Un BEFA impliquant des travaux requis par la personne publique contractante est un marché public de travaux

Un BEFA, qui implique la réalisation de travaux par la personne publique contractante qui a exercé une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage, est requalifié en marché public de travaux.

Le centre hospitalier Alpes-Isère, établissement public de santé mentale situé à Saint-Égrève dans le département de l’Isère, a conclu un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) le 31 août 2017 avec la société civile immobilière Victor Hugo 21. Ce bail, d’une durée de quinze ans et avec option d’achat au bout de douze ans, avait pour objet la location au centre hospitalier de deux immeubles existants après l’aménagement de l’un et d’un immeuble neuf à construire. Le centre hospitalier n’a néanmoins pas pris possession des immeubles, par crainte d’une mise en cause de sa responsabilité pénale en raison des conditions de conclusion du contrat litigieux, et a décidé de suspendre le paiement des loyers.

Le centre hospitalier a saisi le Tribunal administratif de Grenoble d’un recours en contestation de la validité du BEFA litigieux, dit « recours Béziers I » (CE 28 déc. 2009, Commune de Béziers, n° 304802, Dalloz actualité, 6 janv. 2010, obs. S. Brondel ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2010. 4 ; ibid. 142 , chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi ; D. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RDI 2010. 265, obs. R. Noguellou ; AJCT 2010. 114, Pratique O. Didriche ; RFDA 2010. 506, concl. E. Glaser ; ibid. 519, note D. Pouyaud ; RTD com. 2010. 548, obs. G. Orsoni ; Rev. UE 2015. 370, étude G. Eckert ). Sa demande a été rejetée, et le tribunal administratif l’a condamné au paiement à la SCI Victor Hugo 21 de la somme de 553 499,78 €, sous déduction d’une provision de 493 277 € versée en application d’une ordonnance du juge des référés de la Cour administrative d’appel de Nancy. La SCI Victor Hugo 21 se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement et le contrat litigieux.

BEFA et marché public de travaux

Les BEFA se sont développés sans texte, en référence au modèle de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) ; cette dernière est définie par l’article 1601-3 du code civil comme étant un « contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux ». Le BEFA, quant à lui, permet la location d’un bien avant sa construction.

Dans la mesure où la maîtrise d’ouvrage est privée et non pas publique dans le cadre d’une VEFA, le Conseil d’État est venu préciser dans sa décision Région Midi-Pyrénées que si aucune disposition législative ou règlementaire n’empêche une personne publique de recourir à une VEFA, elle ne peut y recourir qu’à condition que « l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres » (CE 8 févr. 1991, Région Midi-Pyrénées c/ Syndicat de l’architecture de la Haute-Garonne, n° 57679, Lebon ; AJDA 1991. 579 , obs. X. Delcros ; D. 1991. 373 , obs. P. Terneyre ; RDI 1991. 204, obs. F. Llorens et P. Terneyre ; RFDA 1992. 48, concl. M. Pochard ). Une maîtrise d’œuvre publique pouvait en revanche conduire à une requalification de la VEFA en marché public au regard de l’ancienne définition retenue par le code des marchés publics de 2006.

La notion de maîtrise d’ouvrage, toutefois, ne figure pas dans le code de la commande publique issue de la transposition du droit unionien : l’article L. 1111-2 dudit code dispose qu’un marché public de travaux a pour objet « (…) soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux (…), soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ». Les VEFA et a fortiori les BEFA échappent donc en principe aux règles de la commande publique.

Un BEFA est (dans certains cas) un marché public de travaux

La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion d’affirmer que le contrat par lequel on construit un ouvrage pour une mise à disposition par contrat de location est un marché public de travaux « dès lors que cette réalisation répond aux besoins précisés par ce pouvoir adjudicateur » (CJUE 22 avr. 2021, Commission européenne c/ République d’Autriche, aff. C-537/19, AJCT 2021. 425, obs. J.-D. Dreyfus ). La Cour précise à cet égard qu’« il en va ainsi lorsque ce dernier a pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou à tout le moins d’exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci. C’est le cas notamment lorsque « les spécifications demandées par le pouvoir adjudicateur vont au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un immeuble tel que l’ouvrage concerné ».

Sur le fondement de cette jurisprudence, le Conseil d’État considère que « Le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux (…) lorsqu’il résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages ». En l’espèce, la Haute juridiction relève que « cette influence est exercée [en l’espèce] sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur ».

En outre, le contrat litigieux répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier, en particulier « (…) regrouper ses activités ambulatoires de psychiatrie infanto-juvénile ainsi que le centre d’accueil thérapeutique à temps partiel et les hôpitaux de jours consacrés à l’accueil d’enfants de moins de douze ans ». C’est donc à bon droit que la Cour administrative de Marseille a jugé, en requalifiant le BEFA litigieux en marché public de travaux, que le centre hospitalier a exercé une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage.

Dans la mesure où l’article L. 2191-5 du code de la commande publique dispose que « l’insertion de toute clause de paiement différé est interdite dans les marchés publics » conclus par les établissements publics de santé notamment, il était logique pour la Cour administrative d’appel de Marseille de juger comme prohibée la clause du contrat litigieux par laquelle le paiement par le centre hospitalier ne se faisait pas en une seule fois mais par le versement de loyers sur une durée de dix ans. Dès lors que cette clause, irrégulière, était indivisible du reste du contrat litigieux, ce dernier ne pouvait qu’être annulé : le Conseil d’État rejette le pourvoi de la SCI Victor Hugo 21.

 

CE 3 avr. 2024, SCI Victor Hugo 21, n° 472476

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