Ultimes précisions sur la définition de la faute dolosive ?

La faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, et non avec la seule conscience du risque d’occasionner le dommage.

L’interprétation évolutive de la faute dolosive dans un lourd contentieux

L’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances est source d’un contentieux important (sur lequel, v. D. Noguéro, L’exclusion de la faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances, in Mélanges Suzanne Carval, IRJS Editions, 2021, p. 647). Disposant que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré », il a donné lieu à une interprétation évolutive par la jurisprudence, laquelle est encore en cours de stabilisation. La décision rendue le 6 juillet 2023 par la deuxième chambre civile apporte une utile précision sur l’exigence d’une « conscience » de l’assuré, laquelle se rapporte au caractère inéluctable des conséquences dommageables de son acte, et non seulement au risque d’occasionner le dommage.

Une affaire nouvelle liée à un programme de défiscalisation

En l’espèce, un particulier a souscrit en mai 2011, pour un montant de plus de 20 000 €, au produit « Snc GIR Réunion », proposé par la société Gesdom, pour l’acquisition et la mise en location des Stations autonomes d’éclairage (SAE), alimentées par des panneaux photovoltaïques sur l’île de La Réunion. Le souscripteur avait pour objectif le bénéfice d’une réduction d’impôt sur le revenu dans le cadre du dispositif dit « Girardin industriel ». La société Gesdom ne lui remet finalement pas l’attestation fiscale requise pour ce faire, invoquant une remise en cause de ladite réduction fiscale à la suite de la loi de finances du 29 décembre 2010 pour l’année 2011, laquelle a rendu inéligibles à la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil. Le souscripteur a alors assigné l’assureur de responsabilité civile de la société Gesdom afin d’obtenir indemnisation de son préjudice. Par jugement du 29 mars 2019, le Tribunal de grande instance de Nanterre a notamment condamné in solidum l’assureur à payer à l’investisseur la somme de 27 744 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement, et le bénéfice de la capitalisation annuelle pour les intérêts échus depuis plus d’un an. L’assureur interjette appel de cette décision. Par un arrêt du 20 mai 2021, la Cour d’appel de Versailles infirme le jugement rendu en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, rejette la demande de l’investisseur en retenant l’existence d’une faute dolosive de l’assuré, exclusive de toute garantie par l’assureur en application de l’article L. 113-1 du code des assurances. Elle considère que la société Gesdom avait connaissance de l’inéligibilité des produits concernés, qu’elle aurait dû en suspendre la commercialisation et interroger l’administration fiscale plus rapidement (pt 9). Elle en déduit que la société « avait pleinement conscience du risque évident qu’elle faisait courir aux investisseurs au moment où le contrat a été souscrit » (pt 11). Elle affirme ainsi que « le manquement délibéré de cette société à son obligation de prudence a abouti à la réalisation inéluctable du dommage qui a fait disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque » et a ainsi « commis une faute dolosive exclusive de tout aléa, de telle sorte que les assureurs sont fondés à opposer [au demandeur] une exclusion de garantie » (pt 12).

Une conception resserrée de la faute dolosive plus protectrice des intérêts des assurés et des victimes

Dans son pourvoi, le demandeur conteste la qualification de faute dolosive. Rappelant que cette dernière « suppose un acte délibéré de l’assuré qui ne pouvait ignorer qu’il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre », il soutient que « la connaissance de l’existence du risque de réalisation d’un dommage ne peut être assimilée à celle de la certitude de sa survenance ; qu’il s’ensuit qu’un manquement, même délibéré, à l’obligation de prudence de l’assuré, qui rend seulement possible la réalisation d’un dommage, ne peut être assimilé à un manquement qui conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre » (pt 5). Dans leur mémoire en défense, les défenderesses, s’appuyant sur l’état du droit, font valoir notamment que, d’une part, la faute dolosive a pour terrain d’élection l’activité des professionnels peu scrupuleux, à l’origine de fautes lucratives au terme desquels ils privilégient leur intérêt propre en sacrifiant celui des autres, alors même qu’ils ne recherchent pas le dommage, d’autre part, la cour d’appel a, en l’occurrence, bien caractérisé une faute dolosive. La Cour de cassation se voyait donc poser la question suivante : l’assuré qui prend un « risque délibéré » en commercialisant un produit de défiscalisation commet-il, en cela, une faute dolosive inassurable ?

