Un magistrat honoraire ne peut pas être délégué par le premier président pour statuer sur une contestation d’honoraires d’avocat
Dans un arrêt rendu le 21 décembre 2023, la deuxième chambre civile précise que le premier président d’une cour d’appel ne peut déléguer son pouvoir juridictionnel à un magistrat, président de chambre au moment de l’audience des plaidoiries, devenu magistrat honoraire au moment de la mise à disposition de l’ordonnance statuant en appel d’une décision du bâtonnier rendue en matière de contestation d’honoraires d’avocats.
 
                            Le contentieux autour de la fixation des honoraires des avocats ne faiblit pas ces derniers mois (v. Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.372 F-D, Dalloz actualité, 14 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2190  ; Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 22-15.588 FS-B, Dalloz actualité, 28 nov. 2023, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2023. 2009
 ; Civ. 2e, 9 nov. 2023, n° 22-15.588 FS-B, Dalloz actualité, 28 nov. 2023, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2023. 2009  ; 6 juill. 2023, n° 21-21.768 F-B, Dalloz actualité, 12 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1320
 ; 6 juill. 2023, n° 21-21.768 F-B, Dalloz actualité, 12 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1320  ; ibid. 2024. 76, obs. T. Wickers
 ; ibid. 2024. 76, obs. T. Wickers  ; AJDI 2023. 857
 ; AJDI 2023. 857  , obs. F. Cohet
, obs. F. Cohet  ; 6 juill. 2023 n° 19-24.655 F-B, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. C. Hélaine). Dans un arrêt rendu le 21 décembre 2023, la deuxième chambre civile a eu l’occasion de rendre un arrêt particulièrement intéressant et particulièrement rare sur un pan peu abordé dans des arrêts publiés au Bulletin. L’arrêt concerne, en effet, la délégation que le premier président confie généralement à l’un des magistrats de la Cour d’appel pour statuer sur les appels concernant les décisions du bâtonnier rendues en matière de contestation d’honoraires d’avocats.
 ; 6 juill. 2023 n° 19-24.655 F-B, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. C. Hélaine). Dans un arrêt rendu le 21 décembre 2023, la deuxième chambre civile a eu l’occasion de rendre un arrêt particulièrement intéressant et particulièrement rare sur un pan peu abordé dans des arrêts publiés au Bulletin. L’arrêt concerne, en effet, la délégation que le premier président confie généralement à l’un des magistrats de la Cour d’appel pour statuer sur les appels concernant les décisions du bâtonnier rendues en matière de contestation d’honoraires d’avocats.
Les faits prennent logiquement leur source dans une procédure judiciaire initiée en 2012, en l’espèce de divorce. L’un des époux décide de dessaisir son avocat pendant la procédure, à savoir en 2016. La cliente conteste le solde des honoraires que lui réclame alors son ancien conseil. Celui-ci décide donc de saisir le bâtonnier de son ordre pour fixer les honoraires conformément à la législation en vigueur. La décision du bâtonnier est, ensuite, déférée à la cour d’appel. Le premier président de ladite cour d’appel désigne, comme souvent, un magistrat président de chambre pour statuer sur le recours en question. Or, voici où commence à poindre le problème : la magistrate en question part à la retraite peu de temps après l’audience de plaidoiries de ce dossier de contestation d’honoraires d’avocat. Elle devient toutefois magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, fonction qu’elle occupe à la date du délibéré. La cliente contestant les honoraires décide, par conséquent, de se pourvoir en cassation. Selon elle, une telle décision doit être annulée faute de pouvoir pour statuer en tant que magistrat honoraire.
L’annulation intervient sèchement dans l’arrêt rendu le 21 décembre 2023, lequel est promis aux honneurs d’une publication au Bulletin. Si la solution est peu critiquable théoriquement, elle n’en reste pas moins particulièrement sévère.
