositions du présent article peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal ». La peine était donc encourue au cas d’espèce, mais nullement obligatoire. Or, les juges d’appel s’étaient dispensés de toute explication quant au recours à cette peine, ce qui entraîne la censure de l’arrêt.

L’illégale application rétroactive d’une peine de publication obligatoire

L’affichage de la décision de culpabilité est une peine traditionnellement attachée au délit de fraude fiscale, mais selon des modalités qui ont varié au fil du temps. Pour rappel, la période de prévention s’étalait ici de 2010 à 2017, et les juges devaient veiller au respect des principes cardinaux d’application de la loi dans le temps tels qu’exprimés à l’article 112-1 du code pénal.

Il se trouve que dans sa version issue de la loi n° 2009-256 du 12 mai 2009, le tribunal qui entrait en voie de condamnation du chef de fraude fiscale était tenu d’ordonner la publication intégrale ou partielle des jugements. Toutefois, dans une décision de 2010 (Cons. const. 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC, D. 2011. 929 , note B. Bouloc ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 76, obs. J.-B. Perrier ; Rev. sociétés 2011. 377, note H. Matsopoulou ; Constitutions 2011. 531, obs. A. Darsonville ; RSC 2011. 193, chron. C. Lazerges ; ibid. 624, obs. S. Detraz ; ibid. 2012. 230, obs. B. de Lamy ), le Conseil constitutionnel avait déclaré cette peine inconstitutionnelle, considérant que le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen impliquait que la peine de publication et d’affichage du jugement ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce (consid. 3), et qu’était à cet égard insuffisante la possibilité pour le juger d’opter entre une publication intégrale ou par extraits (consid. 5).

À partir de l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, le 1er janvier 2011, soit au cours de la période de prévention, la peine de publication était redevenue facultative. C’était cette peine, et elle seule, qui s’appliquait ici. Encourait, dès lors, inévitablement la cassation l’arrêt d’appel qui avait prononcé cette peine en la qualifiant expressément d’obligatoire.

 

Crim. 23 mai 2024, F-B, n° 23-80.088

© Lefebvre Dalloz