Suivant l’argumentation de l’investisseur, la deuxième chambre civile casse la décision de la cour d’appel pour défaut de base légale au visa de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances. Après avoir rappelé que « La faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (pt 7), elle affirme que les juges du fond se sont déterminés « par des motifs impropres à caractériser la conscience qu’avait la société Gesdom du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit […], qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (pt 13). Dans une récente publication, les magistrats du quai de l’Horloge n’avaient pas caché leur intention de concevoir une définition resserrée de la faute dolosive, à revers d’une interprétation trop lâche, afin de ne pas trop desservir les intérêts des assurés et leurs victimes (v. C. cass., Recueil annuel des Études 2023, p. 86). Selon eux, les risques, « qui pourraient résulter d’une acception trop large de la faute dolosive, devraient conduire la Cour de cassation à contrôler la qualification de la faute retenue par les juges du fond, afin que le caractère subjectif de la faute dolosive soit préservé » (ibid.). Au cas présent, selon l’avocate générale, « la Chambre exerce un contrôle léger sur la qualification de la faute dolosive, l’appréciation du caractère volontaire du comportement de l’assuré relevant du pouvoir souverain des juges du fond » (Avis de l’avocate générale, p. 4 ; les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements à maître Jean de Salve de Bruneton pour leur avoir transmis ledit avis et le rapport du Conseiller dans cette affaire).

Un tamis de la faute dolosive laissant s’échapper les fautes prises avec la simple conscience du risque d’occasionner le dommage

Une telle solution permet de préciser la définition de la faute dolosive consacrée par la Cour de cassation à l’issue d’une longue évolution jurisprudentielle. Rappelons que, dans un premier temps, une conception unitaire de la faute inassurable a été retenue : les fautes intentionnelle et dolosive n’étaient pas distinguées. Bien que le texte de l’article L. 113-1 évoque ces deux notions, seule la faute intentionnelle était en pratique prise en compte et définie, de manière très restrictive, comme la faute volontaire commise avec « la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé » (Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-14.389, D. 2005. 1324  ; ibid. 1317, obs. H. Groutel  ; RDI 2004. 517, obs. L. Grynbaum ). La qualification de faute intentionnelle, au sens du droit des assurances, ne suppose pas seulement d’avoir voulu l’acte à l’origine du dommage : d’une part, le dommage doit lui-même avoir été recherché (Civ. 1re, 10 avr. 1996, n° 93-14.571) et, d’autre part, ce dernier ne doit pas excéder, lors de sa survenance, ce que son auteur avait l’intention de causer (Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-25.678, Dalloz actualité, 29 sept. 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2021. 1718 ). L’autonomie de la faute dolosive a progressivement été admise, d’abord par la deuxième chambre civile dès 2013 (Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813, Dalloz actualité, 15 mars 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac ), puis par la troisième chambre dix ans plus tard (Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084, Dalloz actualité, 12 avr. 2023, obs. S. Porcher ; D. 2023. 1293 , note A. Pélissier  ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ; Gaz. Pal., 11 juill. 2023, n° 23, p. 39 s., GPL451x3, comm. D. Noguéro) après une longue période de résistance (déjà signe d’un infléchissement, v. cep., Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-10.774, inédit, RDI 2021. 433, obs. C. Charbonneau  ; Lexbase hebdo éd. privée, n° 874 du 22 juill. 2021, « Chronique de droit des assurances », obs. R. Bigot et A. Cayol).