Un magistrat honoraire ne peut pas statuer en appel d’une décision du bâtonnier par délégation du premier président
Les fonctions que peuvent occuper des magistrats honoraires sont prévues par l’article 41-25 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée par la loi organique n° 2021-1728 du 22 décembre 2021, texte utilisé dans le visa de l’arrêt étudié (pt n° 6). Rappelons, à ce titre, que la loi du 20 novembre 2023 (Loi organique n° 2023-1058 du 20 nov. 2023, JO 21 nov.) prévoit un certain renforcement du recrutement de ces magistrats honoraires, indispensables au fonctionnement de la plupart des juridictions. Il n’en reste pas moins qu’un magistrat honoraire ne peut exercer que les fonctions énumérées à l’article précédemment cité (not., juge des contentieux de la protection, assesseur dans les formations collégiales, juge du tribunal de police, juge chargé de valider les compositions pénales, substituts, etc). Il existe, par ailleurs également, des magistrats honoraires n’exerçant pas d’activités juridictionnelles (v. ord. préc., art. 41-32).
En d’autres termes, et par déduction, l’article 41-25 ne prévoyant pas la possibilité que le premier président puisse déléguer son pouvoir en matière de contestation d’honoraires d’avocat à un magistrat honoraire, il convient de considérer qu’une telle possibilité n’est pas admise. Ceci ne doit que peu étonner. Les compétences du premier président de la cour d’appel énumérées à l’article L. 311-7 du code de l’organisation judiciaire sont, en effet, des compétences particulières. La Cour de cassation veille donc au respect de celles-ci. Dans les ressorts les plus importants, où le premier président ne peut pas, par définition, se démultiplier, ce contentieux est assuré par voie de délégation (par ex., en matière de rétention administrative des étrangers ou d’hospitalisation sans consentement notamment). Il n’existe donc aucune difficulté particulière à ce qu’une décision vienne rappeler qu’un magistrat honoraire ne puisse pas assumer cette délégation. Tout ceci ne résulte que des textes muets à ce sujet.
Si la solution est délicate, c’est seulement en raison d’un concours de circonstances.
Une temporalité discutable
Seule la chronologie des opérations semble pouvoir expliquer la difficulté de l’arrêt.
Au moment de l’audience des plaidoiries, la magistrate déléguée était présidente de chambre. Il n’y avait aucun obstacle en droit pour qu’elle signe l’ordonnance en théorie. C’est seulement parce que la magistrate en question a pris sa retraite avant la date du prononcé que la critique est permise. Il aurait fallu qu’un magistrat, en fonction au moment de ladite mise à disposition, signe la décision. Or, l’ordonnance est signée par un magistrat honoraire. Et c’est précisément là où le bât blesse même si entre le moment de l’audience et celui de la mise à disposition, il n’y a que le statut officiel qui a disparu. Mais c’est bien suffisant à entacher l’ordonnance de nullité.
Tout ceci vient donc créer un retour à la case départ pour une erreur finalement assez marginale, penseront probablement à juste titre certains lecteurs. Dans beaucoup de situations, le magistrat délégué qui part à la retraite ne devient pas nécessairement magistrat honoraire et il est donc substitué dans ses fonctions par un de ses collègues au moment du prononcé de l’ordonnance. L’exercice, en l’espèce, des fonctions de magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles par la présidente de chambre en question a permis de distiller le doute sur sa possibilité de rendre l’ordonnance. La publication de l’arrêt du 21 décembre 2023 au Bulletin invitera les cours d’appel à une certaine vigilance sur ce point.
Voici donc une décision rare mais utile dans le contentieux abondant de la contestation des honoraires d’avocat. La plupart du temps, les questions sont concentrées autour de thématiques plus précises que l’exercice des fonctions de magistrat délégué. L’affaire étudiée permet toutefois de se rendre compte que le diable se cache souvent dans les détails. Et en matière d’organisation judiciaire, tous les détails comptent !
© Lefebvre Dalloz