Un imam peut être salarié d’une association religieuse… légalement non cultuelle
L’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie. Doit dès lors être appréciée factuellement l’existence éventuelle d’un contrat de travail d’un imam exerçant pour une association non cultuelle des fonctions d’enseignant en théologie et de théologien.
L’appréciation de l’existence de la relation de travail salariée est de longue date encadrée par une jurisprudence nourrie, posant le principe de la caractérisation d’un lien de subordination, classiquement identifiable par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187, D. 1996. 268
; Dr. soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux
; RDSS 1997. 847, note J.-C. Dosdat
; GADT, 4e éd., n° 2). Tout aussi classique est l’exigence de l’appréciation des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du salarié (Soc. 17 avr. 1991, n° 88-40.121 P, D. 1991. 139
; RTD com. 1992. 196, obs. C. Champaud et D. Danet
). Mais qu’en est-il en matière religieuse ? Il est en effet d’usage que la relation qui unit l’officier du culte à la structure dans laquelle il opère ne soit pas gouvernée par un contrat écrit. L’engagement spirituel est-il cependant exclusif de toute existence d’un contrat de travail ? La jurisprudence a apporté en 2010 une réponse assez claire sur la question en considérant que l’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie (Soc. 20 janv. 2010, n° 08-42.207 B, Dalloz actualité, 4 févr. 2010, obs. B. Ines ; D. 2010. 377
; JA 2010, n° 414, p. 12, obs. L. T.
; Dr. soc. 2010. 623, note J. Savatier
; ibid. 1070, note J. Mouly
; RDT 2010. 162, obs. J. Couard
). Mais qu’en est-il d’une association qui, bien que non légalement établie sous cette forme, opère dans les activités des organisations religieuses ? Telle était la question posée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 avril 2024, et à laquelle la chambre sociale de la Cour de cassation a apporté une réponse tranchée et sans ambages.
En l’espèce, un imam a été recruté par un institut en qualité de professeur de théologie et a notamment exercé une activité de formation des futurs imams et aumôniers au sein de différentes structures de la Grande mosquée de Paris, établissement régi par l’association Société des habous et lieux saints de l’Islam.
L’intéressé a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail avec cette association.
Les juges du fond conclurent cependant que ses fonctions relevaient du statut de ministre du culte, constatèrent l’absence de relation de travail avec l’association et en déduisirent l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal judiciaire.
La chambre sociale de la Cour de cassation saisie d’un pourvoi adressée par le justiciable, va invalider la décision des juges du fond au visa de l’article L. 1221-1 du code du travail.
La nécessaire constatation factuelle de l’existence d’une relation de travail salariée
Il est en effet aujourd’hui classiquement jugé au prisme de l’article L. 1221-1 que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Dans ce contexte, la jurisprudence considère que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc. 13 nov. 1996, préc.). Ainsi avait-il par exemple été jugé peu de temps après l’édiction du principe que le juge, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail entre un pasteur et son Église, ne peut s’attacher uniquement à la dénomination donnée par les parties à leurs rapports, sans rechercher si l’intéressé recevait des ordres et des directives de la Fédération des Églises adventistes (Soc. 23 avr. 1997, n° 94-40.909 P, D. 1997. 123
; Dr. soc. 1997. 642, obs. J. Savatier
). Mais un élément supplémentaire a depuis lors été ajouté pour traiter la question des « travailleurs » opérant dans les organisations religieuses.
L’exception rappelée de la congrégation ou de l’association cultuelle légalement établie
Il avait pu être jugé qu’un professeur de théologie, intégré dans un service organisé par l’Église réformée et subordonné à l’égard de celle-ci, bénéficiait d’un contrat de travail, l’indépendance des professeurs dans l’exercice de leurs fonctions n’étant pas incompatible avec l’existence d’un lien de subordination à l’égard de l’établissement, la consécration-ordination reçue avant la cessation de l’enseignement n’affectant pas l’existence d’un tel contrat (Soc. 20 nov. 1986, n° 84-43.243, Dr. soc. 1987. 379 ; JCP 1987. II. 20798, note Revet).
La chambre sociale avait toutefois, depuis lors, pu apporter des précisions en jugeant – s’agissant des structures religieuses – que l’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie (Soc. 20 janv. 2010, préc.), position que les hauts magistrats vont rappeler dans le corps de l’arrêt du 24 avril.
Or il s’avère que les juges du fond ont considéré en l’espèce que l’intéressé exerçait pour l’association Société des habous et lieux saints de l’Islam, association « loi 1901 », des fonctions d’enseignant en théologie et de théologien relevant du système propre aux ministres du culte et des missions exclusivement religieuses, et en avaient conclu que ces fonctions étaient incompatibles avec une position salariée.
Erreur de raisonnement selon la Cour de cassation, puisque la cour d’appel avait dans le même temps relever que l’association n’avait pas le statut d’association cultuelle. Il lui appartenait dès lors d’analyser concrètement les conditions effectives dans lesquelles l’intéressé avait exercé son activité et de vérifier si celle-ci s’était exercée dans un lien de subordination avec l’association.
Par cette solution, l’éminente juridiction procède à une interprétation stricte de la ligne précédemment esquissée et invite à bien faire la distinction entre l’appréciation du lien de subordination, qui doit reposer sur des éléments factuels, et l’existence ou non d’une congrégation ou association cultuelle légalement établie, qui elle s’apprécie de façon binaire. Aussi convient-il, lorsqu’est en cause l’appréciation d’une éventuelle relation de travail salariée d’une personne exerçant une activité en lien avec la religion, tel qu’un imam, d’observer comme condition préalable et dirimante si ce ministère s’exerce au profit ou non d’une entité cultuelle légalement établie. Si c’est le cas, le raisonnement bâti par la jurisprudence quant à l’appréciation factuelle du lien de subordination n’a pas lieu de se tenir. À défaut, en présence par exemple d’une association « loi 1901 », l’analyse circonstanciée des conditions de travail aura lieu d’être opérée pour déterminer l’existence ou non du contrat de travail.
L’arrêt rendu le 24 avril 2024 vient ainsi confirmer la jurisprudence antérieure tout en lui apportant une clarté renouvelée, traçant nettement la différence de régime entre les associations opérant dans le secteur religieux et les associations cultuelles légalement établies. Si l’on peut discuter la cohérence entre l’ appréciation in concreto du lien de subordination et la condition de jure de l’existence – ou non – d’une association cultuelle légale, force sera d’admettre que le régime juridique ainsi instauré aura le mérite de la clarté et d’apporter une louable sécurité aux organisations religieuses soucieuses de s’épargner tout risque de requalification et d’application du régime du contrat de travail, pour peu qu’elle soient parvenues à endosser elles-mêmes la bonne forme juridique.
Soc. 24 avr. 2024, FS-B+R, n° 22-20.352
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