Si la consécration de la nature dualiste de la faute inassurable n’a pas été simple, la définition de la faute dolosive ne l’a pas été davantage. La jurisprudence de la deuxième chambre civile a été particulièrement fluctuante ces dix dernières années. Le caractère volontaire de la faute – pourtant parfois seul mentionné (Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.650, Dalloz actualité, 24 sept. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon  ; 6 févr. 2020, n° 18-17.868, Dalloz actualité, 25 févr. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 336  ; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre  ; AJ contrat 2020. 289 ) – ne saurait être suffisant, l’essentiel étant que la réalisation du dommage ait été rendue inéluctable, de sorte que l’aléa attaché à la couverture d’assurance ait disparu. La terminologie retenue est toutefois longtemps restée regrettablement fluctuante, certains arrêts évoquant seulement le caractère inéluctable du dommage (Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-12.659, inédit ; 10 nov. 2021, n° 19-12.660, Lexbase éd. privée n° 888 du 16 déc. 2021, « Chronique de droit des assurances », obs. R. Bigot et A. Cayol ), d’autres y ajoutant une référence à la disparition de l’aléa (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 1107  ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle  ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier  ; 20 mai 2020, n° 19-14.306, D. 2020. 1106  ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle  ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier ). En outre, à compter de 2020, une exigence supplémentaire a semblé requise pour retenir la qualification de faute dolosive : celle de la connaissance (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, préc.) ou de la conscience (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-14.306, préc.) dudit caractère inéluctable par l’assuré, la terminologie retenue étant là encore variable (sur les interrogations doctrinales en découlant, v. not., J. Kullmann, Connaissance, conscience et volonté : retour sur les fautes intentionnelles et dolosives à l’occasion de deux arrêts sur le suicide et les dommages causés à autrui, RGDA sept. 2020, n° 117s5, p. 7). Par cinq arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile a fini par stabiliser la définition de la faute dolosive en 2022 (Civ. 2e, 10 mars 2022, nos 20-19.057, 20-19.056, 20-19.055, 20-19.053 et 20-19.052, bjda.fr n° 80, mai 2022, note R. Bigot et A. Cayol). Ces derniers évoquent tous, d’une part, le caractère inéluctable du dommage – sans référence à la disparition de l’aléa – et, d’autre part, l’exigence d’une conscience de ce dernier.

La faute dolosive n’est pas une faute objective : elle suppose d’établir deux éléments cumulatifs, dont l’un est subjectif – la conscience que l’assuré avait qu’en agissant de la sorte le dommage allait inéluctablement en résulter. En d’autres termes, la Haute Cour semblant vouloir éviter la confusion entre probabilité et certitude, « l’assuré doit avoir conscience que sa faute emportera, non pas éventuellement, mais inéluctablement des suites dommageables. Ce caractère inéluctable est apprécié objectivement, tandis que sa conscience l’est subjectivement, sans préjudice de certaines présomptions » (LEDA, sept. 2023, DAS201l9, obs. P.-G. Marly). Précisément, le Conseiller explique dans son rapport sous la présente affaire que la faute dolosive « ne résulte pas du seul constat d’une disparition totale de l’aléa par l’effet des agissements volontaires de l’assuré. Elle impose, en effet, à l’assureur, qui a la charge de la preuve, de caractériser, en plus, un élément subjectif, puisqu’il lui faut démontrer, in concreto, que l’assuré avait conscience, en agissant, de ce qu’il allait inéluctablement occasionner le dommage. Un auteur (D. Bakouche, RCA n° 10, oct. 2020, p. 29) a qualifié cette exigence de raisonnable, au regard de la coloration morale de l’aléa et parce que seuls les défauts d’aléa connus de celui qui en est à l’origine doivent être sanctionnés. Et il considère que l’élargissement de la faute inassurable par l’autonomisation de la faute dolosive mérite d’être approuvé, serait-il préjudiciable aux victimes exerçant une action directe contre l’assureur de responsabilité auxquelles la faute est, en l’état, opposable. Car il est socialement inopportun de faire supporter à la collectivité des assurés les conséquences économiques des comportements hautement répréhensibles des assurés qui, en toute conscience, se sont placés dans une situation rendant la réalisation du dommage inéluctable » (Rapport du Conseiller, p. 25).

Une doctrine autorisée y a vu « une reprise en main par la Cour de cassation des occurrences d’application de la faute dolosive dont elle souhaite contrôler les hypothèses de réception sans étendre trop extensivement son domaine, ce qui pourrait conduire à l’anéantissement corrélatif de la faute intentionnelle » (D. Noguéro, Accueil sous contrôle de la faute dolosive ou volontaire, exclusions de garantie, obs. sur Civ. 2e, 20 janv. 2022, RDI 2022, 224 ). Cette appréciation stricte de la faute dolosive est confirmée en l’espèce. Comme l’a souligné l’avocate générale (avis préc., p. 4), « la simple conscience de faire courir un risque à ses contractants est insuffisant à caractériser le caractère intentionnel ou dolosif de la faute » (par ex., Civ. 2e, 12 janv. 2017, n° 16-10.042, AJDI 2017. 141 ). Autrement dit, une prise de risque délibérée ne constitue pas, en tant que telle, une faute dolosive. Encore faut-il que l’assuré ait réalisé qu’un dommage allait inévitablement – et non seulement potentiellement – s’en suivre, supprimant ainsi l’aléa inhérent au contrat d’assurance.

Des précisions utiles ?

Si l’ouverture jurisprudentielle permettait dans un premier temps de saisir des cas de faute lucrative commise par des professionnels, les effets manichéens du mécanisme de discipline assurantiel auxquels s’ajoutent la complexité d’une définition à géométrie variable plaident en faveur d’une unité – resserrée – de la définition du dol qui, comme le souligne le Conseiller « en droit des assurances, est en effet la même, que l’assuré ait méconnu la loi du contrat le liant à sa victime (engageant sa responsabilité contractuelle), ou bien qu’il n’ait pas été préalablement lié à la victime du dommage par un contrat (engageant sa responsabilité délictuelle). Et la définition du dol n’est pas plus rigoureuse, à l’égard du professionnel qui méconnaît ses obligations contractuelles, qu’elle ne l’est à l’égard de la personne suicidaire qui se jette sur les voies ou emploie une machine explosive, à cette fin. Ainsi, si un contrat existe entre l’assuré et la victime du dommage, c’est le manquement délibéré au contrat avec la conscience qu’un dommage en résultera inéluctablement pour le co-contractant, qui caractérise la faute dolosive, et, en l’absence de contrat entre l’assuré et la victime du dommage, c’est l’acte commis délibérément avec la conscience qu’un dommage en résultera inéluctablement, pour cette victime, qui caractérise la faute dolosive. Et ce sans qu’on doive en passer, dans ce dernier cas, par la caractérisation d’une faute contractuelle de l’assuré à l’égard de son assureur, pour maintenir, coûte que coûte, le dol dans un registre exclusivement contractuel. En quoi la faute dolosive, en droit des assurances, paraît transcender les domaines du contractuel et du délictuel, pour englober toutes les hypothèses de responsabilité, aussi bien contractuelles que délictuelles » (Rapport du Conseiller, p. 27).

En définitive, si quelques réserves paraissent désormais levées quant aux critères et aux emplois de la faute dolosive, derrière le contrôle « léger » affiché par la Haute Cour attachée à une certaine liberté, on sait que subsistent d’importantes marges de manœuvre, en coulisse des définitions abstraites retenues, qui permettront non seulement au juge du fait, par son pouvoir souverain d’appréciation, mais aussi à celui du droit, par son contrôle assez impalpable, quelques contorsions (v. comm. D. Noguéro, Gaz. Pal., 11 juill. 2023, n° 23, p. 39 s. spéc. p. 41 s., GPL451x3), au point de se demander si depuis plusieurs décennies, les fautes inassurables ne nous font pas un peu tourner en rond !

 

© Lefebvre Dalloz